Répit de courte durée sur le front des foyers locaux en Chine. L’équipe bénévole de Solidarité Covid – Français de Chine revient sur les dernières tendances de la prévention de l’épidémie qui soufflent le chaud et le froid sur les perspectives de voyage international. Des préoccupations bien éloignées de la perception depuis l’étranger de l’épidémie en Chine.
Depuis la clôture du foyer de Nanjing à 1172 cas, 37 jours, ni le plus gros, ni le plus long des foyers post-Wuhan bien qu’il ait été le plus diffus sur le territoire, nous avons vu trois micro-foyers de moins de 10 cas, le foyer de Ruili qui a continué à livrer des cas jusqu’à J63, et le foyer du Fujian qui livre des dizaines de cas sur les premiers jours.
Sur celui-ci, cela commence par les enfants, les parents employés dans une usine de chaussures, quelques grand-parents, l’ordre inverse de Yangzhou, et peu de déplacements hors province du fait du profil ouvrier de la population touchée et des secteurs de risque encore en place dans certaines grandes villes peu avant l’éclosion du foyer. Comme pour celui de Nanjing, nous attendrons d’avoir un peu de recul pour faire l’analyse de ce nouveau foyer conséquent. Revenons donc au cocktail de mesures adoptées ces dernières semaines par la Chine.
La mode est au "long"
A défaut d’avoir des statistiques sur les Covid longs en Chine, ce sont les longues durées d’incubation ou de présence du virus qui attirent l’attention. Le foyer de Fujian en cours serait lié officiellement à un cas post quarantaine à 37 jours de l’arrivée, c’est le record pour les cas post quarantaine, bien que la contamination puisse venir d’un autre passager dépisté le même jour dans la même ville de Putian à 23 jours de son arrivée.
Une autre catégorie de "cas" attire l’attention des autorités. Ce sont les cas "Fuyang" ou "re-positifs" qui sont à nouveau testés positifs à distance de la guérison. Le Fuyang est une espèce rare qui n’existe qu’en Chine puisqu’il faut être en environnement Covid-free pour pouvoir attribuer un PCR positif plusieurs semaines après la guérison à un réveil du virus plutôt qu’à une nouvelle contamination…
Les cas "re-positifs" dits Fuyang
Quelques cas de "Fuyang" identifiés avec des durées de résurgence allant de 47 à 228 jours. Pour le plus long dépisté en premier lieu au Myanmar, on peut supposer qu’il s’agit d’une réinfection à l’arrivée à la frontière terrestre (beaucoup de cas à 3-4 semaines de l’arrivée dans le Yunnan), du fait des conditions spartiates dans les centres de quarantaine de la région frontalière.
Aucun de ces cas dits Fuyang n’a donné lieu à des contaminations locales, avec les cas contacts mis à l’isolement et tous sont restés asymptomatiques. Le Fuyang, non comptabilisé dans les statistiques afin d’éviter le double comptage et visiblement pas contagieux est pourtant à l’origine des mesures imposées par les ambassades de Chine "aux voyageurs vers la Chine déjà infectées par la Covid" dans de nombreux pays, avec une période de "quarantaine" (supposée, car incontrôlable) de 14 jours (jusqu’à 3 mois au départ de San Francisco et Seattle) après le scanner de confirmation de guérison : aucune précision concernant la date d’antériorité de l’infection ni le statut vaccinal post infection…
Un vrai repoussoir donc pour les expatriés de Chine séparés de leurs familles depuis bientôt deux ans, d’un côté on relâche la suspension de visa pour les Français (mais pas encore pour onze autres nationalités), on s’engage à livrer les PU letters pour la famille à Shanghai, mais de l’autre tout est fait pour décourager de faire le voyage de courte durée, avec l’indisponibilité de vaccin ARN en Chine, le risque de contamination et la complexité de se faire vacciner dans son pays : en France, entre le pass sanitaire qui n’est attribué que 7 jours après un rappel ARN aux vaccinés chinois et les 14 jours requis après la seconde dose pour demander le QR code du voyage retour en Chine, c’est le casse-tête…
L’obsession du zéro Covid
Pour les personnes non déjà contaminées, la quarantaine pré-voyage est demandée dans une quinzaine de pays avec faible capacité de test et partout pour les employés d’entreprises chinoises à l’étranger. Elle ne s’applique qu’aux employés d’entreprises chinoises car, en dehors de la Chine, il est impossible de contrôler que la quarantaine s’effectue bien. D’ailleurs lorsque les consulats de Chine à San Francisco et Seattle ont étendu la durée de la période d’isolation à 3 mois le 2 septembre, on a bien compris qu’une telle quarantaine étant irréalisable et invérifiable, la contrainte demeure que le QR code de voyage ne sera pas délivré avant plusieurs mois après la constatation de la guérison…
Officiellement 3.8% de la population mondiale a été contaminée par la Covid, 31 pays représentant 11% de la population mondiale hors Chine ont des prévalences de plus de 10% de la population déjà infectée. Pour les personnes déjà infectées candidates au départ en Chine, c’est un purgatoire de plusieurs mois qui leur est imposé avant de pouvoir accéder à l’Eldorado de la Chine Covid-free.
Pour les personnes restant en Chine, le spectre de la vaccination obligatoire pour accéder aux lieux publics s’est éloigné. Il avait été implanté (double Health code : vaccin et Travel code exigés…) dans un premier temps à des villes de Tier 4, puis quand des villes plus importantes comme Chongqing, Tianjin, Shenyang, Hohhot et des sites touristiques l’ont instauré, tout le monde a été rappelé à l’ordre par le gouvernement central, avec menaces d’amendes sévères, rappelant qu’il est illégal d’imposer la vaccination obligatoire.
Ceux qui attendent pour se faire inoculer un vaccin reconnu dans leur pays et/ou à courte distance d’un voyage à l’étranger afin de maximiser l’immunité au départ sont soulagés. Ils pourront aller se promener sur le barrage des Trois Gorges ou les steppes de Mongolie Intérieure sans avoir à se faire vacciner.
De l’autre côté de la lorgnette
Première expédition des vaisseaux noirs du Commodore Perry vers Nagasaki, une démonstration de force de la flotte US qui terrifia le shogunat en 1853 et conduisit le Japon, sans un coup de canon, à s’ouvrir au commerce international après deux siècles d’isolation, avec jusque-là des échanges au compte-goutte limités au comptoir de Dejima, à Nagasaki.
A l’étranger on veut comprendre Wuhan et l’origine du virus, on pense que la Chine sera forcément submergée un jour par Delta comme l’ont été de nombreux pays asiatiques pourtant élèves modèles en 2020 (voir analyse décès en illustration), on se dit qu’il faudra envoyer le Commodore Perry et ses vaisseaux noirs pour forcer la Chine à réouvrir ses frontières comme les USA ont forcé le Japon en 1853 à s’ouvrir au commerce international, et on s’interroge encore sur les conditions d’accueil des athlètes des Jeux Olympiques d’hiver en 2022.
Nous, étrangers de Chine, nous qui suivons l’épidémie au jour le jour, on sait qu’il ne sortira pas grand-chose de tout cela et nos préoccupations sur les conditions de voyages domestiques, internationaux, et la vaccination en Chine sont bien éloignées des sujets traités par la presse occidentale au sujet de l’épidémie en Chine.
Ces trois zones géographiques en Extrême Orient avaient été très peu touchées en général jusqu’à la vague Delta, ce sont près de 200 000 décès sur ces trois zones plus longues à déployer la vaccination. L’Europe plus vaccinée mais plus âgée et avec plus de comorbidités déplore un nombre de décès relatif encore supérieur sur la période.
Voici la première partie d’un questions/réponses issu d’une rencontre informelle entre Carole Gabay et un journaliste de Reuters spécialisé sur la Chine, traduit de l’anglais :
Reuters : Beaucoup d’observateurs occidentaux pensent que les données publiques Covid Chine ne sont pas fiables, cette position vous paraît-elle justifiée ?
Carole Gabay : Cette image colle à la peau de la Chine depuis la vague de Wuhan, où cela a été un chaos les premières semaines, comme partout ailleurs dans le monde les semaines, mois, voire années qui ont suivi.
Avec le projet Solidarité Covid – Français de Chine, nous constituons quotidiennement la base de données non gouvernementale la plus complète qui soit sur les données publiques Chine, avec les données par préfecture des cas confirmés, asymptomatiques, dédoublés des asymptomatiques qui deviennent confirmés, la sévérité des cas, les cas importés et leur provenance, les guérisons et décès (limités à 2 post-Wuhan) ainsi que les éléments démographiques des cas locaux lorsqu’ils sont publiés.
Grâce à ce travail quotidien, nous sommes des observateurs aguerris de ces procédures qui sont essentielles pour maintenir l’excellente situation sanitaire qui perdure en Chine depuis mars 2020 et avons toute confiance en ces données Post-Wuhan. Avec les tests de routine des personnels exposés, les dépistages de masse et confinements qui se mettent en place dès qu’un cas suspect se présente et à l’arrivée des vols internationaux quel que soit le statut vaccinal des personnes, c’est impossible de dissimuler des cas.
10 août 2021, l’OMS rapporte un nombre record de nouveaux cas en Chine. Une fois qu’on fait le tri entre les cas importés, les cas locaux, les cas asymptomatiques convertis en confirmés, on s’aperçoit que la tendance est à la baisse depuis déjà 5 jours car certains sous-foyers de Nanjing sont déjà sous contrôle du fait du traçage digital et des confinements localisés.
Reuters : Qu’est-ce qui diffère entre la Chine et les autres pays dans la méthode de reporting des données épidémiologiques Covid ?
Carole Gabay : Nous n’avons pas la capacité d’explorer les données au-delà du national en dehors de la Chine, USA, France (également Singapour et Hong Kong pour les cas importés vs locaux), mais il est fort probable que l’on trouve ailleurs qu’en Chine des incohérences et des complexités comme le puzzle inter-provinces que nous reconstituons quotidiennement pour la Chine.
Il y a néanmoins une différence importante en Chine : c’est la comptabilisation des cas asymptomatiques, qui répond à une définition différente d’une province à l’autre en fonction de l’équipement de scanners et l’historique des cas importés. Au Yunnan, on a une majorité de cas importés asymptomatiques à la frontière du Laos, et quasiment que des confirmés à la frontière avec le Myanmar, c’est probablement une question d’équipement en scanner, car les cas sont jeunes dans ces deux points d’arrivée.
A Shanghai, qui a commencé à tester les arrivées internationales systématiquement avant la fin du foyer de Wuhan, tout test positif est considéré comme confirmé. L’OMS ne comptabilise pas les cas asymptomatiques de la Chine, car il faut décompter les asymptomatiques devenus confirmés, ceci peut mener à des tendances faussées… Nous avons inclus cet algorithme dans notre process.
(La suite de la discussion avec Reuters au prochain article…)
Un éclairage de Carole Gabay
Carole Gabay est en expatriation familiale à Shanghai depuis 2013. Diplômée de l’ESSEC, avec une longue carrière dans les études de marché et data management, elle se retrouve impliquée dès le début de l’épidémie en Chine dans le tracking des données Covid avec le projet de l’équipe bénévole Solidarité Covid – Français de Chine.
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