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La découverte du Brésil par Pedro Álvares Cabral vue de l’intérieur

Le débarquement de Pedro Alvares Cabral au BrésilLe débarquement de Pedro Alvares Cabral au Brésil
La peinture "officielle" du débarquement de Cabral à Porto Seguro par Oscar Pereira da Silva (Musée National de Rio de Janeiro, 1904)
Écrit par Guillaume Thieriot
Publié le 23 avril 2021, mis à jour le 4 mars 2024

22 avril 1500 : c’est le jour où Pedro Alvares Cabral et ses hommes ont vu la côte du futur Brésil pour la première fois. Un homme à bord - Pero Vaz de Caminha - a tout observé, et tout raconté.

D’un côté des marins fétides et épuisés par 44 jours de mer. Tous blancs, poilus et vêtus. De l’autre, des indiens Tupiniquim à la peau brune tirant sur le rouge, nus et entièrement rasés, y compris les parties pubiennes. Un choc visuel, en même temps que de cultures et de civilisations. On aurait pu craindre un bain de sang, les canons des seconds contre les flèches des premiers. Mais c’est le contraire qui s’est passé. Portugais et indiens ont d’abord dansé ensemble. Un mirage avant l’heure du “tudo vai dar certo“ (tout va bien se passer), credo si brésilien.

Comment le sait-on ? Par un post à la manière de l’époque, une lettre adressée au roi du Portugal, Dom Manoel I, une “relation“ qui détaille par le menu les événements de cette semaine baptisée par les historiens la “semaine de Vera Cruz“ - du premier nom donné à cette terre par son “découvreur“, Pedro Alvares Cabral.

L’auteur de la fameuse lettre est Pero (et non Pedro) Vaz de Caminha, qui avait embarqué dans la flotte de Cabral pour devenir le comptable du nouveau comptoir de Calicut. Car tel était bien l’objectif de l’imposante flotte partie de Lisbonne le 9 mars 1500 : les Indes par la nouvelle route maritime ouverte 2 ans plus tôt par Vasco de Gama.

Le Brésil, une découverte par un détour… volontaire ?

Cette route, qui fait le tour du continent africain, ne semble pas devoir tutoyer les côtes brésiliennes. Sauf qu’à la voile, le chemin le plus rapide est souvent le plus long, et que les vents dominants de l’Atlantique Sud imposent une descente par la gauche du plan d’eau. Vasco de Gama l’avait bien compris, qui l’avait conseillé à Cabral. Avait-il aussi évoqué les signes (algues, oiseaux, morceaux de bois) indiquant une probable terre en tirant un bord plus à l’ouest ?

De fait, la thèse d’une découverte fortuite est de plus en plus discutée. Cabral n’a par exemple pas refait le plein d’eau potable à son escale au Cap-Vert, et rien dans les récits conservés ne relate un coup de vent qui aurait forcé un écart de trajectoire. Le Brésil n’était pas la destination ultime, mais le détour semble bien avoir été tenté à dessein.

A fortiori s'agissant d'une escadre de 13 navires (moins un perdu après les Canaries), dont 10 galions. Du jamais vu, de mémoire de Colomb ou de Vasco de Gama qui n'étaient partis qu'à 3 bateaux. Un investissement financé par les banquiers florentins et genevois, qui pariaient sur cette route maritime pour contrer leur concurrents vénitiens, lesquels avaient un droit de passage terrestre vers les Indes garanti par les Ottomans. On imagine donc mal une dérive hasardeuse d'une telle flotte.

Et puis il y a même une forme de sérénité qui se dégage de la lettre de Pero Vaz de Caminha, lorsqu’il raconte la navigation après le départ de Saint Nicolas, au Cap-Vert:
« Nous poursuivîmes notre route sur cette mer droit vers le large, jusqu’au mardi de l’octave de Pâques, c’est-à-dire au 21 avril, où nous rencontrâmes quelques indices d’une terre, alors que, selon les pilotes, nous étions à 600 ou 670 lieues de l’île susdite. [...]Le lendemain matin mercredi, nous rencontrâmes des oiseaux que l’on appelle pétrels brise-os, et ce jour là, à l’heure des vêpres, nous aperçûmes la terre: d’abord un grand mont très élevé et arrondi au sud duquel se trouvaient d’autres montagnes plus basses, puis une plaine couverte de grandes forêts; et le commandant donna à ce grand mont le nom de Mont Pascal, et à la terre, le nom de Terre de la Vraie-Croix. »

Le Monte Pascoal vu depuis la mer
Ce que les portugais ont dû voir il y a 500 ans : le Monte Pascoal et les eaux azur du littoral bahianais

Ils sont nus sans rien pour se couvrir; ils ne se soucient nullement de cacher ou de montrer leurs parties honteuses.

22 avril 1500 donc. Date officielle de la découverte du Brésil, au large de l'actuel Porto Seguro, selon le point de vue euro-centré. Sans doute pas la vraie première trace d’un pied européen sur le sol sud-américain (l’espagnol Vicente Pinzón, qui avait déjà secondé Colomb, y aurait atterri le 26 janvier de cette même année, après avoir essuyé une terrible tempête). Mais assurément le moment de rupture entre un avant et un après, le point de bascule, de rencontre entre l’histoire des peuples indigènes et celle, expansionniste, des nations européennes.

Cependant ce premier contact ne dit rien de la tragédie qui suivra (et qui se poursuit encore). En suivant le récit lui-même empreint d’humanisme et de tolérance de Pero Vaz de Caminho, on sourit devant les images, si détaillées qu’elles se visualisent sans peine. Comme lorsque deux indiens sont capturés et amenés à bord du navire amiral pour être présentés à Cabral, lequel les reçoit, selon l’habitude prise par les portugais dans toutes leurs conquêtes, avec beaucoup de pompe et solennité.

Visiblement, ni la tenue d’apparat de Cabral ni des nobles qui l’entourent, n’impressionnent les deux jeunes indiens. « Voici comment ils sont, nous raconte Caminha : la peau cuivrée tirant sur le rouge, de beaux visages, des nez beaux et bien faits. Ils sont nus sans rien pour se couvrir; ils ne se soucient nullement de cacher ou de montrer leurs parties honteuses; ils ont sur ce point la même innocence que pour ce qui est de montrer leur visage. L'un comme l'autre avaient la lèvre inférieure percée, avec chacun un ornement blanc en os passé dedans, long comme la largeur d'une main, gros comme un fuseau de coton, acéré comme un bout de poinçon. »

Accordéon et saltos

Nos deux indiens, qui ne saluent personne, et ne reconnaissent pas Cabral en tant que chef, se voient présenter différentes animaux. Ils reconnaissent le perroquet mais s’effraient à la vue d’une poule. On leur présente aussi quelques plats du mess des officiers. Le peu qu’ils parviennent à goûter, ils le recrachent. Y compris le vin. Leur regard cependant est attiré par l’or et l’argent du collier du commandant en chef. Un signe, veut-on croire alors, de la présence des mêmes métaux sur cette nouvelle terre, tandis que nos deux indiens s’endorment à même le pont, toujours "sans se soucier de couvrir leurs parties honteuses".

La suite de la lettre raconte cette semaine presque idyllique, où les indiens sont de plus en plus nombreux à se rassembler près des marins lorsqu’ils viennent à terre, sans aucune arme au bout de quelques jours. “Ils sont beaucoup plus nos amis que nous les leurs“ prophétise Caminha, dont on devine l’admiration pour ces êtres qui lui paraissent “d’une bonté et d’une simplicité entières“. Un avant-goût du “bon sauvage“ que l’on retrouvera, des siècles plus tard, chez Rousseau ou Montaigne.

Ainsi des récits des deux messes célébrées à terre, dont le rituel complexe intrigue les indiens, qui cependant s’agenouillent avec les portugais ou se laissent aller à des danses sonores en fin de célébration. Ou encore la scène la plus incroyable de la lettre, quand l’un des marins, Diogo Dias, profitant d’un jour de repos, amène à terre son accordéon, avant d’attraper les mains des indiens pour les entraîner dans une danse collective, qu’il ponctuera de quelques saltos joyeux. Un mirage, disions-nous, vu du XXIème siècle.

Caminha, Cabral et le Brésil : (cruels) destins croisés

La lettre de Caminha est présentée parfois comme la première œuvre écrite brésilienne, par l’invocation d’une sorte de droit du sol littéraire. Rédigée sur les plages bahianaises, elle est envoyée à Lisbonne par le navire de ravitaillement, qui ramène au roi Dom Manoel quelques spécimens de la nouvelle terre. Celui-ci la fait mettre au secret, pour la protéger des espions espagnols. La véritable conquête du Brésil attendra quelques décennies, mais la lettre, elle, ne ressortira que 3 siècles plus tard, dans la Corografia Brasílica de Manuel Aires de Casal. Plus récemment, l’UNESCO l’inscrit en 2005 à son registre de la Mémoire du Monde.

Son auteur, Pero Vaz de Caminha, qui a une cinquantaine d’années quand il la rédige, mourra quelques mois plus tard, à Calicut, probablement lors d’une attaque du comptoir portugais par les musulmans. Cabral, lui, reviendra à Lisbonne, après avoir perdu quelques navires et des centaines d’hommes à l’aller, au passage du Cap de Bonne Espérance. Mais bien qu’ayant découvert un pays continent pour la couronne portugaise, il finira dans l’oubli, pour avoir refusé de repartir vers les Indes en tant que second de Vasco de Gama. Luiz de Camões lui-même, dans ses Lusiades, ode homérique à ces conquêtes maritimes, ne citera pas une fois son nom.

Cruel destin, loin, très loin de la joyeuse insouciance des danses improvisées sur les plages de sable blanc bahianaises. A peu près aussi loin que peut s’en trouver le Brésil aujourd’hui.

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Le texte de la lettre de Pero Vaz de Caminha est publié en français aux éditions Chandeigne (Bibliothèque Lusitane). Traduction de Anne-Marie Quint et Jacqueline Penjon. Les citations de l'article proviennent de cette édition.

Elle est sinon accessible gratuitement en ligne, en portugais du Brésil moderne, comme sur ce site. On peut enfin admirer, toujours en ligne, les fac-simile du document original.

 

La lettre de Pero Vaz de Caminha
Un feuillet de la lettre de Pero Vaz de Caminha

 

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