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Aide à mourir : La Californie, pionnière américaine face aux avancées françaises

En cette fin de mai 2025, alors que l'Assemblée nationale française vient d'adopter le "droit à l'aide à mourir" par 305 voix contre 199, un regard vers l'ouest américain s'impose. Ici, en Californie, l'aide médicale à mourir est légale depuis près d'une décennie, offrant un éclairage précieux sur cette révolution sociétale que s'apprête à vivre la France.

Les mains d'une personne agée et d'un personne plus jeuneLes mains d'une personne agée et d'un personne plus jeune
Écrit par Anne-Lorraine Bahi
Publié le 29 mai 2025, mis à jour le 4 juin 2025

Depuis la Silicon Valley, où l'innovation ne concerne pas que la tech

La Californie, laboratoire de la fin de vie digne

Depuis juin 2016, la Californie autorise l'aide médicale à mourir par auto-administration de médicaments létaux, sous certaines conditions strictes. L'End of Life Option Act (EOLOA), signé par le gouverneur Jerry Brown en octobre 2015, fait de la Californie le cinquième État américain à autoriser les médecins à prescrire des médicaments pour mettre fin à la vie d'un patient en phase terminale.

La genèse de cette loi résonne particulièrement avec l'actualité française. Elle a été révélée par la famille de Brittany Maynard, une militante âgée de 29 ans atteinte d'une maladie en phase terminale qui avait exercé son droit de mourir dans l'Oregon en novembre 2014. Résidente de Californie, sa famille avait souligné qu'elle aurait préféré mourir chez elle - un écho troublant aux motivations françaises actuelles.

 

Un cadre légal strictement encadré

Les conditions d'accès en Californie révèlent une approche prudente mais déterminée. Les patients doivent répondre à des critères précis :

  • Âge et capacité : Être âgé d'au moins 18 ans et avoir la capacité de prendre des décisions médicales sans altération du jugement due à un trouble mental
  • Diagnostic terminal : Avoir une maladie en phase terminale qui ne peut être guérie ou inversée et qui devrait entraîner la mort dans les six mois
  • Autonomie physique : Avoir la capacité physique de prendre et d'ingérer le médicament
  • Résidence : Être résident californien

Le processus lui-même reflète une volonté d'équilibrer autonomie du patient et protection contre les abus. Il nécessite la consultation d'un médecin consultant qui confirme le diagnostic terminal et que le patient est qualifié selon la loi. Une période d'attente entre les première et seconde demandes orales a été réduite de 15 jours à 48 heures suite aux amendements de 2022.

 

L'expansion américaine : un mouvement irrésistible

La Californie s'inscrit dans un mouvement plus large. En 2025, l'aide médicale à mourir est légale dans douze juridictions américaines : Californie, Colorado, Delaware, District de Columbia, Hawaï, Montana, Maine, New Jersey, Nouveau-Mexique, Oregon, Vermont et Washington.

Cette option de soins de fin de vie  est actuellement autorisée dans 10 États et Washington D.C., y compris dans des États voisins comme le New Jersey, le Vermont et le Maine. Le mouvement continue de s'étendre : en mai 2025, 18 États ont une législation active sur le sujet.

L'Oregon, pionnier depuis 1997, a ouvert la voie avec son Death with Dignity Act. Depuis qu'Oregon a mis en œuvre la première loi d'aide médicale à mourir du pays. il n'y a jamais eu un seul cas crédible d'utilisation abusive de ces lois.

Carte des US montrant où  l'aide à mourir est légalisé
Dix États américains et le district de Columbia (en bleu foncé) ont adopté des lois autorisant l'aide médicale à mourir. L'Oregon a ouvert la voie lorsque les électeurs ont approuvé la Loi sur la mort dans la dignité en 1997. Dix-neuf autres États (en bleu clair) ont soit introduit une législation en 2023-2024, soit maintenu une législation reportée de l'année précédente.
Carte: Jennifer Fernandez/NCHealthNews - Source Compassion & Choices - Crée par Datawrapper

 

Réalités de terrain : entre espoir et limites

Les données californiennes révèlent l'usage mesuré de cette option. Fin 2016, 250 personnes avaient entamé le processus, 191 avaient reçu une prescription, et 111 avaient mis fin à leurs jours, 21 étant décédées de causes naturelles.

Cependant, des défis persistent. Il a été suggéré que le projet de loi pourrait exclure des Californiens en fonction de leurs revenus et de leur couverture médicale, Medicare et d'autres assureurs ne couvrant pas le coût des médicaments pour mettre fin à la vie. Typiquement, ces médicaments coûtent environ 700 dollars.

 

Une personne agée prenant des médicaments

 

Le contraste franco-américain

La comparaison entre les critères français nouvellement adoptés et le modèle californien révèle des approches convergentes mais toutefois nuancées.

Points communs :

  • Majorité légale (18 ans)
  • Capacité de décision préservée
  • Maladie grave et incurable
  • Souffrances jugées insupportables
  • Volonté libre et éclairée

Différences notables :

  • La France exige la nationalité française ou la résidence stable, tandis que la Californie se contente de la résidence
  • Le texte français prévoit un délit d'entrave à l'accès à l'aide à mourir, puni de deux ans de prison et 30 000 euros d'amende
  • Un amendement gouvernemental français autorise de manière général l'auto-administration du produit .  L'administration par un médecin ou un infirmier se fera de manière exceptionnelle.

 

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L'opinion publique : un large soutien

Dans chaque sondages menés par Gallup depuis 1996, il apparaît que 74% des Américains estiment que les patients en phase terminale devraient avoir le droit de mettre fin à leur vie sans douleur

Selon un sondage du Siena College de novembre 2023, rassemblant habitants des zones rurales et urbaines, hommes et femmes, électeurs démocrates, républicains et indépendants, il en ressort que le soutien au droit de fin de vie traverse les lignes partisanes traditionnelles, comme l'illustre l'exemple de New York où le soutien est près de deux fois plus élevé que l'opposition.

 Cette approbation majoritaire reflète une évolution des mentalités américaines face aux questions de fin de vie, où l'autonomie du patient et la réduction des souffrances sont devenues des priorités partagées au-delà des clivages politiques habituels.

 

Leçons californiennes pour la France

L'expérience californienne offre plusieurs enseignements pour le débat français qui se poursuit au Sénat cet automne :

  1. L'importance des mesures de protection : Le processus nécessite plusieurs étapes qui peuvent prendre plusieurs semaines, prouvant qu'un cadre strict n'empêche pas l'accès pour ceux qui en ont besoin.
     
  2. La nécessité de l'accompagnement : L'aide médicale à mourir n'est qu'une option. Les soins de fin de vie se déroulent souvent mieux quand ils incluent une aide supplémentaire d'une équipe d'hospice ou de soins palliatifs.
     
  3. Dans les États où l'aide médicale à mourir est explicitement légale, des efforts menés conjointement par les différents partis sont en cours pour améliorer ces lois.

Depuis la Bay Area, où l'innovation transforme régulièrement les normes établies, cette révolution de la fin de vie apparaît comme l'une des plus profondes de notre époque. Comme l'a déclaré  Olivier Falorni, le rapporteur du texte sur l'aide à mourir : " C'est un moment historique " 

La France s'apprête à rejoindre cette avant-garde de la dignité, forte de l'expérience américaine mais fidèle à ses propres valeurs. Un modèle français de la fin de vie se dessine, inspiré mais non copié, ambitieux mais prudent.

 

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