Elie Rosenberg est Français et vit depuis plus de dix ans en Chine. Installé aujourd'hui à Kunming, dans la partie Ouest de la Chine, il organise des tournées dans le pays pour les artistes internationaux. Rencontre avec un Français de Chine au parcours atypique.


Mon premier contact avec la Chine remonte à 2006
Peux-tu te présenter brièvement et nous raconter ce qui t'a amené à t'installer en Chine ?
Je vis en Chine depuis 2013, mais ma première expérience dans le pays remonte à 2006, lorsque je suis venu apprendre le chinois à Pékin. J'avais alors 18 ans, j'étais en pleine remise en question, et avide de découvertes. Après un passage marquant en Argentine, où j'ai été touché par la résilience de la population face à la crise, j'ai décidé de partir plus loin. La Chine s'est imposée naturellement, d'autant que mon frère y avait monté une entreprise et m'en parlait avec enthousiasme. Mon premier séjour a duré deux ans, pendant lesquels j'ai appris la langue, exploré la culture, et surtout découvert la scène musicale alternative très dynamique de l'époque.
Qu'est-ce qui t'a poussé à t'installer à Kunming ?
Après de nombreuses années à Pékin, ma femme et moi avons déménagé à Kunming en 2022. Cela correspondait à une période de transition, en pleine pandémie, où le climat culturel à Pékin était devenu très contraint. On nous a proposé un projet dans l'événementiel à Kunming, avec plus de liberté créative. Cela permettait aussi de se rapprocher de la famille de ma femme, originaire du Guizhou. Le choix de venir ici était autant logistique qu'émotionnel. Et puis Kunming, avec son climat doux, sa proximité avec les montagnes et sa scène culturelle en pleine ébullition, offrait un nouveau terrain d'exploration.
J'ai cofondé une agence d'événements culturels
Quel a été ton parcours avant d'intégrer Sea of Wood ?
Mon parcours est assez atypique. J'ai d'abord obtenu un BTS en commerce international en France, ce qui m'a donné une bonne base logistique et commerciale. Ensuite, en Australie, j'ai suivi une double licence en commerce international et relations internationales, avant d'entamer une maîtrise en anthropologie sociale à Oxford. Après un passage par l'ambassade de France à Pékin, j'ai cofondé avec ma femme l'agence Yichang, spécialisée dans l'événementiel culturel. On a organisé des festivals, collaboré avec des municipalités, et mêlé musique, art contemporain et performances visuelles. Mais en 2023, j'ai ressenti le besoin de me recentrer sur la musique et les artistes. Après un retour en France pour faire le point, j'ai rejoint Sea of Wood fin 2023.
Quel est ton rôle chez Sea of Wood ?
Je suis directeur du développement international. Cela signifie que je m'occupe de trois grands axes : d'abord, l'exportation de la musique de nos artistes via les plateformes internationales (Spotify, Apple Music, etc.) et des campagnes presse à l'étranger ; ensuite, l'organisation de tournées et la présence de nos groupes sur des festivals internationaux ; enfin, le développement de partenariats stratégiques, notamment avec des institutions comme l'ambassade de France, l'ambassade du Brésil, ou des labels en Europe et en Asie.
Le Yunnan est riche en pépites musicales
Quelle est la mission du label et son importance culturelle ?
Sea of Wood a été fondé il y a neuf ans par Liu Xiaofeng, un Chinois, et Sam Debell, un Britannique. Ils ont constaté que de nombreux musiciens talentueux du Yunnan étaient invisibles sur la scène nationale et internationale. Le label a donc été pensé comme un outil pour documenter, enregistrer et faire rayonner la richesse musicale de la région, en particulier celle des artistes issus des minorités ethniques. La ligne artistique va du traditionnel à la fusion, avec des projets mêlant reggae, et rock aux musiques traditionnelles, ce qui est souvent décrit comme des musiques du monde. Un sous-label, CTRL-S, regroupe les projets plus rock ou pop.
Quels artistes du Yunnan t'ont le plus marqué ?
Puman est un groupe qui me touche beaucoup. Ils allient reggae et musiques traditionnelles de façon sincère et respectueuse. Ils vont dans les villages, s'inspirent de chants anciens, et construisent un son unique. Instinkto Industrio est un autre exemple frappant : un groupe underground devenu emblématique, refusant les codes marketing classiques. Leur succès s'est fait par le bouche-à-oreille. Le collectif féministe Silvercloud, avec ses groupes comme South Acid Mimi ou Run Rabbit Run, apporte une énergie punk, engagée, et terriblement créative. C'est cette diversité qui fait la force du Yunnan musical.
Le marché musical chinois est particulier
Comment fonctionne le marché musical chinois ?
Le marché chinois est unique. Il s’est construit sur le live, car pendant longtemps, les droits d'auteur étaient peu respectés. Les labels devaient tout miser sur les tournées et les cachets. Aujourd'hui, ça change avec des plateformes comme NetEase ou QQ Music, et une meilleure structuration autour des droits. Mais l'écosystème reste à part : tout est en chinois, les plateformes sont locales, et il faut vraiment être ancré ici pour comprendre les codes et naviguer efficacement.
Quels conseils donnerais-tu aux Français qui souhaitent s'expatrier dans la musique en Chine ?
Il faut venir avec une véritable expertise, maîtriser l'anglais, et avoir au minimum des bases solides en chinois. La Chine est un marché passionnant mais exigeant. Rien ne remplace l'expérience de terrain, la compréhension des dynamiques locales, et la patience. Mais si on s'accroche, les opportunités peuvent être formidables.
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