Situé dans un delta formé par quatre fleuves - le Rhin, la Meuse, l'Escaut et l'Ems - et avec plus d’un quart du territoire situé sous le niveau moyen de la mer, les Pays-Bas sont menacés de submersion. Cette situation s’est petit à petit construite depuis des siècles. Aujourd’hui, comment perdure-t-elle dans un contexte de changement climatique et de montée des eaux?
Les Pays-Bas en proie aux inondations depuis toujours
À partir de 400 avant Jésus-Christ, les Frisons sont les premiers à coloniser les Pays-Bas. Ce sont eux qui construisent les terpen, un mot frison signifiant villages. Ces terpen sont des monticules de terre sur lesquels sont construites des maisons. Les premières digues hautes de 70 centimètres autour de ces terpen voient également le jour lors de cette période.
Jusqu’à nos jours, cette technique de construction, de protection des habitations et d’extension du territoire continue. En 1986, les Pays-Bas proclament un nouvelle province: le Flevoland. Cette province devient la douzième du pays après des avancées continues sur la mer à coup de polders entourés de digues. Ces polders sont des étendues de terre gagnées sur la mer où l’eau est d’abord emprisonnée puis captée par un ensemble de pompes. Ces pompes étaient autrefois actionnées par des moulins à vent et sont maintenant électriques.
Cette situation et ces avancées sur la mer ne sont pourtant pas sans risque. L’histoire néerlandaise est marquée par des épisodes d’inondations fréquents et parfois de grande ampleur.
En 1287, les digues et les terpen qui retiennent la mer du Nord cèdent, et les eaux inondent le pays. Connue sous le nom de crue de Sainte-Lucie, cette inondation tue plus de 50.000 personnes et est considérée comme l'une des pires de l'histoire.
En 1953, les conditions météorologiques, les grandes marées et un système encore inefficace de prévention des populations emportent près de 1.800 personnes lorsque l’eau s'élève jusqu'à 4,50 mètres au-dessus du niveau habituel. C’est à la suite de cette catastrophe, que le Plan Delta est mis en place dans le pays pour massivement construire et renforcer les digues protégeant la population.
Malgré cela, d’autres inondations marquent la population. En 1995, par exemple, 240.000 personnes sont évacuées par mesure de précaution pour que les digues soient renforcées une fois de plus.
La montée du niveau de la mer liée au dérèglement climatique: un risque important pour les Pays-Bas
Aujourd’hui, un quart du territoire se situe sous le niveau moyen de la mer et certaines régions atteignent même moins 6,76 mètres, record en Europe. Or, d'après le Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les terres de très basse altitude pourraient être très vite affectées par la montée des océans liée au dérèglement climatique (Chapitre 13 du rapport du GIEC de 2022, Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability). En effet, selon une étude publiée en 2017 par des chercheurs de l'Université d'Utrecht, le niveau de la mer du Nord pourrait s'accroître d'1 mètre à 1,5 mètre d'ici à 2100.
Se basant sur le rapport du GIEC, les experts du projet Climate Central ont créé une carte interactive pour mesurer l'impact de cette élévation du niveau des océans. Voici le résultat pour les Pays-Bas des zones à risque par l'élévation du niveau de la mer et les inondations côtières d’un mètre seulement au-dessus du niveau moyen de la mer. Vous pouvez retrouver leurs travaux ici.
Changer de mentalité: penser avec l'eau plutôt que lutter contre
Deux grands plans phares sont actuellement en place aux Pays-Bas contre les inondations :
- Le Plan Delta du 21e siècle qui se concentre sur la sécurité aquatique, gestion et préservation de l’eau douce et adaptation spatiale du territoire;
- Le Programme de Protection contre les Inondations qui insiste surtout sur le renforcement des digues via le Haut Programme de Protection contre les crues (HWBP en néerlandais). Leur rapport annuel de 2023 prévoit le renforcement de 2,000 kilomètres de digues d’ici à 2050.
Toutefois, les digues ne sont pas une solution durable et ces plans ne sont pas toujours en lien avec la protection de la biodiversité aux Pays-Bas. En effet, ces digues sont souvent situées près ou dans des zones protégées. 24% de la zone côtière et marine néerlandaise est officiellement protégée, notamment via des zones Natura 2000. Aussi, penser avec l'eau plutôt que lutter contre, telle devrait être la nouvelle devise des Néerlandais.
Au-delà des travaux de digues, et au vu de leur impact environnemental, il est devenu évident que l’augmentation continue de la norme prescrite de hauteur des digues n'est pas la seule solution.
En 1996, le document politique Ruimte voor de Rivier (Espace pour la rivière en français) préconise l’élargissement du lit de la rivière plutôt qu’un nouveau renforcement à grande échelle des digues. Afin d’éviter les inondations dans un avenir proche, le gouvernement néerlandais modifie le cours de plus de 30 rivières dans tout le pays pour laisser place aux rivières.
En parallèle, des solutions locales en s’appuyant sur la nature sont trouvées en entretenant les dunes ou en plantant des mangroves devant les digues. Ces plans et solutions semblent fonctionner pour le moment dans un contexte où il paraît impensable pour la population de déménager. Toutefois, selon certains commentaires d'employés à la gestion du risque inondation au Rijkswaterstaat, “si demain le niveau de la mer augmente de 2 mètres par siècle, le phénomène sera sans doute trop rapide pour la stratégie actuelle”.
Des idées de visites sur le sujet de la montée des eaux
Pour voir les projets néerlandais et questionner les enjeux à venir, voici certaines suggestions de visites :
1. Le projet de migration des poissons par l'Afsluitdijk est un projet de restauration de la nature visant à éliminer tout obstacle pour les poissons migrateurs. Au cœur du projet se trouve la construction d'un nouveau passage à travers l'Afsluitdijk, pour assurer une transition progressive de l'eau salée à l'eau douce (et vice versa) Pour en savoir plus, ici.
2. À IJmuiden, les brise-lames de l'entrée du canal de la mer du Nord protègent le port contre les vagues. Ces brise-lames sont constitués de blocs de béton mais la surface des blocs, ainsi que les fissures et les espaces entre ces blocs, constituent des habitats pour une diversité de flore et de faune marines comme des algues, des insectes, des crabes et des crustacés, des poissons et des oiseaux. Cela est pris en compte lors de leur rénovation.
3. Pour s’adapter au climat, tout en faisant face au manque d’espace agricole, une ferme laitière flottante futuriste de trois étages a été créée, amarrée dans le port de Rotterdam. Sans oublier les conditions animales qui peuvent être questionnées, le projet invite à revisiter l’adaptation climatiques des élevages et de l’agriculture.
Un avenir incertain pour les Pays-Bas
Au-delà du risque d’inondation et de sécurité des populations, le domaine agricole des Pays-Bas est également en proie à des périodes de sécheresse et de pluie intensive. Les sols sont aussi sujets à une salinisation rapide, menaçant la production néerlandaise.
Aussi, entre prouesses techniques et potentielle obligation de déplacements de populations, le modèle des Pays-Bas est poussé à se repenser et va devoir trouver de nouveaux compromis.