La petite France de Carroll Gardens n’existait pas encore mais les premiers Français avaient déjà leur “petite colonie” à New York. Laurène Hamilton, fondatrice de New York Prive LLC, est allée enquêter sur les premiers Français à s’être implantés à New York.
Une immigration française motivée par la liberté de culte
Quand on parle de New York et de l’histoire de son immigration, on mentionne rarement les premiers Français qui s’installèrent dans la métropole. Contrairement à Little Italy ou Chinatown, l’ancrage de la communauté française ne fut pas aussi marqué car moins nombreux. Et pourtant les racines françaises sont déjà présentes avec la formation de la Société des Huguenots en 1658 encore du temps de la nouvelle Amsterdam. Tout d’abord dans le sud de Manhattan, c’est finalement entre le sud de Washington Square et la 33e rue que ces colons français s'installèrent au 19e siècle. Si les racines protestantes des Français se sont estompées avec le temps, la communauté française et francophone a su se souder autour d’institutions religieuses catholiques et caritatives dans la zone de Chelsea actuelle.
Des institutions économiques et culturelles fortes au service des Français de New York
Cette petite “colonie française” se développe autour de grands noms tels que M. Edmund Bruwaert, fondateur de la chambre du commerce franco-américaine en 1885. Au début, cette organisation bénéficiait surtout au groupe des importateurs de produits français avant de s’ouvrir à d’autres industries. À la fin du 19e siècle, on importait du vin, des conserves, des chocolats et des œuvres d’art depuis la France. En 1902, sur les 4 millions d’habitants que comptait New York, 26,000 étaient d’origine française. L’engouement pour la langue et la culture française avait perduré et restait fort parmi ces colons. Afin de nourrir ce lien vers le pays de la langue de Molière, l’Alliance Française est créée en 1883. Son but ? Promouvoir la langue française à travers la littérature et la culture.
Crédit photo : Laurène Hamilton
Des vestiges de lieux phares de la communauté française dans le Chelsea actuel
Ainsi le cœur de la communauté française, se trouvait au Cercle Français de l’Harmonie. Situé au 24 West sur la 26th street ce club privé constitué le noyau dur des Français souhaitant se retrouver. Ses bals et soirées grandioses ne laissaient pas de marbre. Qui dit France dit bonne chair. La confrérie de chefs français “L’art culinaire” se trouvait au 105 West 28th street. Tout comme aujourd’hui la communauté française de New York s’entraidait. Ainsi les plus fortunés financent des organisations caritatives. Parmi les institutions les plus importantes, on pouvait compter :
La congrégation Saint-Vincent de Paul et son orphelinat. Saint Vincent se trouve sur la 24e rue juste en face du fameux Chelsea Hotel. Saint Vincent de Paul a toujours joué un rôle central depuis sa création en 1841. La congrégation s’installe dans l’église actuelle en 1856 pour répondre aux besoins du nombre croissant de Français s’installant dans le quartier de Chelsea. Fait insolite : Edith Piaf, s’y est même mariée avec Jacques Pills en présence de Marlène Ditrich en 1952. Beaucoup de bénévoles s’impliquaient au sein de la société de St Vincent de Paul en association avec la YMCA et publiaient même un quotidien mensuel : “l’Union Française”. Encore plus insolite, la lecture de l’annuaire franco-américain de New York. Ainsi de la parfumerie aux pompes funèbres en passant par les assurances, vous pouviez trouver des français dans toutes les industries de New York. Quel contraste avec les industries principales recrutant des francophones à New York aujourd'hui. Cette institution, qui organisait des messes catholiques pour tous les francophones de New York, n’aura pas perduré. En 2009, Saint Vincent de Paul est menacé : peu de moyens financiers, pas de désignation "landmark"et des dettes qui s'accumulent. Quand on passe devant les vitraux ont disparu remplacés par des panneaux de bois suite aux attentats de la 23ème rue en 2016.
La société française de bienfaisance fondée en 1809 gérait quant à elle un hôpital de 100 lits au 320 West 34th street. Son objectif : aider les immigrés français à New York. Cette mission évolua puisqu’en 1928, seulement 10% des patients étaient français. Après avoir changé d’emplacements, c’est finalement sur la 30e rue que vous retrouverez les traces de cet hôpital. Arrêtez-vous devant le numéro 330. L’hôpital ferma en 1977 et fut transformé en résidence “les French Appartments”. On distingue encore clairement les fleurs de lys, ainsi que le fronton gravé par “ Société Française de Bienfaisance”.
La fin de la Résidence de Jeanne D’Arc à New York
Non loin de là au 253 West 24th Street , un joli building en brique datant de 1896 affiche discrètement le nom d’une icône française : Jeanne D’Arc. Depuis 1898, les sœurs de la congrégation de la Divine Providence offrent un service de résidence bon marché à des jeunes filles de plus de 40 nationalités. Fondée par le prêtre français Jean-Martin Moye au 18e siècle, la congrégation Catholique de la Divine Providence existe toujours. La résidence Jeanne d’Arc fut établie pour accueillir des jeunes filles françaises fraîchement débarquées à New York. Les familles New Yorkaises appréciaient avoir des gouvernantes françaises à leur service. Et la résidence Jeanne d’Arc devint une référence pour ces familles. Ces jeunes filles travaillaient comme gouvernantes, femmes de ménage, ou gardes d’enfants. Cet établissement, maison des “Françaises sans amis” comme le formule un article du New York Times de 1896, fut cruciale pour le quartier français de Manhattan. Ces jeunes filles qui pouvaient aussi être suisses ou belges et pas forcément catholiques, bénéficiaient ainsi de repas à 25 centimes et d’hébergement à prix réduit.
Par un bel après midi de mars 2021, cet établissement nous a ouvert ses portes. La pandémie a bien réduit les effectifs des résidents puisqu’une cinquantaine de pensionnaires résident actuellement dans le building Jeanne d’Arc. Dans la chapelle une jeune femme d’origine coréenne s’entraîne au piano. Dans la bibliothèque une autre jeune femme brésilienne étudie pour son examen : elle veut devenir dentiste. La religieuse nous montre toutes les pièces. On sent le calme d’un foyer bienveillant. Les meubles sont rustiques et dépareillés, mais une chaleur humaine se dégage de ce foyer. On est comme coupé du temps à l’intérieur. Les religieuses de la Divine Providence incarnent le rôle de la tante chez qui on serait hébergé pendant ses études. Le bouche à oreille a toujours bien fonctionné avec des listes d’attente pour devenir pensionnaire. Une chambre à Chelsea pour 600 dollars garantie pour 5 ans — 4 ans d’étude et 1 an pour trouver un emploi — est un bon début à New York. Cette résidence va malheureusement fermer ces portes à ses dernières résidentes le 30 juin 2021. Une seule règle : pas d’homme dans la résidence ! La congrégation de la Divine Providence a décidé de vendre malgré l’injonction des sœurs de garder le lieu ouvert. C’est une partie de la colonie française qui part avec ces sœurs.
Espérons que ce bâtiment soit conservé et non détruit pour construire une énième tour de luxe...