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La première exposition new-yorkaise sur la Figuration narrative

Figuration narrativeFiguration narrative
Crédit image : Richard Taittinger Gallery
Écrit par Rachel Brunet
Publié le 10 mars 2021, mis à jour le 12 mars 2021

Richard Taittinger Gallery célèbre ce mois-ci son sixième anniversaire, mais pas que ! À compter de ce samedi 13 mars 2021, la célèbre galerie de Ludlow Street dans le Lower east Side, fondée par Richard Frerejean Taittinger présente « NARRATIVE FIGURATION '60s - '70s », la première exposition new-yorkaise complète sur le mouvement de la Figuration narrative, née à Paris. Le travail de neuf artistes internationaux  associés au mouvement artistique, actifs à Paris tout au long des années 1960 et 1970 sera visible jusqu’au 16 mai prochain.

 

Figuration narrative

Fromanger - Printemps ou la vie à l’endroit - 1972

 

« NARRATIVE FIGURATION '60s -' 70s »

Valerio Adami, Eduardo Arroyo, Erró, Gérard Fromanger, Jacques Monory, Bernard Rancillac, Peter Saul, Hervé Télémaque et Cybèle Varela sont les neufs artistes internationaux mis à l’honneur dans « NARRATIVE FIGURATION '60s -' 70s » exposition organisée par Richard Frerejean Taittinger en collaboration avec Yoyo Maeght, partenaire de longue date et amie de la galerie. Les deux commissaires d’exposition. « Cette exposition est à ma connaissance la toute première exposition sur le mouvement parisien de la Figuration Narrative à New York, qui fut l'épicentre du mouvement dominant de l'époque : le Pop Art, » explique Richard Frerejean Taittinger. Et de rajouter « nous prévoyons la publication d'un catalogue d'exposition avec un essai écrit par Jean Luc Chalumeau en français et traduit en anglais. »

Pour comprendre ce mouvement, il faut remonter aux années 60 et prendre la direction de l’Europe. Les sixties, la décennie créative et créatrice. Une nouvelle figuration apparaît aux États-Unis et en Europe. Tandis qu’à New York, le pop art offre un regard neuf sur une Amérique en plein bouleversement, à Paris, des peintres venus de France, d’Italie, d’Espagne, du Portugal, d’Allemagne ou d’Islande prennent, eux aussi, appui sur les images issues de la publicité, du cinéma et de la presse à grand tirage. Regroupés dans le mouvement de la figuration narrative, ils se font les critiques sans complaisance de cette nouvelle société marquée par le règne de la consommation. Témoins engagés, plusieurs d’entre eux participeront d’ailleurs à la contestation politique qui aboutit aux événements de Mai 68 en France.

Ces peintres d’origines diverses se reconnaissent, reconsidèrent l’esthétisme, la technique et le rôle de la peinture en s’engageant politiquement ; aujourd’hui on retient surtout qu’ils ont introduit la narration dans la figuration.

Mais ces artistes de la Figuration narrative n’ont jamais constitué un véritable groupe. Le critique Pierre Gaudibert observait en 1992 qu’il n’est « qu’un simple regroupement arbitraire de ceux qui voulaient redonner à la peinture une fonction politiquement active.» Ces artistes ont donc conduit des carrières essentiellement individuelles et, avec les années, les occasions de se retrouver ensemble sont devenues rares. L’exposition de la Richard Taittinger Gallery est ainsi exceptionnelle, et il convient dès lors de situer chacun des neuf artistes aujourd’hui réunis, dont certains ont malheureusement disparu.

 

Figuration narrative

Erro - Going to play tennis - 1974

 

Neuf artistes

L’artiste italien Valerio Adami développe une œuvre essentiellement construite sur un dessin classique. Il a saisi des scènes de la vie quotidienne dans les années 60-70, notamment après un long séjour à l’hôtel Chelsea de New York, d’où vient par exemple Figura in casa (1970-71) caractérisée par un érotisme glacé. Adami s’est fixé depuis à Montmartre, à Paris. Observateur de l’actualité internationale dans les années 2000, il explore aujourd’hui davantage les mystères de l’inconscient, toujours avec son dessin aux contours à la fois inattendus et impeccables, ainsi que son emploi systématique des couleurs franches par plages unies.

L’espagnol Eduardo Arroyo fut d’abord un journaliste militant antifranquiste. Obligé de se réfugier en France en 1958, il s’installe à Paris et rejoint le salon de la Jeune Peinture qu’il contribue largement à politiser radicalement. En 1965, il réalise avec Gilles Aillaud et Antonio Recalcati une suite de huit tableaux dénonçant le rôle à ses yeux pernicieux de Marcel Duchamp présenté comme otage au service du capitalisme. Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp créa un choc. L’œuvre est installée aujourd’hui au musée Reina Sophia de Madrid. Elle a été prêtée en 2002 à la critique britannique Sarah Wilson pour son exposition Paris, capitale des arts 1900-1968, à la Royal Academy of Arts de Londres. Vivre et laisser mourir... Conçue par le seul Arroyo et réalisée à six mains est en effet considérée comme une œuvre emblématique de la Figuration narrative. Un tableau lui aussi très connu, présent à l’exposition de New York, Six laitues, un couteau et trois épluchures (1965) s’attaque insidieusement à l’image de Napoléon Bonaparte, personnage évidemment détesté par l’espagnol révolutionnaire Eduard Arroyo.

Errò s’est installé à Paris en 1958. D’abord proche des surréalistes, sa boulimie d’images sursaturées l’a rapidement conduit à la Figuration narrative dont il est rapidement devenu une figure majeure de réputation internationale avec des tableaux essentiellement politiques, mais aussi éventuellement érotiques, par exemple en empruntant avec ironie un thème d’estampe japonaise : Tank-Part (1974). Il ne quitte jamais la figuration et lui inocule une bonne dose des sarcasmes que lui inspire l’évolution du monde. Il imagine avec délectation les Gardes rouges de Mao prêts à envahir un « intérieur américain », il ridiculise Margaret Thatcher ou Ronald Reagan, il dénonce les stratégies des « majors » du pétrole sans oublier de puiser dans ses propres fantasmes dont il sursature son univers à la fois délirant et terriblement proche de la vie quotidienne de ses contemporains.

Gérard Fromanger s’est révélé en 1968 à l’atelier populaire des Beaux-Arts et au salon de la Jeune Peinture. Il était déjà auteur, en 1965, d’un des tableaux emblématiques de la Figuration narrative Le Prince de Hambourg. Cette œuvre appartenait à la série des Pétrifiés dont La conquête de l’impossible  offre un autre remarquable exemple : les joueurs apparaissent figés dans leur effort intense pour attraper un insaisissable ballon, métaphore possible du drame de la condition humaine. Fromanger a développé depuis une œuvre procédant par séries dont certaines ont suscité des textes importants de Jacques Prévert, Gilles Deleuze, Michel Foucault et Serge July. La peinture de Fromanger n’est pas là pour lancer des messages particuliers, mais pour contredire globalement ce qui, dans l’Histoire, n’est pas acceptable.

 

Figuration narrative

Monory - Le contre ut - 1964

 

Jacques Monory fut graphiste professionnel pendant dix ans avant de se consacrer exclusivement à la peinture à partir de 1962. Monory se définissait comme « peintre narratif d’ordre affectif ». Il n’a pas cessé de se mettre en scène lui-même, habillé comme les héros des films qui avaient marqué son enfance, particulièrement Humphrey Bogart. Passionné de cinéma, on lui doit plusieurs courts-métrages. Obsédé par le thème de la mort, Monory a bâti un ensemble pictural parmi les plus singuliers de son temps. Jean- François Lyotard a vu en lui un « philosophe spontané » : son œuvre est une question précisait-il, cette question est la plus commune : quel est le sens de la vie ? Monory aura posé cette question avec un accent inimitable depuis les années 60. Un tableau de cette époque, Jamais plus de fleurs (1969) est exemplaire. Ces fleurs seraient-elles symboliques ? Pour l’artiste, le symbolique est un acte d’échange qui met fin au réel et, de ce fait, supprime l’opposition entre le réel et l’imaginaire. Ici, on voit comment Monory dénonce a pseudo-objectivité de la nature. Cette objectivité vient en fait de la séparation arbitraire de l’homme par rapport à elle. D’où l’inimitable ambiguïté de tout tableau de Jacques Monory.

Bernard Rancillac commença à exposer en 1956 et devint un des piliers de la galerie Mathias Fels avec Hervé Télémaque. Il peint sa vision de l’actualité internationale à partir de photographies choisies dans des journaux et magazines ou achetées dans les agences de presse. Ainsi Fin tragique d’un apôtre de l’Apartheid (1966) fait écho à un évènement de l’actualité sud-africaine à partir d’un cliché de presse. Le sujet n’était guère « pop » mais la manière de le traiter montrait le ralliement de l’artiste aux procédés mis en œuvre aussi bien par Andy Warhol que par David Hockney. Cette technique de report photographique lui a permis de rester fidèle au témoignage de son ressenti des évènements de l’actualité.

Peter Saul s’est lancé à partir de 1958 dans une imagerie qu’il qualifie lui-même d’insensée. Violemment expressionniste, voire pornographique, Peter Saul dénonce inlassablement les violences sociales de son temps - Donald Duck et les nazis, 1991 - à l’aide de couleurs crues et de formes qui sont avant tout des déformations. Il a fait partie de l’aventure de la Figuration narrative dès 1964, comme en témoigne Killroy (1966), image féroce visant explicitement la société américaine.

Hervé Télémaque est l’initiateur avec Rancillac des Mythologies quotidiennes en 1964, il fait partie des fondateurs de la Figuration narrative. Depuis lors, il a évolué et aime se définir comme un « peintre fictionnel ». Ses œuvres très élaborées sont d’une lecture volontairement difficile. D’une écriture impeccablement précise, elles isolent des objets que l’artiste associe en de mystérieux rébus. Contamination verte (1970) est un tableau particulièrement significatif de cette démarche souvent austère.

Cybèle Varela adopte tôt une démarche proche à la fois du pop art et de la Figuration narrative. Pour sa première participation à la Biennale de Sao Paulo en 1967, son œuvre est retirée par les autorités qui la jugent offensante pour le gouvernement. Elle a séjourné à Paris dans les années 70 où sa réflexion picturale sur une société qui n’est plus ouverte sur la nature a été remarquée. C’est au contraire la nature qui vient jouer dans les intérieurs à titre d’ « ambiance », ce qu’elle traduisait par de savants jeux de reflets et de larges aplats colorés.

 

« À eux tous, ces neuf artistes représentent parfaitement l’originalité, la diversité et la puissance de la peinture européenne qui s’est incarnée dans les années 60-70 à Paris dans la Figuration narrative. D’autres peintres importants comme Peter Klasen, Vladimir Velickovic, Aillaud ou Recalcati en faisaient alors partie eux aussi, qui pourraient bien évidemment faire l’objet d’une deuxième exposition » conclu la Richard Taittinger Gallery.

 

 

« NARRATIVE FIGURATION 60s - 70s » exposition présentée par Richard Taittinger Gallery du 13 mars au 16 mai 2021

Vernissage le 13 mars de 14h à 18h

Richard Taittinger Gallery - 154 Ludlow Street, New York, New York 10002

 

Figuration narrative

Mancillac - La fin tragique d’un apôtre de l’apartheid - 1960