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Jérémie Muller, l’Alsacien qui réinvente la cuisine du partage à Montréal

Arrivé au Québec en 2018 « pour deux ans », il n’est jamais reparti. Formé dans les grandes maisons françaises, intronisé par l’Académie culinaire, champion du monde de l’œuf meurette, Jérémie Muller s’est taillé une place à part dans la scène gastronomique montréalaise. Entre souvenirs alsaciens, techniques françaises et influences venues d’ailleurs, il défend une cuisine de chef, libre et généreuse, tournée vers le partage.

Jérémie MullerJérémie Muller
Le Chef alsacien Jérémie Muller s’est taillé une place à part dans la scène gastronomique montréalaise - Photo Courtoisie
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 21 octobre 2025, mis à jour le 22 octobre 2025

 

 

Né au pays des tartes flambées et des marchés de village, Jérémie Muller a très tôt compris que les bases sont le seul passeport valable pour voyager. « Avant d’oser créer, il faut maîtriser. Chez Bocuse, on ne triche pas avec la rigueur », confie-t-il. Entré jeune chez le maître lyonnais, il découvre l’exigence absolue : précision du geste, respect des produits, œil du chef.

Ce passage marque une vie. « La difficulté n’était pas d’y entrer, mais d’y rester. On était six nouveaux, quatre ans plus tard, j’étais le seul à être encore là ». De cette école, il garde la discipline, mais aussi l’idée que la mémoire culinaire nourrit l’avenir.

 

Montréal, le goût de l’ailleurs et le droit de créer

En 2018, il traverse l’Atlantique, contrat en poche, sans imaginer s’y installer. Montréal lui offre une ouverture qu’il ne soupçonnait pas. « En France, on reste souvent enfermés dans notre terroir. Ici, on peut tout découvrir : le Japon, l’Amérique du Sud, le Portugal… chaque cuisinier m’apprend quelque chose ».

Chef dans un restaurant à identité portugaise, il refuse pourtant les étiquettes. « Je ne veux pas d’un restaurant français ou portugais. Je veux une cuisine de chef. Mon assiette raconte mes rencontres ».

C’est ainsi qu’il marie un beurre blanc à un poisson portugais ou une fleur d’ail québécoise à une mousseline de grenouille. Des fusions sincères, jamais forcées.

 

La fleur d’ail, un secret bien gardé du Québec

Longtemps méconnue en France, la fleur d’ail est devenue l’un des ingrédients fétiches de nombreux chefs québécois. Il s’agit du bourgeon floral de l’ail, cueilli avant sa floraison pour encourager le bulbe à se développer. Sa tige tendre, légèrement croquante, offre une saveur plus douce, plus verte et moins piquante que l’ail traditionnel.

Utilisée en pesto, en émulsion ou simplement poêlée, elle apporte une touche végétale, presque herbacée, qui séduit par sa subtilité. « J’adore la fleur d’ail parce qu’elle raconte le Québec à elle seule : rustique en apparence, raffinée en bouche », explique Jérémie Muller.

À mi-chemin entre condiment et légume, elle permet aux chefs de réinventer leurs classiques tout en enracinant leurs plats dans le territoire. Dans le menu alsacien du 30 octobre, elle vient ainsi bousculer la tradition… sans jamais la trahir.


 

Le partage, fil rouge de sa cuisine

Dans sa brigade comme dans sa salle, le mot d’ordre est le même : convivialité. « Un repas n’est pas une performance, c’est un moment. Quand les gens se passent les plats, ils se parlent. Et ça, on l’a un peu perdu ». Adepte des plats qui se passent de main en main, il défend une cuisine de partage, à rebours des expériences solitaires.

 

 

« Je ne cuisine pas pour la ligne. Je cuisine pour la joie »

 

Sa cuisine est gourmande, assumée, sans repentir diététique. Ses plats préférés ? Ceux qui s’ouvrent, se partagent, racontent une histoire autour d’une sauce, d’un souvenir ou d’un silence.

 

Helena Loureiro, Emeline Pero et Jérémie Muller
Helena Loureiro et Jérémie Muller chez Emeline Pero (au centre) dans son restaurant Les Botanistes à. Quebec.

 

 

Chez Helena, là où sa cuisine prend racine

Installé depuis huit ans aux fourneaux du Restaurant Helena, adresse emblématique du Vieux-Montréal dirigée par la cheffe portugaise Helena Loureiro, Jérémie Muller a trouvé un lieu à son image : rigoureux et chaleureux. Ici, au milieu des parfums de morue grillée et de poulpe à la portugaise, il a pu affirmer une cuisine de chef, affranchie des frontières.

 

« Helena m’a offert une liberté rare. Tant que je respecte l’esprit d’un plat, elle me laisse raconter ma propre histoire. »

 

C’est dans ce même établissement, exceptionnellement privatisé pour l’occasion, qu’aura lieu le dîner alsacien du 30 octobre, organisé avec la communauté des Alsaciens de Montréal. Une soirée presque intime, où les tables du restaurant portugais se transformeront en auberge d’Alsace. « Ce soir-là, je ne cuisinerai pas pour une salle, mais pour des souvenirs », dit-il. Entre la pierre du Vieux-Montréal et ses racines du Rhin, il fera voyager les convives d’une rive à l’autre.

 

Le dîner alsacien du 30 octobre, plus qu’un menu : une mémoire à table

Le 30 octobre, les Alsaciens de Montréal se réuniront autour d’un repas pensé comme une traversée intime, entre souvenirs de terroir et découvertes québécoises. Pour Jérémie Muller, ce dîner n’est pas une démonstration technique, mais un hommage. « Ce soir-là, je veux que chacun sente l’odeur des cuisines familiales, celle des dimanches où l’on se presse autour de la table », confie-t-il.

 

 

Informations et inscription à la soirée du 30 octobre

 

 

Foie gras en duo, mousseline de grenouille, kouglof réinventé : chaque plat sera l’écho d’une mémoire, mais jamais figé dans le passé. « Je veux que les convives goûtent l’Alsace… mais avec l’accent du Québec. Une émulsion de fleur d’ail dans une sauce au vin, c’est exactement moi ». Ces recettes revisitent les classiques, en y glissant les produits trouvés ici : fleur d’ail, acidités locales, etc.

Cette soirée sera aussi une rencontre entre expatriés et curieux, un moment pour raconter sa région autrement qu’avec des cartes postales. « Un livre de recettes, ça ne suffit pas. Il faut dire pourquoi un plat nous suit depuis l’enfance, ce qu’il réveille », insiste-t-il. Car au-delà des assiettes, Jérémie Muller veut créer une émotion collective – ce silence particulier qui tombe parfois entre deux bouchées, quand un souvenir revient sans prévenir.

 

Les tomates ancestrales, couleurs du terroir québécois

Issues de variétés anciennes, souvent introuvables dans les circuits industriels, les tomates ancestrales du Québec se distinguent par leurs formes irrégulières, leurs teintes surprenantes — du jaune soleil au pourpre sombre — et leurs saveurs franches, parfois presque vinoses.

Cultivées en petits lots par des maraîchers passionnés, elles séduisent les chefs à la recherche d’authenticité. « Ce ne sont pas des tomates parfaites, ce sont des tomates vraies. Avec leur peau fine, leur acidité vive, elles obligent à cuisiner avec respect », souligne Jérémie Muller.

Servies en salade avec un simple pesto de fleur d’ail ou déposées crues sur un poisson, elles incarnent une philosophie : celle d’une cuisine où le produit dicte le geste. Plus qu’un ingrédient, un rappel que chaque assiette commence dans un champ, non dans une fiche technique.

 

 

Jérémie Muller et une partie de sa collection de cuivres patinés
Jérémie Muller et une petite partie de sa collection de cuivres patinés

 

Un chef discret, une âme ancienne

Peu présent sur les réseaux, collectionneur de livres anciens et amateur de cuivres patinés, il se dit « vieille âme dans un jeune corps ». Voyageur par concours, par rencontres, jamais par posture. Paris, Washington, Sicile : partout, il apprend.

 

 

« Voir d’autres cuisines, ça nourrit. Mais je ne cours pas après les étoiles. Je cours après le plaisir. »

 

Aujourd’hui pleinement épanoui au Restaurant Helena, où il signe depuis plusieurs années une cuisine de chef, Jérémie Muller regarde l’avenir sans précipitation. « Je suis bien ici, dans une maison qui me fait confiance. Mais dans ce métier, on ne sait jamais de quoi demain sera fait… », dit-il avec un sourire.

 

 

Jérémie Muller à la pêche, au Québec
Jérémie a découvert les joies de la pêche au Quebec.

 

 

Et après ?

Jérémie Muller construit sa route comme il compose ses plats : sans dogme, au gré des saisons et des rencontres. Cuisine de chef, cuisine du cœur, cuisine du monde… Peu importe le mot, tant que la table reste un lieu de partage. Reste une question, essentielle : jusqu’où peut mener la fidélité à soi-même quand elle s’allie à la curiosité des autres ?

 

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