Dans son exposition « Tides » (« Marées ») Philippa Langrish, artiste anglaise installée aux Philippines depuis 2013, fait dialoguer d’émouvants portraits de femmes et de mystérieuses images marines. Rencontre avec une artiste qui inscrit au cœur de son projet les liens profonds tissés dans le cours de ses voyages.
lepetitjournal.com/manille : Vous êtes aujourd’hui une artiste reconnue sur la scène philippine. Vous est-il cependant possible de revenir pour nous sur vos « débuts » ? De nous raconter, en quelques mots, quand et comment le choix de l’art s’est imposé à vous ?
Philippa Langrish : Lorsque j’étais encore enfant, à l’école, en Angleterre, j’étais particulièrement intéressée par l’art et les sciences. L’art sous toutes ses formes : la littérature et la poésie anglaise évidemment, le dessin et la peinture, l’art au cœur même des sciences.
L’art dans les sciences ? Vous est-il possible de préciser cette idée ?
Mon père était scientifique et les images d’expériences chimiques comme les schémas biologiques présents dans les nombreux livres qui nous entouraient (les représentations d’insectes et d’oiseaux, tout particulièrement) ont été une grande source d’inspiration pour moi.
Revenons, si vous le voulez bien, sur votre parcours. Au-delà de cet intérêt précoce pour l’art, quand et comment avez-vous envisagé d’en faire un métier ?
Au lycée, en Angleterre, on doit choisir trois disciplines. J’ai naturellement opté pour l’art, la littérature anglaise et le théâtre. J’imaginais alors travaillé comme plasticienne pour le théâtre. C’est d’ailleurs dans ce domaine que j’ai présenté mon master.
J’ai en fait commencé ma carrière de peintre pour une agence immobilière : je produisais alors de grandes toiles abstraites et colorées pour décorer des maisons témoins.
Puis j’ai travaillé pendant 9 ans pour le théâtre, où j’ai réalisé des installations autour de thématiques liées aux programmations de plusieurs théâtres de Londres. J’ai collaboré notamment avec Sir Peter Hall autour de Shakespeare.
Parce que le métier de plasticienne reste cependant difficile, tout particulièrement à Londres, j’ai diversifié mon activité, dans le secteur du théâtre toujours.
Ce n’est en fait qu’en 2010, lorsque j’ai quitté l’Angleterre pour la France, que j’ai décidé de me consacrer à nouveau pleinement à la peinture. Je n’avais jamais cessé de peindre, mais, pour d’évidentes raisons matérielles, mon activité était réduite.
En 2013, j’ai suivi mon mari aux Philippines et ai tout naturellement poursuivi mon travail de peinture.
Comment une peintre anglaise se fait-elle connaître des réseaux artistiques philippins ? Exposer aux Philippines et s’y faire reconnaître a-t-il été facile ?
J’ai pu, dès 2015, présenté une première exposition de portraits. J’ai été alors particulièrement bien conseillé par le galeriste qui accueillait mon travail et qui m’a engagé à ne donner à voir qu’une facette de mon travail, sous un format unique d’ailleurs, afin de ne pas décontenancer ce public qui ne me connaissait pas, et de lui permettre de découvrir mon univers et mon savoir-faire.
A l’issue de cet évènement j’ai eu 7 commandes : plusieurs familles, avec des enfants, et des personnes parfois très âgées, d’horizons très variés. Une année de travail intense s’en est suivie.
Vous appréciez l’art du portrait. Vous est-il possible de nous en dire quelques mots ?
J’ai besoin de faire connaissances avec l’individu que je dois portraiturer.
Chaque portrait est une rencontre.
Il peut s’agir de rencontres réelles, ou d’un travail à partir de photographies, des bribes d’histoires que l’on a bien voulu me livrer…
Certaines de ces rencontres peuvent être difficiles lorsque les personnalités et les histoires des individus dont je dois faire le portrait sont trop éloignées de moi.
Jeunes, j’aimais dessiner dans le métro de Londres les inconnu(e)s immobiles. Inventer leurs histoires.
Votre exposition actuelle au Pinapple Lab présente justement un grand nombre de portraits…
Tous sont des portraits de femmes philippines. J’ai voulu interroger et représenter différentes étapes de leur vie : l’enfance, l’adolescence, la maternité...
Le destin de ces femmes m’interpelle et m’émeut.
Je pense notamment à ces femmes expatriées qui sacrifient leur vie pour leurs enfants, laissent leurs enfants aux Philippines et partent seules jusqu’en Arabie par exemple, pour les nourrir, leur donner accès à une meilleure éducation…
Mon émotion est sans doute celle d’une mère face à ces mères si courageuses. J’ai rencontré beaucoup de ces femmes, écouté leurs histoires, heureuses et tristes, me suis documenté sur internet, dans les journées…
Le portrait de femme que j’ai gravé sur une carte du monde est un hommage à ces femmes aux destins hors du commun.
Plusieurs Philippines m’ont d’ailleurs témoigné leur émotion et leur fierté face à ce travail.
Les femmes, et leurs portraits, ne sont cependant pas l’unique sujet de cette exposition, dont le titre « Tides » (Marées) fait d’ailleurs davantage référence au paysage.
Les paysages, notamment naturels, que je traverse lors de mes voyages, sont une source d’inspiration essentielle pour moi aujourd’hui. Comme le sont les populations que je rencontre.
Mers et mères sont d’ailleurs liées aux Philippines.
En tant qu’écrivain, j’écris sur le voyage. La mer est un lieu de réflexion, de méditation, de ressourcement… Un lieu qui peut nous détruire et nous nourrir, un lien bruyant et de profond silence… La mer est un espace auquel l’homme est connecté de mille façons.
Pouvez-vous revenir sur ce titre : « Tides » ?
« Tides » signifie « marées » et évoque le cycle.
C’est une référence évidente au paysage marin et une image de la vie qui continue malgré les incidents, les horreurs, les guerres… les départs, les retours…
L’ensemble des travaux présentés sont des impressions. Pouvez-vous expliquer ce choix ?
J’ai utilisé en fait trois techniques : la gravure, la pointe sèche (ou lithogravure) et la collagraphie (impression à partir d’un collage d’objets). Mais ce sont là trois techniques d’impression. J’ai approfondi l’exploration de ces techniques, ici, aux Philippines, avec un artiste, professeur à l’Université des Philippines, avec qui je partageais mon atelier.
Ma gravure est par ailleurs très proche de ma peinture. Je grave d’après esquisse, réalisé au fusain, et on retrouve ces traits dans mes gravures.
Mon travail personnel est aussi influencé par mes autres activités artistiques, très diversifiées : les commandes de peinture, les projets de street art auxquels je participe à Quezon City et à Bonifacio Global City… On en retrouve sans doute des traces dans les œuvres présentées au Pineapple Lab.
D’autres projets se dessinent-ils justement après cette exposition ?
Oui, j’ai d’ores et déjà plusieurs projets avec le Pineapple Lab.
Je pense que c’est peut-être ma dernière année ici, aux Philippines, et j’aimerais donner plus, partager davantage, dans le cadre d’ateliers pour les enfants, de projets de soutien aux jeunes désireux de s’engager dans des parcours artistiques…
Et je poursuis aussi mon travail autour de la mer.
J’espère que ces échanges permettront aux plus jeunes de s’intéresser à l’art.
L’art est partout…
Informations pratiques :
Exposition « Tides », Philippa Langrish
Au Pineappel Lab
6071 Palma Street, Makati, 1210 Metro Manila
Jusqu’au 20 octobre 2017
Du mardi au dimanche,
de 11h00 à 18h00
Entrée libre
Workshopp le jeudi 12 octobre 2017 à 18h00
Infomations complémentaires ICI