Né dans le jardin d’un magnat mexicain à la fin des années 60, le padel aurait pu rester un passe-temps mondain. Mais c’est en Espagne que ce sport hybride entre tennis et squash a trouvé un terrain fertile. En quelques décennies, il est devenu un véritable phénomène social, économique et culturel. Avec plus de 107.000 licenciés et des milliers de terrains aux quatre coins du pays, l’Espagne ne s’est pas contentée de l’adopter : elle en a fait une discipline à part entière, codifiée, médiatisée, exportée. Voici comment.


En 1969, à Las Brisas, sur les hauteurs d’Acapulco, Enrique Corcuera se heurte à un problème de riche : son jardin est trop étroit pour accueillir un court de tennis. Qu’à cela ne tienne, cet homme d’affaires mexicain bricole une solution maison. Un filet au milieu, des murs de trois mètres pour contenir la végétation, et voici, presque par accident, le premier terrain de padel. Un loisir pensé pour être joué en double, où les murs deviennent partenaires de l’échange.
L’histoire veut que ce soit sa femme, Viviana Corcuera, ex-Miss Argentine, qui couche sur papier les premières règles — offertes à son mari pour son anniversaire. Ce qui aurait pu rester une fantaisie de villa tropicale devint, en cet instant précis, le coup d’envoi d’un sport mondial. Le padel était né.

Du patio d’Acapulco aux pelouses de Marbella
Le déclic a lieu au début des années 1970. En villégiature chez les Corcuera, le prince Alfonso de Hohenlohe-Langenburg — promoteur au sang bleu et fondateur du très sélect Marbella Club — découvre ce jeu de raquettes bricolé à Acapulco. C’est le coup de cœur.
De retour sur la Costa del Sol, il fait construire ses propres pistes dans son établissement, entre piscine turquoise et pelouses bien taillées. Le padel entre dans le carnet d’adresses de l’aristocratie européenne.
Mais l’élan ne s’arrête pas aux terrasses des palaces. Facile à monter, peu gourmand en mètres carrés, bon marché à entretenir, le padel séduit au-delà des cercles dorés. L’affaire est vite entendue : moins de prestige peut-être, mais plus de joueurs, plus de matchs, plus d’ambiance… Il n’en fallait pas moins pour que ce loisir mondain devienne, en quelques années, une discipline populaire et furieusement espagnole.
Les règles du padel en bref : le padel se joue en double, sur un terrain de 20 x 10 mètres entouré de vitres et de grillages. Comme au tennis, il faut marquer six jeux pour gagner un set, avec deux sets gagnants pour l’emporter. Le service se fait à la cuillère, en diagonale, après un rebond au sol. Particularité du padel : les murs font partie du jeu. Une balle peut rebondir au sol puis heurter les parois sans que l’échange ne s’arrête. Le score suit les mêmes règles qu’au tennis (15/30/40/jeu), mais le rythme est plus rapide et les échanges plus longs, grâce aux rebonds sur les murs.
L’axe Espagne–Argentine à l’origine du padel mondial
Pendant que le padel s’installe en Espagne, un autre relais s’organise de l’autre côté de l’Atlantique. Julio Menditeguy, joueur de polo argentin et camarade de raquette du prince Hohenlohe, emporte le jeu dans ses valises à Buenos Aires : l’Argentine mord à l’hameçon.
Dans les années 1980, les terrains fleurissent non seulement sur les pelouses de Palermo, mais aussi au Brésil, en Uruguay, au Chili, en France, aux États-Unis, au Canada...

En 1988, première joute officielle : Espagne contre Argentine, à Mar del Plata, au bord de l’Atlantique. L’année suivante, un entraîneur argentin, Jorge Galeotti, invente la piste en verre démontable.
En 1991, la Fédération Internationale de Padel voit le jour à Madrid, pilotée par les trois pionniers : Espagne, Argentine et Uruguay. Deux ans plus tard, les premiers mondiaux se jouent à domicile, entre Madrid et Séville. Le padel a trouvé ses capitales, et son public.
Le padel grandit, l’Espagne mène le jeu
On peut le dire sans hésitation : c’est en Espagne que le padel passe à l’âge adulte. En 1997, les règles sont unifiées, et le terme “padel” devient l’appellation officielle du sport. Les académies se multiplient, les écoles intègrent la discipline dans leurs programmes, les champions deviennent des têtes d’affiche.

Côté équipement, la révolution est en marche : fini les raquettes en bois. Place au carbone, à la fibre de verre, aux balles calibrées pour le rebond parfait. Les terrains s’entourent de vitres, comme des scènes de théâtre. Le padel devient télégénique, sponsorisable, bankable. Et surtout, praticable à souhait : dans les clubs, les lotissements, les parkings transformés. De Marbella à Doha, il troque ses polos blancs pour des maillots numérotés.
Smash mondial pour un sport né entre quatre murs
En 2005, le Padel Pro Tour (PPT) lance le premier circuit professionnel privé. En 2013, il passe le relais au World Padel Tour, qui propulse le sport sur les chaînes et dans les stades. Mais c’est en 2022 que le grand virage s’opère : Premier Padel, soutenu par la Fédération Internationale (FIP), Qatar Sports Investments, la PPA et l’IPPA, voit le jour. Capitaux du Golfe, calendrier mondialisé, stratégie marketing… Le padel change d’échelle.

En 2025, le jeu se pratique dans plus de 140 pays, fort de 87 fédérations affiliées à la FIP et d’un contingent estimé à 30 millions de pratiquants. Et toujours, au centre du terrain, l’Espagne. Avec ses 20.000 pistes, le pays joue les premiers rôles, dopé par une économie du padel en pleine ébullition : ligues amateurs, applis de réservation, stages pour cadres, séjours tout compris à thème sportif.
Car le padel, au-delà de la sueur et des amortis, est aussi devenu un outil diplomatique. À Madrid, Barcelone ou Valencia, consulats, entreprises et instituts organisent des tournois pour faire se rencontrer expats et locaux. Un sport où l’on serre la main avant le match, et parfois bien après.
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