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"L’Espagne est le premier partenaire de la France en matière de sécurité intérieure"

philippe Justo et camille glorieuxphilippe Justo et camille glorieux
Philippe Justo et Camille Glorieux/Photo ambassade de France en Espagne
Écrit par Armelle Pape Van Dyck
Publié le 30 novembre 2022, mis à jour le 1 décembre 2022

La coopération opérationnelle entre la France et l'Espagne, qui remonte à la lutte contre l'ETA, est totale. Le service de sécurité intérieure de l'ambassade (SSI) de France a accepté de nous recevoir pour expliquer les grandes lignes de leur travail.

 

"La sécurité intérieure de la France commence à l’étranger". Cette phrase pourrait résumer à la perfection la raison d'être d'un service de l'ambassade de France en Espagne méconnu des Français. Il s'agit du service de sécurité intérieure (SSI), rattaché à la Direction de la Coopération Internationale de Sécurité (D.C.I.S), née il y a une vingtaine d'années de la fusion des réseaux de la  gendarmerie et de la police à l'étranger. On dénombre actuellement 74 SSI dans le monde comprenant près de 300 personnels.

Faire la liaison avec les forces de sécurité françaises et espagnoles

Composé de 16 personnes, le Service de sécurité intérieure en Espagne est le plus important en matière de collaboration internationale pour la police et la gendarmerie françaises. "Notre principale mission – explique  le commissaire général de Police Philippe Justo, chef du service de sécurité intérieure- est d’assurer une bonne coopération entre les services opérationnels de la police et de la gendarmerie française et espagnole, c’est-à-dire que dès qu’un service en France ou en Espagne a un besoin, il rentre en contact avec nous qui nous chargeons de faire le lien".

Autrement dit, la frontière disparaît au profit de la sécurité des personnes

3.700 actions de coopération franco-espagnole en 2021

C'est en particulier le travail des ODL, les officiers de liaison, qui sont situés dans toute l’Espagne. De l’opérationnel pur et dur. Parce que ces policiers et gendarmes français sont totalement intégrés au sein des services espagnols de la police et de la guardia civil. Et il y a vraiment de gros besoins. "Les officiers de liaison sont constamment contactés – souligne le commissaire général-. En 2021, par exemple, on dénombre environ 3.700 actions de coopération directement opérationnelle, qui vont de l’échange d’informations à la prise de 26 tonnes de cannabis il y a quelques mois".

Travailler depuis l'Espagne pour la sécurité de la France

Ce travail dans l'ombre est donc fondamental, non seulement pour l'Espagne mais aussi et surtout pour la France. "La sécurité intérieure de la France commence à l’étranger. Quand on participe à l'interception des membres des mafias en Espagne ou lorsqu'on récupère de la drogue, on lutte en fin de compte contre le trafic dans nos villes en France et on lutte également pour la sécurité sur la Costa del Sol, car ces groupes criminels sont à l'origine d'actes violents en Espagne également".

 

des policiers espagnols et français à saint Jacques de Compostelle
Des policiers espagnols et français à saint Jacques de Compostelle, cet été

 

La lieutenant-colonel Camille Glorieux rappelle que le "spectre missionnel est très varié dans le champ de notre coopération bilatérale de sécurité et va au-delà de la lutte contre les trafics de stupéfiants, souvent très médiatisée. Ainsi, la lutte contre la criminalité environnementale et les atteintes à la santé publique, la lutte contre la cybercriminalité, la lutte contre les violences familiales et violences sexistes et sexuelles, la recherche de personnes portées disparues etc. occupent une grande place dans l’activité des services de sécurité intérieure".

Tout commence par la lutte conjointe contre ETA

L'histoire de cette coopération franco-espagnole si profonde remonte à la lutte conjointe contre l’organisation terroriste basque ETA. Cette fructueuse collaboration a cimenté à partir du milieu des années 80 la relation entre Paris et Madrid autour de cet objectif commun, et a fait naître une culture, une tradition de coopération et d’échange de renseignements, d’informations ainsi que de personnel, policiers et gendarmes, entre les deux pays.

Alchimie totale entre policiers et gendarmes

Et précisément, en intégrant des policiers et des gendarmes au sein de ce service, la complémentarité est totale. Même les profils du responsable du service et de son adjointe sont complémentaires. Le commissaire général Philippe Justo procède de la "crim" et de la police judiciaire où il a fait une grande partie de sa carrière, en sus de la "sécurité publique" dans la région parisienne notamment. C’est son quatrième poste à l’étranger. Quant à la lieutenant-colonel de gendarmerie Camille Glorieux, elle est issue du recrutement universitaire – concours officier passé après un IEP. Elle a débuté sa carrière en escadron de gendarmerie mobile avec une dominante ordre public/intervention. Elle a ensuite été instructeur au Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie en Dordogne, et déployée à plusieurs reprises en missions internationales (ONU notamment), avant de prendre le commandement d'une compagnie de gendarmerie départementale à Château-Gontier-sur-Mayenne. Puis, elle a suivi une scolarité interarmées à Madrid (cours Supérieur des forces armées espagnoles), avant d'occuper ses fonctions actuelles à l'ambassade.

Au départ un projet franco-espagnol, il existe désormais un Erasmus entre forces de sécurité de plusieurs pays européens dénommé "Polaris"

"Nous sommes complémentaires -affirme Camille Glorieux, attachée de sécurité intérieure adjointe-. Ce sont d'ailleurs des métiers très variés parce qu'il y a vraiment toute une palette de missions possibles tant sur le territoire métropolitain, qu’en outre-mer et à l’international, que ce soit dans l’aspect renseignement, police judiciaire, police administrative, le domaine de la formation ou encore la gestion des ressources humaines, faisant de nous tous des personnes déployables et adaptables dans des environnements variés".

L’Espagne est vraiment la porte d’entrée de centaines de tonnes de cannabis, avec plus de 800 tonnes saisies en Espagne en 2021

L'Espagne, 1er partenaire de la France pour la sécurité intérieure

Entre cette parfaite complémentarité et les relations étroites tissées au cours des années entre les services de sécurité espagnoles et françaises, les trois axes essentiels de la coopération policière sont devenus au cours du temps la lutte contre le crime organisé, l’immigration irrégulière et le terrorisme. "L'Espagne est en ligne directe face à ces trois grandes problématiques – explique Camille Glorieux- et ce pays est en toute logique un des premiers partenaires de la France en matière de sécurité intérieure".

L'Espagne, porte d'entrée de stupéfiants

En ce qui concerne le crime organisé, la priorité de la coopération bilatérale porte plus particulièrement sur le renforcement de la lutte commune contre le trafic de drogue. Et le travail ne manque pas! "L’Espagne est vraiment la porte d’entrée de centaines de tonnes de cannabis, avec plus de 800 tonnes saisies en Espagne en 2021 -rappelle le chef du service de sécurité intérieure-, et le sud de l’Espagne constitue un point géographique sensible du trafic de stupéfiants. Il faut penser par exemple qu’il y a 110 groupes criminels officiellement identifiés seulement sur la Costa del Sol et, par conséquent, cette zone concentre les efforts de la coopération bilatérale".

 

Philippe Justo
Philippe Justo, lors d'un séminaire de lutte contre le trafic drogue, en novembre 2022, à Algeciras

 

Plus de 3,3 millions de plants de cannabis saisis en 2021

Cette collaboration permanente porte ses fruits. Ainsi par exemple, en 2021 plus de 3,3 millions de plants de cannabis ont été saisis, ainsi que près de 140 tonnes de marijuana et cinq plantations démantelées. La valeur économique de la drogue saisie aurait pu atteindre sur le marché plus de quatre millions et demi d'euros. La destination finale des substances saisies était la France et la plupart des individus détenus étaient d'ailleurs de nationalité française.

La lutte contre l’immigration illégale 

La lutte contre l’immigration illégale constitue l’autre priorité du service qui participe à la détection des filières d’immigration irrégulière, aux contrôles des transports aériens ou à la recherche de documents falsifiés. Des échanges d’experts ont également lieu au niveau des grands aéroports et des villes de Ceuta et Melilla. La plupart des immigrés irréguliers qui quittent les côtes marocaine et algérienne sur des embarcations de fortune pour arriver sur les côtes andalouses et aux Canaries, puis cherchent ensuite à continuer leur route vers la France et le nord de l'Europe.

Terrorisme: Prévenir plutôt que guérir

La lutte commune contre le terrorisme, autrefois d'etarras, aujourd'hui de fondamentalistes musulmans, est une autre priorité de la coopération policière entre les deux pays. Outre la collaboration entre les services après les attentats en France, en 2015 et 2016, et en Espagne en 2017, les deux pays tentent également de prévenir en amont les possibles actions terroristes. Ainsi, l´Espagne, qui a une longue expérience de la lutte antiterroriste, est à la pointe dans la lutte contre la 'radicalisation', avec des programmes qu'elle a su développer dans le milieu carcéral depuis les années 70 par exemple.

 

Camille Glorieux, avec des membres de la guaria civil
Camille Glorieux, lors d'une conférence sur le crime avec Guardia civil

 

Important renfort des brigades d'été

Mais au-delà de ces trois grosses priorités, il existe bien d'autres activités non moins importantes. C'est par exemple le cas des dispositifs des commissariats et brigades européens qui existent depuis 2009. Or, en termes d’échange, la France et l'Espagne sont les premiers pays contributeurs avec plus d'une cinquantaine de policiers et gendarmes dans les deux pays pour cette année par exemple.

 

Ainsi, cet été la police et la gendarmerie nationales (une vingtaine de policiers et cinquante gendarmes) ont été déployées à Madrid, Alicante, Pampelune ou sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle ainsi qu’à l’arrivée d’étapes du tour cycliste d’Espagne ‘La Vuelta’. Il en a été de même pour les policiers et gardes civils espagnols en France, là où il y a le plus de touristes espagnols (au parc Disney par exemple). Le but de ces missions opérationnelles est non seulement de donner de la visibilité mais aussi d'offrir une assistance aux touristes particulièrement nombreux en été. Ce dispositif se renouvelle aussi en hiver, dans les stations de montagne.

La frontière disparait au profit de la sécurité des personnes

On peut également citer la collaboration dans les services de protection civile, par exemple dans la lutte contre les grands incendies, sur le partage des bombardiers d’eau, afin d'intervenir rapidement  d’un côté ou de l’autre de la frontière. C'est aussi le cas pour les secours en montagne dans les Pyrénées, où l'important est le centre de secours le plus proche pour intervenir. Autrement dit, la frontière disparait au profit de la sécurité des personnes.

 

Dans le cadre de cette coopération transfrontalière, on peut aussi citer les quatre centres communs de police, gendarmerie et de douane, les CCPD, situés à la frontière franco-espagnole. Il s'agit là aussi d'un dispositif européen à l’origine.

Formation: une formule pionnière en Europe

En matière de formation commune, des échanges d'élèves gendarmes et gardes civils ont lieu depuis 2017. Initialement, il s’agissait d’un projet franco-espagnol qui a, quelques années plus tard, fait des émules en Europe! En effet, il existe désormais un Erasmus entre forces de sécurité de plusieurs pays européens dénommé "Polaris".

 

Des élèves gendarmes et gardes civils
Cérémonie d'élèves gendarmes et gardes civils au centre de formation de Valdemoro, juin 2022

 

Ces formations se déroulent alternativement en France et en Espagne, permettant à chacun de découvrir aussi le pays et la culture de l’autre. Ce projet pédagogique vise également à tisser des liens plus denses, dès le début de leur carrière, entre les deux corps de sécurité français et espagnol.

Excellentes relations des forces de sécurité françaises et espagnoles

Précisément, les relations avec les différents services de police et guardia civil sont excellentes. Le fait de travailler ensemble et de se connaître personnellement permet de renforcer les liens. "Nos partenaires sont hyper réceptifs -affirme Philippe Justo-. Nous avons des relations quotidiennes très fluides et efficaces, d’autant que les structures se ressemblent. Ce qui fait que dès qu'il y a un besoin, on a immédiatement un interlocuteur disponible et ça nous est arrivé par exemple il y a quelques mois pour l’enlèvement d’un jeune adulte en France qui avait été emmené en Espagne et qui a très rapidement été retrouvé grâce à la réactivité de la police espagnole une nuit de week-end".

Aussi la protection des espèces protégées

Outre les opérations bilatérales, on trouve aussi des projets multilatéraux européens en lien par exemple avec l'Amérique latine. C'est ainsi que l’Espagne et la France collaborent étroitement dans ce qui s'appelle "El PacCTO", qui permet la coopération de plusieurs pays pour lutter non seulement contre le crime organisé en Amérique latine, mais aussi contre le trafic d'espèces animales protégées ou de certains bois exotiques.

 

On le constate, la dimension sécuritaire dans la relation franco-espagnole est centrale. Et même si la discrétion reste de mise, on comprend mieux la syntonie et confiance mutuelle entre les forces de sécurité d'un côté et de l'autre des Pyrénées qui permettent en définitive à ces hommes et femmes de mieux lutter pour notre sécurité.