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À Madrid, les taxis sur le pied de guerre face à la déferlante Cabify

Ce jeudi 28 mai, les taxis madrilènes battent le pavé pour protester contre l’attribution de 8.500 licences VTC à Cabify. Soupçons de fraude, divisions syndicales et inquiétudes sur la saturation du marché alimentent la colère d’un secteur qui redoute une dérégulation à marche forcée.

taxis blancs à la puerta de alcala à madridtaxis blancs à la puerta de alcala à madrid
Miguel Ángel Sanz, Unsplash.
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 27 mai 2025

Paralysie annoncée sur le Paseo de la Castellana, ce jeudi 28 mai. La Fédération Professionnelle du Taxi de Madrid (FPTM) appelle à une manifestation « massive » contre ce qu’elle qualifie de « tsunami réglementaire » : la récente activation de 8.500 nouvelles licences VTC en faveur de Cabify, l’un des géants du transport avec chauffeur en Espagne.

C’est un vieux contentieux qui ressurgit. En 2018, profitant d’un vide juridique autour de la règle du « 1 VTC pour 30 taxis », Cabify avait déposé une demande colossale de 25.000 licences. Rejetées dans un premier temps par la communauté de Madrid, ces requêtes ont fini par atterrir devant les tribunaux. Sept ans plus tard, la justice donne partiellement raison à la plateforme, contraignant les autorités régionales à accorder un premier lot de 8.500 autorisations.

 

voie de taxis à madrid avec voitures en circulation
Sebastián Valencia Pineda, Pexels.

 

 

« Une fraude documentée »

Pour la FPTM, cette décision est le coup de grâce. Elle accuse Cabify d’avoir constitué ses dossiers avec des véhicules indisponibles, parfois déjà vendus ou en simple location. « On joue avec les règles, on les tord. Et au final, ce sont les chauffeurs et les citoyens qui paient l’addition », s’indigne Julio Sanz, président de la fédération. Il affirme que ces pratiques relèvent d’un contournement organisé des exigences administratives. En filigrane, c’est tout un système de dérégulation qui est dénoncé, à coups de contrats de leasing, de ventes anticipées et de documents approximatifs.

La communauté de Madrid, elle, se contente d’appliquer la décision de justice, tout en ayant introduit un recours. Consciente de l’impact sur le tissu urbain, elle a imposé à Cabify un délai jusqu’au 17 juin pour identifier les véhicules concernés. Une mesure de contrôle, en forme de barrière symbolique, que la plateforme dit respecter — en demandant toutefois un déploiement progressif.

 

 

Les différents moyens de transport à Madrid

 


 

Fissures dans le front anti-VTC : tous les taxis ne manifesteront pas à Madrid

Mais l’union sacrée n’est pas au rendez-vous. La FPTM, bien que soutenue par la fédération nationale ANTAXI, se retrouve isolée à Madrid. Ni l’asociación gremial del Taxi ni la plataforma Caracol ne participeront à la mobilisation, la jugeant peu stratégique, voire inefficace. Le mot d’ordre ne fait pas consensus, et certains préfèrent jouer la carte institutionnelle ou judiciaire.

Côté VTC, le climat n’est guère plus serein. Bolt, concurrent direct de Cabify, accuse la plateforme de déséquilibrer gravement le marché : avec ces nouvelles licences, Cabify contrôlerait près de 70 % des autorisations VTC dans la région madrilène. Un quasi-monopole de fait, qui alimente les tensions sur fond de concurrence déloyale.



 

Quand la mobilité urbaine devient un champ de bataille en Espagne

Derrière la guerre des licences, c’est le modèle de la mobilité urbaine qui vacille. Les chauffeurs de taxi alertent sur une dérégulation accélérée qui risque de saturer davantage une ville déjà asphyxiée par le trafic. La FPTM dénonce aussi un jeu spéculatif, dans lequel des particuliers achètent des licences VTC jusqu’à 40.000 euros, sans aucune garantie, misant sur d’hypothétiques validations judiciaires.

La manifestation de jeudi sera, selon les organisateurs, le point de départ d’un mouvement national, avec des actions prévues dans d’autres communautés autonomes. Un baroud d’honneur ? Ou le début d’un bras de fer plus large contre les dérives d’un marché libéralisé ? « Si tu luttes, tu peux perdre. Si tu ne luttes pas, tu es déjà perdu », résume la FPTM dans un communiqué.

Demain, Madrid sera donc le théâtre d’un nouveau face-à-face entre économie de plateforme et service public. Une confrontation de plus dans une bataille qui, au fond, dépasse la seule question des transports.

 

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