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INTERVIEW - Sylvie Imbert et Alain Bainée, les Goya français de 2013

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 26 février 2013, mis à jour le 26 février 2013

Deux des dix Goya de ?Blancanieves? sont clairement français. Sylvie Imbert a remporté le prix au Meilleur maquillage et/ou coiffure et Alain Bainée l´a obtenu pour la Meilleure direction artistique. Des Goya qui sont, sans aucun doute, très mérités grâce à un travail superbe. Emus, ravis et profondément satisfaits, les deux lauréats ont partagé leurs impressions avec Lepetitjournal.com dans le cadre cinématographique de l´Académie espagnole du cinéma.

 

(Photos Carmen Pineda / lepetitjournal.com)

Le petitjournal.com : Comment vous sentez-vous en ayant obtenu le Goya ?
Sylvie Imbert : Je flotte. Je n´y croyais pas beaucoup. J´avais des doutes parce qu´il y avait un film important en compétition ("Lo imposible"). Même si je pense que je le mérite. Car je le mérite. Ça c´est clair! Mais on a vu des choses plus bizarres dans les votations? Jusqu´au dernier moment,  je n´y croyais pas. C´est fantastique car ce n´est pas un prix donné par un jury ni par la critique. C´est un prix des compagnons de profession. Pour moi, c´est très important.

Alain Bainée : Moi, je suis très content. C´est vrai que ça fait très longtemps que je travaille dans l´industrie en Espagne et sur des films qui souvent l´ont mérité mais qui sont passés un peu inaperçus ou n´ont pas eu la promotion nécessaire. Donc, ce sont associées deux choses : le plaisir de gagner pour ce film dont je suis spécialement fier et le plaisir d'obtenir enfin une espèce de reconnaissance pour ces nombreuses années de travail. Maintenant, je peux attendre vingt nouvelles années pour en gagner un autre !

Que font une Française et un Français dans le cinéma espagnol ?
SI : Moi, je faisais des études de langues. Je voulais faire l´IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques) et mes parents ne m´ont pas laissé. Je suis venue par hasard à Madrid, il y a très longtemps, pour fêter mon anniversaire avec des amis et je suis restée. Comme je savais parler des langues, je suis allée dans une agence d´interprètes et  pour mes premiers boulots, on m´a envoyé sur le tournage de films de la Warner car personne ne savait parler anglais en Espagne. Je regardais les acteurs, les maquillages et puis un jour on m´a offert de faire l´assistante de maquillage. Je n´avais jamais fait une raie à l´?il de ma vie mais j´ai dit oui. J´étais gonflée mais petit à petit j'y suis arrivée.

AB : Je travaillais comme architecte mais je n´aimais pas la vie professionnelle. Je parlais un peu d´espagnol et j´avais envie de changer d´air. Donc, je suis venu en Espagne avec l´idée de faire du cinéma mais sans savoir ce qui allait se passer. C´était une bonne époque. J´avais une bonne étoile et j´ai commencé à travailler tout de suite d´abord comme chef décorateur dans la publicité jusqu´à ce que Pedro Almodovar m´a appelé pour Kika. J´ai fait de la publicité et du cinéma et peu à peu j´ai tracé mon chemin dans le cinéma espagnol et en plus, j´adore vivre ici et je suis resté. C´est un itinéraire un petit peu spécial car j´ai commencé comme chef décorateur. Normalement on commence d´en bas et on monte. J´ai appris de mes erreurs et je me suis formé un petit peu de façon autodidacte.

Quelles différences voyez-vous ente le cinéma espagnol et le cinéma français ?
SI : Dans les thèmes, il y a beaucoup de différences. En Espagne, il y a beaucoup de drame social. Chaque pays a son thème fétiche. Pour la manière de travailler, c´est la même chose plus ou moins parce qu´en France on travaille huit heures mais on fait quatre heures de préparation avant. Ici, on travaille douze heures. Finalement quand on fait des tournages, que ce soit en Espagne, en France ou ailleurs, c´est assez semblable.

AB : Il y avait plus de différence avant pour les tournages. Dernièrement, ça s´est dégradé aussi en France puisque les droits, si durement acquis pendant quarante ans, ont changé. Il y a eu aussi la crise du cinéma. Mais il reste une grosse différence avec la France. Là-bas, le cinéma est un bébé chéri tandis qu´en Espagne, comme on peut le voir chaque jour, c´est un bébé mal aimé.

Est-ce que vous aimeriez gagner un César un jour ?
SI : A ce sujet, je vais faire une lettre ouverte à la presse pour réclamer la catégorie de Meilleur Maquillage/coiffure qui n´existe pas aux Césars. La France est le seul pays où cette catégorie n´existe pas. L´Académie de Cinéma française ne la considère pas. Mes collègues français m´ont souvent demandé d´envoyer une lettre mais moi, je leur dis : "Pourquoi moi qui suis en Espagne ?" Je ne dis pas non mais quand même c´est plutôt à eux de le faire. Pensons qu´il y a de grands maquilleurs français qui ont des Oscar en France mais qui n´ont pas de César parce que ça n´existe pas ! Donc, dans mon cas, ce n´est pas possible d´avoir un César sauf si les choses changent et pour cela il faut le provoquer. Ici, non plus les Goya ne sont pas venus tous seuls. Un jour, il y a eu un monsieur qui a écrit à une commission de l´Académie de Cinéma et qui a demandé de l´inclure. Je pense que si les gens le demandaient, l´Académie Française ne dirait pas non. Ce qu´on voit à l´écran, c´est quand même ça, le visage, c´est important, non ? Bon, je vais commencer à réclamer. "Blancanieves" rentrera dans les César pour l´année prochaine. Peut-être, qu´on a encore des chances?

AB : Et bien moi, oui, je me "ferais" bien un petit César ! En France, ma catégorie, c' est "Meilleur décor" et on nous appelle chef décorateur. Moi, je me fais toujours appeler Production Designer (c´est le terme international). Si je traduis direction artistique, comme on dis en Espagne, en américain ou en anglais, ça serait "art director" et cela c´est l´assistant décorateur et pas le chef décorateur. C´est un thème purement logistique. Mon travail ce n´est pas uniquement de décorateur mais de conceptualisation de l´image. Moi, je parle du concept visuel du film pas seulement des décors : de la lumière, des costumes, des maquillages?

Est-ce plus difficile de faire un film d´époque ou un film contemporain au niveau de la direction artistique ?
AB : Les films d´époque sont toujours plus primés mais si tu fais bien ton travail, c´est beaucoup plus compliqué de faire un film contemporain. Dans un film d´époque, il y a des références, tu peux adapter, enrichir... Pour moi, c´est plus difficile de faire un film contemporain comme celui que je viens de faire à Barcelone comme si c´était NY parce qu´il faut conceptualiser beaucoup plus les choses. Toute la partie des costumes, des décors? Il faut arriver à faire que ce film soit unique dans tous les films contemporains. C´est un travail plus subtil, plus complexe que de reproduire une époque, qui a été, en quelque sorte, faite mille fois.

Le fait que "Blancanieves" soit en noir en blanc, a-t-il rendu plus difficile votre travail de maquillage et de direction artistique ?
SI : Plus difficile, non. Plus intéressant, oui. On a tourné en couleur et il fallait utiliser les couleurs pour après les passer en noir en blanc et respecter les contrastes. C´était un boulot énorme mais tellement gratifiant et créatif ! Je me suis amusée comme une petite fille. Pour moi, c´est un petit bonbon. Ce n´est pas souvent qu´on a un scénario comme ça. Pour moi, c´est plus facile de faire ça, même si c´est difficile, que de faire un beau maquillage naturel qui ne se voit pas. Un maquillage comme celui de "Blancanieves", il faut savoir le porter. C´est comme le costume du visage. Il faut le porter avec élégance, et les acteurs l´ont très bien fait.

AB : Au sujet du travail sur la couleur, ça a été une des choses les plus compliquées dans le sens où chaque couleur réagit d´une façon quand tu la passes en noir en blanc. Un rouge et un bleu, selon la tonalité qu´ils ont, quand tu les passes en noir et blanc, ils sont pareils. Donc, il fallait savoir quel rouge utiliser avec quel bleu, par exemple. Il fallait voir comment réagissait chaque couleur. On avait fait des essais pour voir comment la gamme chromatique couleur se transformait et comment changeait chaque couleur quand on la passait en noir en blanc.

Que diriez-vous aux gens pour qu´ils aillent voir "Blancanieves" ?
SI : Il faut vaincre le cinéma muet et le conte de Blanche neige.  Les gens disent "Ah! Il y en a eu plein de Blanche neiges !". Non. Ce film a un travail artistique et des acteurs incroyables. Ça vaut le coup. C´est une histoire qui a beaucoup de sens de l´humour. C´est un très beau film émouvant. Il faut le voir. Et il faut aller voir les films en grand écran, dans les salles. Et encore plus pour ce film. Je le recommande à tout le monde.

AB : Je leur dis toujours qu´ils essaient de vaincre la paresse du noir et blanc. Tous les gens que je connais qui ont vu le film, sortent enchantés. Dans les tous les festivals, les gens sortaient en pleurant, en applaudissant? Donc, le gros problème est de vaincre la paresse. Tous les gens me disent: "Il faut que j´aille le voir?" Non, "Va le voir. Point." Parce que, après, quand tu l´auras vu tu diras : "Mais comment est-ce que je ne suis pas allé le voir plutôt ? ".  Et un jour tu le verras à la télé et tu diras : "Mais comment je ne suis pas allé le voir au cinéma ?"

Parlez-nous des réalisateurs espagnols avec lesquels vous avez travaillé.
SI : Avec Almodovar, j´ai seulement fait des renforts. Ce serait bien que je fasse avec lui un film à part entière. Comme ça, j´aurai une retraite un jour. Une fois que tu as fait un film avec Almodovar, tu peux aller en France et ils vont t´adorer? A propos, Almodovar a beaucoup aimé "Blancanieves". A part ça, le meilleur souvenir que j´ai d´un réalisateur est Pablo Berger. C´est le roi. J´adore aussi José Luis Cuerda (ndlr : ?Los girasoles ciegos?, ?Todo es silencio?). Je m´entends très bien avec lui.

AB : J´ai travaillé avec Almodovar mais ça fait très longtemps. J´ai fait "Kika" en 1992. J´étais prêt professionnellement mais pas psychologiquement pour travailler avec Pedro Almodovar qui était dans une époque un peu compliquée. Maintenant, il a changé. Il est plus posé. C´était un petit peu un choc. C´était son premier film tourné seulement en studio. C´était un gros défi et je travaillais énormément. Au-delà du travail du design et du décor, il y a un gros travail qui consiste à savoir convaincre le producteur, le réalisateur et les mouler à tes désirs. La première personne qui commence un film c´est le chef décorateur. J´étais très content de travailler avec Almodovar à ce moment- là (ça faisait deux ans que j´étais en Espagne) bien que c´était difficile. Je ne connaissais pas ses défauts. Maintenant, oui. J´ai toujours regretté qu´il ne m´ait pas appelé pour travailler avec lui huit ou dix ans après. Ça aurait été très très différent. Parmi les autres réalisateurs, j´ai très bien travaillé avec Jaume Balagueró (ndlr : l´auteur de la saga "REC"). Mais, Pablo Berger est exceptionnel. C´est mon coup de c?ur. On est très amis. On voulait travailler ensemble depuis longtemps et on a eu la récompense de "Blancanieves ".

Quels sont vos projets ?
SI : Moi pour l´instant, j´attends que le téléphone sonne. On verra?

AB : J´attends une confirmation de dates d´un film américain avec Brad Anderson qu´on va tourner en Bulgarie et après j´ai un projet avec Isabel Coixet pour la fin de l´année.

Lire notre critique sur le Gala des Goya

Carmen Pineda, lepetitjournal.com
Carmen PINEDA (www.lepetitjournal.com - Espagne) mardi 26 février 2013
Collaboratrice comme critique de cinéma dans plusieurs magazines : "Estrenos", "Interfilms" et "Cinerama". Envoyée spéciale à des festivals de cinéma en France pour les journaux "Diario 16" et "El Mundo". Jury du Prix du CEC (Círculo de Escritores Cinematográficos) au Festival international de Cinéma de Madrid (1997). Actuellement membre du CEC et critique dans cinecritic.biz et lepetitjournal.com
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Publié le 26 février 2013, mis à jour le 26 février 2013