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INSOLITE – Des Français gèrent en Espagne l'une des plus grandes éco-fermes d'insectes en Europe

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 5 octobre 2015

Des grillons, des vers de farine, des ténébrions, voilà les animaux que vous pourrez trouver chez Insagri, l'éco-ferme de Laetitia et Julien, installée à Malaga depuis 2012. Ces Français ont quitté leur vie parisienne pour le soleil d'Andalousie, afin de monter un projet original et engagé : créer une ferme écologique d'insectes à production semi-industrielle. Nous avons rencontré l'un d'entre eux, Laetitia Giroud, qui nous explique les avantages de cet élevage pas comme les autres.

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(Photo Insagri)

Laetitia nous explique que dans sa ferme, elle élève des insectes destinés à la consommation animale et à la consommation humaine. La plus grande partie de la production est destinée à l'alimentation animale. Il s'agit de fabriquer de la farine d'insecte qui viendra substituer la farine de poisson, utilisée en Europe pour l'alimentation des animaux d'élevage. Cette demande nécessite de très grandes quantités de production, parfois difficile à atteindre. L'objectif que s'est fixé Insagri est d'être capable de fournir 3 tonnes de farine d'insectes par jour à l'horizon 2017.

Pour l'alimentation humaine, Laetitia nous explique qu'on lui demande beaucoup moins de quantités, mais une qualité élevée. "Il y a 1.900 espèces d'insectes comestibles dans le monde", explique Laetitia. "Pour la consommation humaine en Europe, deux espèces sont essentiellement utilisées : les grillons et les ténébrions meunier (vers à farine). Nos clients sont des acteurs du marché de l'alimentation, sportive ou infantile… Ils vont intégrer la farine d'insecte dans leur processus de production et vont rendre les insectes invisibles à l'œil nu dans le produit fini, comme par exemple des barres céréalières protéinées, des pates fraiches, ou des bonbons", explique la gérante. "La demande pour la consommation humaine est très forte en Europe. Nous vendons nos insectes en poudre, mais nous pouvons aussi les vendre entiers déshydratés, avec des dates de conservation de 6 à 12 mois !". Et cette passionnée prévoit de démarrer l'élevage d'autres espèces l'année prochaine : "les fourmis du Mexique qui sont appréciées pour leur jus sucré, et le zophoba morio qui est comme un ver de farine, mais plus gouteux en bouche". Pour l'alimentation animale, l'insecte utilisé est la mouche soldat noire, une mouche qui n'est pas porteuse de pathogènes, et n'a pas bactéries contrairement à la mouche domestique.

Pourquoi consommer des insectes ?
Si la consommation d'insectes peut provoquer le dégout chez de nombreuses personnes, les gérants d'Insagri sont convaincus des bienfaits de leur consommation sur l'organisme, mais aussi et surtout de l'impact positif du développement de ce type de production pour l'écosystème. "Les insectes se consomment depuis plus de 2000 ans et il y a plus de 2,5 milliards de personnes qui les intègrent dans leur diète quotidienne", défendent-ils.

La principale motivation pour le développement de la consommation d'insectes est le bénéfice écologique énorme apporté par ce type de production. La grande révolution se fait du côté de l'alimentation animale et de l'agriculture. Depuis 1995 et la crise de Creutzfeldt-Jakob, la farine de poisson est l'unique farine de protéine animale autorisée dans l'alimentation des animaux d'élevage. Le problème, c'est que l'on consomme environ 80 millions de tonnes de farine de poisson par an dans le monde, qu'il y a de moins en moins de poissons dans la mer, que la demande augmente et que les prix flambent. Ils auraient augmenté de 160% en 10 ans. Sans compter la hausse des coûts des aliments destinés aux animaux. Les valeurs céréalières ont augmenté : le maïs a pris plus 60% en quatre ans et le soja à lui augmenté de près de 80%. Comme l'explique Laetitia, le FAO (le département agriculture de l'ONU) considère que l'élevage de mouche soldat noire va permettre de sauver le monde. "Mais si l'on prétend substituer la farine de poisson d'ici 5 à 10 ans, il va falloir être capable de générer une grande quantité de production, aujourd'hui difficilement réalisable", prévient-on chez Insagri. "Pour produire 50 kilos de grillons en poudre, j'ai besoin de 200 kilos de grillons vivants !".

Mais si Laetitia et son associé Julien se sont lancés dans cet élevage atypique, c'est principalement par conviction (eux qui ne mangent plus de viande depuis une quinzaine d'années). Car la production d'insectes est beaucoup plus écologique que n'importe quelle production animale.

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(Copie d'écran Youtube)

Une alimentation réduite qui stimule l'économie circulaire

Les insectes que l'on élève nécessitent beaucoup moins d'alimentation qu'une autre production. Laetitia nous fait la démonstration : "Pour obtenir 1 kg de bœuf, on va avoir besoin d'utiliser 12 kilos d'aliments (soja, mais, fruits, légumes), pour le porc on a besoin de 8 kilos d'aliments, pour 1 kg de poulet on aura besoin de 6kg d'aliments. Pour les insectes on aura juste besoin de 2 kilos, donc c'est 6 fois moins que le bœuf, 4 fois moins que le porc et 3 fois moins que le poulet". Pour l'alimentation des insectes destinés à la consommation humaine, Insagri utilise uniquement des produits écologiques certifiés sans produits chimiques et sans pesticides, possédant le label bio. "Ce sont des résidus, c'est à dire des produits non destinés à la vente, car ils ne sont pas calibrés, parce qu'ils sont abimés, un peu choqués pendant le transport. Pour les insectes destinés à l'alimentation animale, nous sommes sur des quantités beaucoup trop importantes pour utiliser des produits bio. D'autre part, tous les produits que nous achetons pour l'alimentation de nos animaux proviennent de producteurs situés à moins de 50 kg de notre site de production. C'est ça aussi une éco-ferme, c'est stimuler l'économie circulaire". Et de rappeler au passage que Malaga est la région d'Espagne la plus productrice de produits écologiques certifiés sans pesticides et sans produits chimiques.
 
Le besoin en eau
De même que pour l'alimentation, la production d'insectes nécessite beaucoup moins d'eau que celles d'autres animaux d'élevage : "la production d'1 kilo de bœuf nécessite 15.000 litres d'eau environ, et celle d'un épi de maïs 600 litres d'eau environ. Pour produire un kilo d'insectes en revanche, nous aurons besoin de moins de 10 litres d'eau".

Consommation énergétique minimale
Le choix de Malaga pour l'installation de la ferme d'insecte ne s'est pas fait au hasard. Outre la production locale de produits écologiques, les gérants d'Insagri ont choisi la zone pour son climat. C'est l'une des régions offrant les meilleures conditions climatiques en Europe pour l'élevage d'insectes. Les petites bêtes doivent être maintenues entre 28 et 33 degrés pour être dans des conditions naturelles de reproduction. A Malaga, les producteurs peuvent profiter d'un climat idéal pendant au moins 8 mois de l'année.

L'insecte est beaucoup moins polueur
La gestion des résidus des animaux d'élevage est un problème européen. "Les animaux sont responsables de la production de 18% des gaz à effet de serres, c'est une préoccupation internationale", explique Laetitia. "Les insectes émettent très peu de gaz à effet de serre à très peu de gaz d'ammoniaques". De plus, les insectes ne sont pas énergivores et nécessitent peu d'espace. L'élevage peut être réalisé dans un espace confiné, sur des étagères en hauteur.

Les avantages nutritifs des bichos
Pour Laetitia, la consommation d'insectes est une solution alternative à la faim dans le monde, car elle pourrait apporter facilement des protéines saines aux personnes en malnutrition. "Nous avons en Europe beaucoup de ressources mais nous les gâchons énormément. Et en même temps il y a des enfants qui meurent de faim au quotidien en Afrique parce qu'ils n'ont pas accès aux protéines et à une alimentation saine. Les insectes seraient une réponse à la famine compte-tenu des conditions climatiques dont ils ont besoin et de la faible consommation engendrée. On pourrait très bien imaginer des micro-productions dans les villages où les gens souffrent de la faim, cela apporterait une source de protéine et une micro-économie dans chaque village".

Mais il n'y a pas que dans le tiers monde que cela peut être bénéfique : en occident la consommation d'insectes pourrait aider également à lutter contre l'obésité, dont 11% de la population souffre en France et 13% en Espagne. "L'insecte propose de la graisse, mais de la bonne graisse, c'est un produit sain, nutritif, très riche en vitamines, en calcium, en phosphore et en zinc", précise Laetitia. "Il y a 37% de graisses et 47% de protéines dans le ténébrion déshydraté. Attention je parle de très bonnes graisses et de très bonnes protéines, pas de graisses saturées ni de protéines de mauvaise qualité (que l'on estime en fonction de son taux de lysine)." La protéine des insectes se rapprocherait de celle du bœuf en termes de qualité.


"On sait que les insectes seront dans votre assiette d'ici 10 ans"
A tous ceux que la consommation d'insectes dégoutent, Laetitia répond qu'en Europe "nous mangeons des crevettes, des cuisses de grenouilles, des escargots… Ce qui me paraît étrange c'est de ne pas avoir pensé avant à manger des insectes".

Mais que dit la législation de la consommation de ces petites bêtes ? Et bien il n'y a pas de législation définie sur le sujet, les insectes ne figurent pas sur les listes européennes des aliments autorisés. C'est en cours d'étude, mais les institutions européennes sont très procédurières et il faut du temps avant que la consommation d'un aliment soit étudiée et acceptée. Insagri nous explique qu'il existe pour le moment trois cas de figure en Europe, faute de cadre légal communautaire bien défini :

- Les pays qui considèrent que les insectes se consomment depuis 2000 ans, qu'il y a 2 milliards de personnes qui en consomment quotidiennement, donc que l'aliment n'est pas nouveau et autorisé à la consommation. C'est le cas de la Belgique et des Pays-bas.

- Les pays qui considèrent que ces aliments ne sont ni interdits ni autorisés puisqu'ils ne figurent pas sur la liste européenne. Ils sont donc tolérés, malgré le vide juridique. C'est le cas de la France, de l'Allemagne et de l'Italie par exemple.

- Les pays qui attendent le feu vert de l'UE pour autoriser l'aliment, c'est le cas de l'Espagne et du Luxembourg.

La Communauté européenne devrait se prononcer sur le sujet d'ici la fin de l'année.

Perrine LAFFON (lepetitjournal.com – Espagne) Vendredi 2 octobre 2015
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Publié le 1 octobre 2015, mis à jour le 5 octobre 2015
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