Grâce à l'initiative de l'association hispano-française Mujeres Avenir, nous découvrons l'histoire de 5 femmes qui ont dû fuir leur pays après la prise de pouvoir des talibans.
Leur seul crime: non seulement être des femmes, mais aussi et surtout des juges ou magistrates dont la signature avait permis de condamner des talibans pour crimes terroristes ou violences faites aux femmes.
Des criminels en prison à cause d'elles
C'est par exemple le cas de la juge afghane Helena Hofiany qui a raconté, lors de la conférence organisée par Mujeres Avenir "Juges afghanes réfugiées en Espagne: aucune conquête n'est irréversible", ce qui s'est passé ce 15 août 2021, lorsque les talibans sont entrés dans Kaboul.
15 août 2021: La vie s'effondre pour la moitié de la population
Ce jour-là, Helena Hofiany était au tribunal et un collègue de la Cour suprême lui apprend que les talibans viennent de reprendre le pouvoir. Elle savait pertinemment ce qui l'attendait, puisqu'elle avait envoyé en prison nombre d'entre eux. De plus, les talibans venaient d'ouvrir les portes de la prison de Kaboul, Pol-e-Charkhi, la plus grande du pays. Il n'y avait donc pas une minute à perdre…
La juge a alors immédiatement appelé son mari et ils ont fui avec leur petite fille sans même passer par chez eux: "Je n'ai pensé à fuir que pour sauver ma vie et celle de ma famille", se souvient-elle. Elle doit tout laisser derrière elle, mais conserve assez de sang froid pour brûler tous ses documents.
Enceinte de 7 mois quand elle fuit
Hofiany était alors enceinte de 7 mois - son 2ème enfant est né à Madrid- et pendant 40 jours, ils sont restés cachés dans un village près de Kaboul, où ses craintes se sont confirmées. "Les talibans recherchaient partout tous ceux qui avaient travaillé pour le gouvernement de l'ancien président Ashraf Ghani".
Vivantes car elles ne croyaient pas que les talibans avaient changé
D'ailleurs, lorsqu'on lui demande si elle avait cru au discours, en particulier des medias, qui prétendaient que ces "nouveaux" talibans étaient différents de ceux d'il y a vingt ans, la juge Hofiany et ses collègues rient amèrement. "Je n'ai jamais cru à la promesse faite par les talibans le 17 août 2021, deux jours après avoir pris d'assaut le palais présidentiel de Kaboul, qu'il n'y aurait pas de vengeance!!". Et heureusement pour elle et les 150 femmes juges afghanes qui ont réussi à fuir le pays.
"Le ciel afghan est très sombre"
Pour les autres qui sont encore en Afghanistan, "le ciel afghan est très sombre", selon les propres mots de la juge. Après l'arrivée au pouvoir des talibans, les femmes n'ont pas pu reprendre leur activité professionnelle et leurs comptes bancaires ont été gelés. En outre, ces femmes courageuses sont persécutées et menacées par les talibans depuis des années. En janvier 2021, deux femmes juges de la Cour suprême avaient ainsi été abattues à bout portant par des hommes armés alors qu'elles se rendaient à leur travail dans le centre de Kaboul.
Comme l'a souligné la présidente de l'association Mujeres Avenir, María Luisa de Contes, depuis un an déjà, la situation des femmes en Afghanistan est terrible. "Les libertés dont jouissaient les femmes jusqu'alors ont complètement disparu, les filles n'ont pas le droit d'aller à l'école, toutes les femmes doivent porter la burqa, et elles doivent être accompagnées de leur mari pour sortir dans la rue".
Safia Jan Mohammad s'est réfugiée en Espagne avec son mari, également juge, et leurs deux enfants. Elle vit près de Pampelune et tente de reconstruire leur vie afin d'avoir un avenir qui leur a été refusé en Afghanistan. En tant que juge à la Cour de la violence à l'égard des femmes, elle a jugé des centaines d'affaires de violence à l'égard des femmes commises par des maris, des pères, des frères, y compris des meurtres, des viols, des coups et des suicides.
"Avant l'arrivée au pouvoir des talibans, nous étions déjà menacées et craignions pour nos vies. En août 2021, nous avons compris que nous devions fuir un pays où les femmes qui dénoncent leurs maris, petits amis ou frères pour abus sont assassinées, où la violence est quotidienne, où les médecins sont piégés pour venir soigner les malades et sont retrouvés décapités en guise d'avertissement aux autres femmes. Telle est la réalité en Afghanistan aujourd'hui".
Friba Quraishi est connue pour avoir enquêté et condamné les terroristes talibans qui avaient assassiné un médecin espagnol de la Croix-Rouge en Afghanistan. Pour cette juge, les talibans défendent une société où les filles et les femmes "vivent comme des esclaves dans leurs maisons, enfermées pour un morceau de pain". Elle insiste sur le fait que même si "le monde occidental a trahi son engagement envers l'Afghanistan, et que le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme n'est "qu'un nom sans contenu", les femmes courageuses continueront à se battre, comme par le passé, pour se lever et recouvrer leur liberté en Afghanistan".
Un danger pour le monde entier
De son côté, Nazima Nezrabi, qui s'est réfugiée avec sa famille à Bilbao, était juge à la prison de Bagram, au sein du tribunal spécial chargé des crimes contre la sécurité intérieure et extérieure et des crimes terroristes. Pour Nazima, ce qui se passe en Afghanistan avec les talibans est un danger pour le monde entier. "Chaque jour, il y a des arrestations de citoyens, des journalistes qui ne réapparaissent pas, des filles contraintes à des mariages forcés, vendues pour un morceau de pain, et bien que le monde entier soit au courant de ces violations, nous constatons que le sens de l'humanité des gens a disparu".
Gulalai Hotak regrette pour sa part que tous les progrès réalisés au cours des vingt dernières années par les femmes afghanes qui les ont amenées à "devenir parlementaires, candidates à la présidence du gouvernement, femmes d'affaires, hauts fonctionnaires de l'État, tout cela a disparu en un seul jour". Pour cette juge, "les limitations imposées par les talibans empêchent les femmes de travailler et de nourrir leur famille, elles ont tué dans l'œuf l'avenir des filles, elles ont détruit les espoirs de toute une génération, et la société a été ramenée des décennies en arrière".
L'appui inconditionnel des associations internationales de femmes juges
Ces cinq femmes qui ont accepté de témoigner doivent en partie leur vie à la médiation de l'Association internationale des femmes juges (IAWJ en anglais) et l'Association espagnole des femmes juges (AMJE) qui se sont mobilisées pour sauver ces femmes. Un comité de soutien s'est ainsi mis en place, non seulement pour faire sortir leurs collègues d'Afghanistan, mais aussi pour les cacher dans des maisons sûres tant qu'elles ne pouvaient pas traverser les frontières du pays. Ce groupe a ainsi réussi à faire sortir d'Afghanistan plus de 150 des quelque 250 femmes juges. Mais malheureusement d'autres femmes comme elles attendent toujours de pouvoir quitter le pays, la plupart se cachant sur le territoire afghan ou dans les pays voisins. Il ne faut pas les laisser sombrer dans l'oubli.