L'Espagne est le 1er pays que visite Hervé Berville, le secrétaire d'État chargé de la mer. Ce n'est pas un hasard. La France et l'Espagne sont en effet les principales puissances maritimes de l'UE. Les deux pays partagent de nombreux enjeux, et comptent bien faire prendre conscience de l’importance de "l'écomaritime" à leurs voisins. M. Berville nous a reçu après sa réunion avec son homologue espagnol Luis Planas, pour nous expliquer leurs priorités.
"L'économie du XXIe siècle sera écomaritime". Ces mots prononcés par Hervé Berville montrent à quel point mers et océans sont des enjeux fondamentaux et ce, à plusieurs niveaux. "Je voulais vraiment faire ce premier déplacement en Espagne – nous explique Hervé Berville- parce que nous sommes de grandes nations maritimes, deux pays qui ont pris conscience de l’importance de la mer dans les enjeux géopolitiques, géostratégiques, économiques mais aussi écologiques et en terme d’emplois".
Plus de 80% du commerce mondial passe par la mer
Des enjeux cruciaux mais peu partagés par l'UE
Et c'est justement là que la bât blesse. Les pays de l'UE ne sont, pour la plupart, pas spécialement convaincus du caractère stratégique de la mer. Pourtant, 80% du commerce mondial passe par là! La coopération entre la France et l’Espagne est donc d'autant plus importante dans le contexte actuel. "Nous devons faire de la mer un véritable enjeu de politique publique et la mettre au rang des priorités au sein de l'Union Européenne -poursuit le secrétaire d'État chargé de la mer-. Il y a un gros travail à faire sur l’attractivité en matière maritime".
La France et l'Espagne ont pris conscience de l’importance de la mer dans les enjeux géopolitiques, géostratégiques, économiques mais aussi écologiques et en terme d’emplois.
Le premier enjeu, dont on parle le plus actuellement est la préservation de la biodiversité marine, un sujet qui rapproche les gouvernements espagnol et français, qui veulent "faire de la mer un enjeux principal de la lutte contre le changement climatique".

Question de souveraineté
Mais, comme le souligne Hervé Berville, c’est aussi un enjeu de souveraineté économique et notamment de souveraineté alimentaire. "La pêche et les pêcheurs sont un enjeu fondamental de la souveraineté économique et alimentaire de notre pays, mais aussi de l’Union européenne et donc il faut que la Commission européenne et les autres partenaires se battent aussi pour défendre les pêcheurs de la même façon que l'on défend les agriculteurs".
Il faut donner aux jeunes l'envie de travailler dans les métiers de la mer
Le secrétaire d'État a illustré ses propos en soulignant qu'en France, par exemple, "nous importons déjà plus de 80% de nos produits de la pêche! Nous sommes donc totalement dépendants des importations et nous ne pouvons pas continuer comme on l’a fait jusqu'ici, un peu comme ce qui se passe avec l’industrie, à casser du sucre sur le dos de l’industrie ou de la pêche et ensuite déplorer le fait qu’on dépende des produits de l’importation".
Défendre notre modèle de pêche français et espagnol
Il est donc primordial de défendre les modèles de pêche français et espagnol, et de faire des investissements pour la décarbonation des navires, afin que les pêcheurs soient moins dépendants des prix du fioul. "Les pêcheurs ne peuvent pas augmenter leurs productions parce qu'ils ont des quotas à respecter -explique Hervé Berville-, mais d’un autre côté, ils ne peuvent pas non plus trop augmenter les prix dans la même proportion que la hausse des prix du gasoil".
La Commission européenne et les autres partenaires doivent se battent aussi pour défendre les pêcheurs de la même façon que l'on défend les agriculteurs
Il s'agit d'un enjeu énorme lorsque l'on sait que pour la France, 2.500 milliards d’euros seront nécessaires pour décarboner la flotte de bateaux et préparer les nouvelles structures portuaires. "Nous avons beaucoup de convergence sur la décarbonation des navires ainsi que sur un soutien du modèle de pêche pérenne et qui prenne en compte les spécificités parce que ça n'est pas la même chose de pêcher dans l'Atlantique qu'en Méditerranée". Lors de la réunion de Berville et Planas, ils ont précisément abordé le fait que, pendant la présidence espagnole de l'UE au second semestre 2023, un débat sera organisé avec les autres États membres sur l'opportunité d'établir des mesures conjointes pour faciliter cette décarbonation de la flotte.
Nous ne pouvons pas continuer à casser du sucre sur le dos de l’industrie ou de la pêche et ensuite déplorer le fait qu’on dépende des produits de l’importation.
Donner de la visibilité à tous les acteurs de la mer
Autre sujet que le secrétaire d'état défend avec vigueur: valoriser les métiers liés à la mer. "Nous sommes des nations maritimes et devons absolument continuer à faire perdurer ces métiers qui ont une histoire, une tradition. Et pour cela aussi, il faut donner aux jeunes l'envie de travailler dans les métiers de la mer. Il est primordial de se battre, notamment au sein de l'UE, pour que tous les pays nous accompagnent afin d'améliorer, par exemple, les dotations pour rendre plus attractif de s’installer comme pêcheur. Et il faut aussi qu’on travaille très fortement sur la modernisation des navires. Actuellement les règles européennes font que c’est très compliqué de moderniser les bateaux".
Nous devons moderniser nos ports pour que l’Europe ait encore des infrastructures portuaires qui soient compétitives
Des ports plus compétitifs
Enfin, et pour revenir sur ce pourcentage incroyable de 80% du commerce mondial qui se fait à travers les mers, Hervé Berville a souligné que l'Espagne et la France ont une ambition partagée sur le transport maritime. "Nous avons la chance d’avoir de grands ports de commerce et de pêche et l'on constate que dans le monde où l’on vit, les ports deviennent des enjeux stratégiques. Nous devons par conséquent moderniser nos ports pour que l’Europe ait encore des infrastructures portuaires qui soient compétitives et qui nous permettent également de rester souverains en termes économiques. L’UE doit s’engager pleinement dans la maritimisation de l’économie et l''Espagne et la France ont tous deux l’ambition de faire de ce siècle-là le siècle maritime".
Le 15 septembre dernier, la Commission européenne a décidé d'interdire le chalutage dans une partie de l'Atlantique
En attendant, l'agenda du secrétaire d'État français à la Mer était particulièrement chargé pour cette première visite à Madrid. Outre les représentants de la communauté française et espagnole impliqués dans ce large secteur, Hervé Berville a également rencontré la ministre espagnole des Transports, de la mobilité et de l’agenda urbain, Raquel Sánchez, ainsi que le ministre de l’Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation, Luis Planas.

Interdiction de la pêche au chalut
Pendant la réunion bilatérale, Luis Planas et Hervé Berville ont analysé le règlement de la Commission européenne sur les écosystèmes marins vulnérables. Il faut en effet rappeler que le 15 septembre dernier, la Commission européenne a décidé d'interdire le chalutage dans une partie de l'Atlantique, avec les conséquences que cela pourraient avoir principalement sur les pécheurs français, espagnols et irlandais.
Luis Planas a ainsi expliqué à son homologue que l'Espagne travaille déjà à la présentation d'un recours contre ce règlement devant la Cour de justice de l'Union européenne, considérant qu'il est "injuste et disproportionné". Selon le communiqué du ministère espagnol, la France soutiendra la révision du règlement fixant les zones de protection des écosystèmes marins vulnérables.