Édition internationale

EL JUEVES – La revue satirique déçoit sur l'abdication du Roi

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 16 janvier 2024


Censure d'une page de couverture, démission de 18 dessinateurs en signe de protestation, accusations de complaisance vis-à-vis du pouvoir politique? L'hebdomadaire satirique El Jueves a bien du mal à se remettre de l'abdication du roi Juan Carlos. Retour sur la polémique qui a secoué la presse espagnole.

Photo : La couverture d'El Juevescensurée / Capture d'écran de Twitter

El Jueves, "la revue qui paraît le mercredi", est exceptionnellement sortie un jeudi le 5 juin dernier, juste après l'annonce de l'abdication du roi Juan Carlos Ier. On s'attendait à un numéro spécial, dont la page de couverture avait été diffusée à l'avance sur les réseaux sociaux : le Roi coiffant son héritier le prince Felipe d'une couronne pleine d'immondices, une pince à linge sur le nez. Or, à la place, c'est le leader de la gauche radicale Pablo Iglesias qui est apparu à la Une. Le dessin en question n'a pas été retiré de la revue, mais se trouvait dans une des pages intérieures et non plus en couverture. L'explication de la direction du périodique ? Le manque de temps entre l'annonce de l'abdication et les délais à respecter pour l'imprimeur. Excuse démentie des collaborateurs de la rédaction, qui affirment que 60 000 exemplaires du journal avec la couverture polémique avaient bien été imprimés avant d'être remplacés, comme le signale El Diario. Pas de problèmes de délai, donc, mais réel choix éditorial de la part de l'hebdomadaire. Petit-à-petit, les dessinateurs de la revue démissionnent en signe de protestation : on en compte 18 à présent, toujours selon El Diario. Ces anciens d'El Jueves ont récemment crée une revue concurrente, Orgullo y Satisfacción, pour "dire au revoir à Juan Carlos et bienvenue à Felipe" sans risque de voir leur parole restreinte.Parmi eux, le dessinateur de la caricature en question Manel Fontdevila, et un autre doyen de la revue, Albert Monteys, qui ne cessent de clamer à la censure dans la presse et sur les réseaux sociaux.

"Une intolérable attaque à la liberté d'expression"

El Diario et plusieurs autres périodiques s'insurgent sur ce qu'ils qualifient de "censure" de leurs collègues journalistes d'El Jueves. La Maison Royale assure qu'elle n'a rien à voir avec ce changement de Une, la décision de ne pas heurter la royauté viendrait donc du périodique lui-même. "Il y a-t-il quelque chose de pire que la censure ? Oui, l'autocensure." s'indigne El Diario, qui parle "d'intolérable attaque à la liberté d'expression". Manel Fontdevila accuse la RBA, l'entreprise éditoriale qui publie la revue, d'avoir exercé des pressions sur le journal pour retirer le dessin de la page de couverture et ainsi conserver de bonnes relations avec le Palais Royal. Un peu dommage pour un journal reconnu dans le monde de la satire comme El Jueves, unique survivant de la vague de journaux satiriques créés après la dictature franquiste dans les années 1970 et renommé pour l'humour impertinent de ses caricaturistes. Le dessin satirique fait partie de la culture de la presse espagnole, puisque les deux sont nés en même temps au XIXième siècle.

La liberté de la presse est accordée par la Constitution de 1812 mais, comme en France à l'époque, les journalistes doivent lutter pour conserver ce droit fragile face aux restrictions imposées par le pouvoir politique. Une tradition de journaux éphémères et de publications satiriques inégales, toujours menacées par la censure. Jacinto Octavio Pincón, historien de la caricature espagnole, remarque dans son ouvrage : "En Espagne, on n'a jamais vraiment aimé cette liberté pour la satire." Restreinte pendant la période franquiste, la presse retrouve son indépendance au retour de la démocratie. C'est là que nait El Jueves, qui prend l'habitude de ne pas se priver quand il s'agit de se montrer irrévérencieux avec la famille royale. Lors du mariage du roi Felipe et de la reine Letizia en 2007, la justice espagnole avait ordonné la saisie d'un numéro dont la couverture représentait le couple en pleins ébats, au motif que cela faisait "injure à la Couronne d'Espagne" (une caricature dessinée d'ailleurs par le même Manel Fontdevila qui voit son travail censuré). Des ennuis avec la justice que voulait peut être éviter le journal, mais qui maintenant se doit de trouver une nouvelle équipe de dessinateurs.

Lison RABUEL (www.lepetitjournal.com - Espagne) mercredi 25 juin 2014

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Publié le 24 juin 2014, mis à jour le 16 janvier 2024
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