Édition internationale

BERNARD KOUCHNER - "L'Eurozone sera l'avant-garde et l'Espagne y sera"

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 5 janvier 2018

De passage à l'Institut Français de Madrid à l'occasion d'une conférence sur les conséquences du printemps arabe pour le conflit israélo-palestinien, Bernard Kouchner, ancien ministre, notamment des Affaires étrangères (de mai 2007 à novembre 2010), a accepté en exclusivité de donner son sentiment sur la place de l'Espagne dans l'Europe et les relations bilatérales entre les deux voisins pyrénéens

(Bernard Kouchner dans les locaux de l'Institut Français / Photo Lepetitjournal.com)

Lepetitjournal.com : Le récent changement de gouvernement en Espagne peut-il modifier les relations politiques bilatérales avec la France ?
Bernard Kouchner :
Je ne le crois pas et je ne l'espère pas. Nicolas Sarkozy sera présent lundi à Madrid, avec notamment à l'ordre du jour un discours aux Français de l'étranger, on verra ce qu'il dira. Mais il n'y a aucune raison que la donne change. Il y avait une très bonne entente entre Nicolas Sarkozy et José Luis Zapatero. C'était également le cas entre Miguel Ángel Moratinos (ministre espagnol des Affaires étrangères d'avril 2004 à octobre 2010) et moi-même. Nous avons toujours travaillé main dans la main et tout donné pour porter à bien des initiatives justes, même si pas toujours suffisantes. L'un des exemples les plus marquants est l'Union pour la Méditerranée, également appelé "Processus de Barcelone". Avec le choix de la capitale espagnole comme siège, les Espagnols auraient pu prendre outrage. Cela n'a pas été le cas, ils se sont associés. Voilà la preuve que la relation fonctionne. Miguel et moi sommes amis, il existait une vraie formidable collaboration entre nous. Comme entre Sarkozy et Zapatero. Avec Rajoy, cela devrait aller dans le sens de la continuité.

"Aujourd'hui, en Europe, il ne faut surtout pas faire que du franco-allemand"

Comment valoriser l'importance des rapports franco-espagnols au niveau européen ?
La France et l'Espagne sont deux grands pays voisins, il est primordial qu'ils établissent des relations particulières. Sans négliger l'importance de l'axe franco-allemand, je trouve qu'il est impératif de comprendre que tout ne peut pas s'orchestrer en Europe autour de la France et de l'Allemagne. Plus il y aura d'accord entre les 17 pays membres de la zone euro et même entre les 27 Etats de l'Union Européenne, plus l'Europe aura de force. Particulièrement au moment de tenter de régler certains problèmes internationaux comme peut l'être la création d'un Etat palestinien.

La crise économique et financière a contribué au développement d'un sentiment anti-français et anti-allemand dans l'inconscient collectif en Espagne, notamment en termes de responsables politiques. Le syndrome "Merkozy" est-il le signe d'un inquiétant recul au niveau des relations entre citoyens européens ?

Certaines décisions communes de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel étaient autant nécessaires qu'inévitables. Elles ont peut-être été mal expliquées ou comprises à l'étranger, je l'ignore. Par contre, je suis d'accord à 100% sur un point souligné par votre question : aujourd'hui, en Europe, il ne faut surtout pas faire que du franco-allemand. Au contraire, la période actuelle impose la necessité de sortir des chemins battus. Il faut impérativement éviter de rajouter une crise humaine et politique à cette crise économique et financière. Le risque existe.

"La France et l'Espagne, deux pays amicalement unis, pas stratégiquement"


A l'image de la lutte contre le terrorisme à travers le cas de l'ETA, quelles sont les grandes réussites de la collaboration politique entre la France et l'Espagne, ces dernières années ?
L'ETA est évidemment le meilleur exemple, sans aucun doute. Lutter contre le terrorisme basque ? Sincèrement, on n'aurait jamais pensé que l'ETA allait finalement abandonner son espèce de fausse lutte armée. Il faut féliciter les policiers français et espagnols. Cet exemple précis prouve que nous avons toujours mené notre politique internationale ensemble, et plus encore quand il s'agit des grandes décisions. Tous les responsables politiques peuvent l'affirmer, entre la France et l'Espagne, l'entente a toujours été tout à fait cordiale. Nous sommes amicalement unis, pas stratégiquement.

Où situez-vous l'Espagne dans la future Europe à plusieurs vitesses ?
L'Eurozone sera l'avant-garde et l'Espagne y sera. Même s'il y a plus de chômage qu'en France, la transformation économiquie de l'Espagne depuis 20 ans est formidable. J'invite les gens à ne pas s'obnibuler avec la crise, même si elle ne pas prendre fin tout de suite. Quand on est endetté, on rembourse. Qu'il s'agisse d'une famille ou d'un pays. Ensuite, il y a toujours un après.

"Malgré la crise, une vitalité formidable existe en Espagne, partout il y a de la vie. Ça fait une petite différence..."

Vous êtes à Madrid depuis deux jours, avez-vous remarqué un climat particulier dans un pays qui présente un taux de chômage record (environ 22%) ?
Je trouve qu'ici en Espagne, une vitalité formidable existe. Tout est plus vivant qu'en France. J'entends les jeunes s'interpeller dans la rue, de manière spontanée et allègre. Malgré la crise, partout il y a de la vie. Ça fait une petite différence...

Etes-vous amateur de culture espagnole ?
J'aime la "movida", la "vie" qu'il y a ici. C'est une culture flamboyante, qui laisse beaucoup de place à la profondeur de la compréhension des choses. J'adore la littérature espagnole et hispanique. Je suis fan des ouvrages de Mario Vargas Llosa et Arturo Pérez-Reverte, par exemple. De fait, chaque fois que je viens en Espagne, je me sens très à l'aise tout de suite. Par ailleurs, je suis également admirateur de l'invention espagnole des communautés autonomes. Ce sera peut-être la base du futur modèle européen, via un découpage fédéral, notamment au niveau économique.

Propos recueillis par Benjamin IDRAC (www.lepetitjournal.com - Espagne) Vendredi 13 janvier 2012

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Publié le 13 janvier 2012, mis à jour le 5 janvier 2018
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