Jusqu'au 2 janvier 2024, le Teatro Real de Madrid présente une nouvelle production de Rigoletto de Giuseppe Verdi, en coproduction avec l'ABAO Bilbao Ópera et le Teatro de la Maestranza de Séville.
Rigoletto, l'un des opéras les plus appréciés et les plus joués dans l'histoire du Teatro Real, sera repris dans sa quatrième production depuis la réouverture du théâtre. La première de Rigoletto au Teatro de La Fenice en 1851 avait été précédée de plusieurs heurts avec la censure vénitienne, qui s'opposait à la vision brutale de la vie de cour qui se dégageait du livret de Francesco Maria Piave - d'après "Le Roi s'amuse", de Victor Hugo -, avec un protagoniste brisé et pervers, qui démasque, par son rire diabolique, la pourriture d'une société corrompue, cruelle et dégénérée, qu'il incarne lui-même par sa difformité physique et morale.
Maledizione ou le rire diabolique
La terrible intrigue de l'opéra est centrée sur la malédiction que le comte de Monterone jette sur Rigoletto pour s'être moqué du déshonneur de sa fille. Cette prémonition - dont le thème, maledizione, résonne du début à la fin de l'opéra - sera le tourment du bouffon et le prélude à son malheur : sa fille, l'innocente Gilda, qu'il isole et protège, sera séduite par son maître, le libertin duc de Mantoue, et enlevée par les courtisans, mourant d'amour, dans une machination funeste qu'il a lui-même engendrée.
Le drame puissant de Victor Hugo, aux accents shakespeariens, a inspiré une partition d'une grande intensité dramatique et d'une écriture musicale brillante, capable de décrire avec une concision et une beauté impressionnantes la complexité et l'ambivalence des personnages et le développement de l'intrigue, qui se déroule avec tension et fluidité de la première à la dernière mesure.
Victime et bourreau
Miguel del Arco, responsable de la mise en scène, a créé une production qui plonge dans la personnalité anguleuse du personnage-titre, victime et bourreau, maltraité et abuseur, transformant la pièce en un portrait décourageant de notre société actuelle, qui se complaît dans les attitudes les plus fallacieuses et les plus cruelles.
La soif de pouvoir - vorace, aveuglante et insatiable - crée des monstres qui agglutinent autour d'eux, avec une force centripète écrasante, une société servile et grégaire qui normalise les situations les plus atroces, acceptant, masquant et même applaudissant la cruauté, l'humiliation, le viol, la calomnie, la violence et la vengeance. Seul l'amour peut vaincre la déshumanisation de l'âme, ouvrant une brèche de lumière et d'espoir dans le monde sombre du Rigoletto de Verdi, que Miguel del Arco nous fait découvrir. Un monde plus actuel que jamais.