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Palais du Marquis de Pombal, à Oeiras

Palais du Marquis de Pombal, à OeirasPalais du Marquis de Pombal, à Oeiras
©M.J. Sobral
Écrit par André Laurins
Publié le 1 février 2019, mis à jour le 1 février 2019

Le palais du Marquis de Pombal, Comte de Oeiras, au titre actuel de monument national, a été construit à partir de 1737. D’architecture précieuse, il est considéré comme l’un des plus beaux palais européen de cette époque. 

On le découvre, composé de 22 salles dans son intérieur, tapissées littéralement de carreaux de faïence (azulejos, en portugais), que l’on retrouve jusque dans les escaliers et terrasses. Ces derniers sont d’aspect polychrome, aux thèmes profanes ou religieux, à trois couleurs spécifiques et donnent une touche décorative exceptionnelle. Les multiples peintures sont d’artistes portugais tels que André Gonçalves ou Joana de Salitre. Les sculptures sont essentiellement de Joachim Machado de Castro, enfin les stucs et plâtres travaillés de João Grossi, ce dernier, un artiste italien.

La propriété est une maison de campagne aristocratique et estivale qui s’accompagne d’une exploitation agricole, ce qui reste la conception fondamentale de palais et jardins portugais du XVIe jusqu’au XVIIIe siècle. On y trouve, en effet, une articulation intime entre les espaces de loisir liés à une ferme d’été, associés aux activités agricoles du reste de l’année. Cette propriété a perdu beaucoup de sa surface d’origine au cours des siècles suivants et actuellement elle comprend environ 6 hectares entre palais, bâtiments multiples et jardins. Les murs du palais sont de couleur rose avec certaines parties couvertes de carreaux de faïence d’influence française de style rococo lié aux années 1730. Ils reprennent souvent des motifs végétaux et floraux, des ornements géométriques, mais aussi pour certains des scènes de vie quotidienne de l’époque où ils ont été conçus : promenade en barque, corrida, fauconnerie, chasse au sanglier ou au cerf, thèmes mythologiques. Ceux de la grande terrasse, eux, sont décorés d’azulejos jaunes marbrés, fabriqués à Lisbonne dans l’usine de Rato. A partir de la terrasse du palais, on trouve trois escaliers qui nous amènent à la partie jardin, eux aussi joliment décorés d’azulejos polychromes (jaune ocre, vert et rouge d’oxyde de manganèse) et représentant, entre autres, des scènes de chasse. Le deuxième escalier, partant de la terrasse des Araucarias, a des azulejos bleu et blanc classiques entre feuilles et coquillages.

Le palais du Marquis de Pombal sera acheté, en 1958, par la Fondation Calouste Gulbenkian. Il faudra remodeler les jardins après la forte inondation de 1960 et ce sera Gonçalo Ribeiro Telles, architecte-paysagiste de renom, qui s’en chargera à partir de 1965. La Mairie de Oeiras prendra possession de la propriété, en 2003, et elle sera ouverte gratuitement au public un an plus tard. La dernière intervention notable sera la restauration complète du pressoir à huile d’olive, en 2010.

 

Qui était le Marquis de Pombal ?

Marquis de Pombal
 

Sebastião José Carvalho e Mello est né à Lisbonne (rua do Século) en 1699 et mort à Pombal en 1782. Il aura été représentant du Portugal à Londres et à Vienne avant de devenir pendant 27 ans le maître quasi absolu du Portugal, dont quarante ans d’une carrière politique exceptionnelle. On l’a souvent appelé un despote illuminé. On le connaît surtout pour la reconstruction de la partie de Lisbonne détruite par le tremblement de terre de 1755, mais il a aussi été très impliqué dans la révolution économique et sociale du pays en créant de nombreuses industries (céramique, soie, vins et spiritueux) afin de rendre le Portugal beaucoup plus indépendant du reste de l’Europe et spécialement de l’Angleterre.

Ce que l’on peut lui reprocher, ce sera son réajustement du système de l’enseignement avec comme facteur déterminant l’expulsion des Jésuites, en 1769. Il mènera également une forte répression sur les grandes familles de l’aristocratie, en démantelant leurs privilèges, une classe sociale qui à l’époque était la seule à construire et à posséder palais et jardins.

Au Portugal, du temps de Pombal, il y avait 9 marquis, 33 comtes et quelques ducs, donc une classe sociale relativement restreinte qu’il était facile de réprimer, surtout en ayant la protection du souverain Dom José I. Sans garantie d’une position à la cour, dans une ambassade, au gouvernement ou dans l’économie du pays, les nobles n’avaient plus l’argent nécessaire pour créer jardins et palais et maintenir ceux qu’ils possédaient depuis des générations à la campagne comme dans la capitale. Par contre, Pombal va privilégier une nouvelle classe sociale représentée par les bourgeois commerçants, ces derniers appuyés aussi par la Franc-maçonnerie qui prend son essor dans ce contexte qui lui est favorable. Il ira jusqu’à anoblir entrepreneurs et chefs des grandes compagnies commerciales au détriment de la vraie noblesse, créant ainsi une oligarchie pombaline mise en place à partir de 1750.

Entouré d’hommes d’affaires, croyants tous que les intérêts nationaux et particuliers pouvaient se fondre et ne pouvaient qu’avantager le royaume, Pombal gouvernera le pays avec un pouvoir absolu jusqu’à la mort du roi en 1777, sa force et en même temps sa faiblesse dépendant du monarque. Quand l’arrivée régulière de l’or du Brésil avait commencé à s’épuiser, à partir de 1770, après presqu’un siècle de production aurifère continue, Pombal sera forcé de baisser les importations de textile provenant d’Angleterre, réajustant ainsi la balance commerciale entre les deux pays. Il augmentera, par contre, les exportations de vins de Porto, de tabac et coton brésilien et ira jusqu’à créer des manufactures portugaises de produits de luxe (soie, chapeaux, porcelaine, etc.).

Si l’abolition de l’esclavage est décrétée en 1761 et appliquée à partir de 1773, au Portugal continental, elle ne s’appliquera ni dans les colonies, dont le Brésil (abolition seulement en 1888), ni à Madère pour cause de l’exploitation de la canne à sucre. Il faut rappeler qu´entre 1762 et 1776, plus de la moitié de la recette de l’Etat portugais provenait des colonies et essentiellement du Brésil. Les manufactures pombalines, après 1770, sont innovantes et protégées par un monopole d’Etat, utilisant une grande main-d’œuvre d’apprentis pour réduire les frais de production. La Chambre de commerce du Portugal aidera beaucoup d’entrepreneurs étrangers, dont un certain Jacome Ratton, qui fera la promotion du coton du Brésil en France.

Les terres du Marquis

Les terres fertiles de Oeiras, que possède la famille Carvalho, vont devenir, à partir de 1737, une entreprise familiale dont Pombal est le "Morgado", c’est-à-dire le principal héritier et gestionnaire, selon une inscription que l’on trouve à l’entrée de la propriété. Elle est à la fois une ferme productive comme de loisir estivale. Pombal chargera alors l’architecte hongrois Carlos Mardel (1696-1763) d’y construire un palais et les jardins alentours. Ce dernier avait déjà travaillé à la construction de l’aqueduc «das Aguas Livres», du temps du roi Dom João V et c’est le même qui sera en partie responsable de la reconstruction de la Baixa pombaline, y incorporant égouts et structures en bois de chêne dans les murs des nouveaux édifices pour qu’ils soient plus résistants à un cataclysme (la dite cage pombaline). À Oeiras, il montera dans les jardins un système d’irrigation, sans gaspillage d’eau, encore d’actualité.

 

Description des jardins
Palais Marquis de pombal

Dans la partie d’en haut; "Quinta de Cima", le sol est assez fertile pour y planter un verger composé de mûriers pour l’élevage de vers à soie. Les arômes des citronniers s’associent également au son de l’eau fraîche et murmurante des cascades. Des mines ont été creusées sur les flancs de la colline pour aller jusqu’aux sources et la distribution des eaux recueillies sera faite par un aqueduc.
Il y a dans les jardins portugais quatre particularités bien spécifiques:
- une diversité d’arbres et arbustes fleuris, avec dans certains cas une «zone sauvage» (Tapada/Mata) de plantes endémiques de la région. Cette conception se rapproche du jardin anglais, désireux de copier la nature dans sa diversité et densité.
-offrir de belles vues, grâce à une topographie souvent accidentée, les jardins étant installés en hauteur.
- associer des zones de loisir avec des parties exploitées, souvent des vergers de citrines.
- présence d’azulejos avec de grands bassins.

L’utilisation de l’eau est fondamentale pour que les plantes puissent supporter au moins quatre longs mois d’été sans pluie; l’eau sera stockée dans des citernes ou bassins. En dehors de son aspect utilitaire, l’eau reflète le ciel et focalise la lumière solaire. Proche des bassins, on trouve des pavillons pour» prendre le frais» et les murs d’azulejos se reflètent aussi dans l’eau.

Végétation et production agricole

Jardin
Toujours dans cette partie supérieure du jardin du palais, nous trouvons un pavillon couvert d’azulejos bleu et blanc, de Claude Joseph Vernet, ayant pour thème la pêche d’où sa désignation de "Casa da pesca" et la citerne située à côté est alimentée par une cascade (Cascata do Taveira) et une belle fontaine (Fonte de Oiro). Enfin, un bâtiment a été édifié pour l’élevage de vers à soie, ainsi qu’un pigeonnier pour la riche production de colombine.

Le Marquis de Pombal avait inclus les vignes de sa propriété d’Oeiras dans la zone de production des vins de Porto du Douro, (bien que Oeiras soit plus proche du Tage!) et il bénéficia ainsi de nombreux avantages pour sa production agricole. Pombal disait que sa fortune était due au principe de pratiquer dans sa vie privée ce qu’il recommandait pour la vie publique; modérer les dépenses, avoir une comptabilité adéquate et des investissements lucratifs de capitaux. D’après Ratton, son fidèle ami, Pombal réservait les dimanches matins pour ses affaires personnelles et avait une phrase lapidaire:"Qui ne sait pas bien gouverner sa maison, ne vaut rien comme gouverneur de l’Etat".

Dans la partie basse et l’entrée de la propriété, le jardin est composé d’une zone ombragée garnie par différents arbres de grand port, mais aussi par de nombreuses pelouses bien exposées. La Fontaine des quatre Saisons est décorée de belles sculptures aux références symboliques de la mythologie antique. Quand on descend l’escalier de la terrasse face à la salle à manger du palais, nous avons aussi comme point de vue la Cascade des Poètes; dans cette dernière, à son centre, on y voit la statue d’un géant aquatique, réalisé par Joachim Machado de Castro, qui semble être une allégorie du fleuve de Lisbonne, le Tage, avec de petits pavillons ou niches de chaque côté gardant les bustes d’Homère, de Virgile, de Tassoni et du Camões national, véritable palais fluvial sous-marin, composé de roches volcaniques et de mosaïques. Chaque buste est une tête colossale, placée en hauteur, les visages inclinés vers le bas en direction des visiteurs. L’influence italienne est notoire et la grotte naturaliste accentue le côté mythologique, l’ensemble étant éclaboussé par l’eau omniprésente. On trouve aussi d’autres sculptures dans les sorties d’eau des différents bassins. La cave à vin située à une extrémité de la propriété, par sa taille monumentale, ressemble davantage à un autre palais surtout avec sa façade exposant des bustes d’Empereurs romains. La cave, en elle-même, avec sa capacité de 900 tonneaux, était la plus grande de la région et la grange fonctionnant au-dessus d’elle pouvait stocker toute la production céréalière de la propriété, mais aussi ce qui avait été récolté par les bailleurs du Marquis, payant en produits agricoles le Morgado de Oeiras. Pour finir dans cette partie, on trouvera le pressoir à huile d’olive, qui a été complètement restauré, montrant son système de presse constitué de bois exotiques de grande dimension encore en excellent état.

Manifestations bucoliques
Palais Marquis de Pombal

Coupant l’étendue des pelouses, qui du temps du Marquis étaient couvert de vergers de citrines et d’amandiers, selon les témoignages offusqués de certains visiteurs étrangers, tels un certain William Dalrymple, car ce n’était pas vraiment la norme dans le reste de l’Europe pour un jardin de palais, une rivière passe en formant un petit canal propice à des promenades en barque. Dans cette partie des jardins, nombreuses étaient aussi les occasions pour organiser des jeux de sociétés, des pièces de théâtre, des ballets concerts et autres manifestations bucoliques de l’époque.
La "Terrasse des Araucarias", accolée au palais, comprend des parterres de buis et la fontaine des "emboutis", une décoration composée de petits coquillages, pierres colorée, morceaux de vaisselle ou verres qui forment un ensemble rococo, d’inspiration des mosaïques romaines. D’autres représentations de ce type se retrouvent dans de nombreux jardins portugais du XVIIe et XVIIIe siècle. Ici, en particulier, il est facile de distinguer la forme d’un S et d’un L, au milieu de cette décoration, qui sont les initiales des propriétaires du lieu, Sebastião et son épouse Leonor.

 

La chute du Marquis

En 1777, le roi Dom José I meurt et sa fille Dona Maria I, très croyante, devient la première reine du Portugal accompagnée de Dom Pedro III, son mari depuis 1760, intime des Jésuites. C’est l’heure de la revanche! À la chute du Marquis de Pombal, 800 prisonniers politiques furent libérés, dont des jésuites incarcérés, comme les aristocrates qui avaient tenté de tuer le roi Dom José, en 1758. Pombal va se réfugier d’abord à Oeiras, mais il sera obligé d’aller s’exiler jusqu’à la ville de Pombal, puisque la reine avait décidé de mettre plus de trente kilomètres entre elle et lui, tellement elle le détestait. On sera obligé de protéger sa demeure de Lisbonne pour éviter que la populace ne l’incendie. Par contre, son effigie le fut. Sa chute rendra malgré tout la faiblesse de l’Etat encore plus évidente aux industriels et la libéralisation du commerce, avec la fin des monopoles d’Etat imposés par Pombal, favorisera industriels et capitalistes sans que la Couronne y gagne. À 80 ans, le marquis de Pombal se retrouvera accusé d’abus de pouvoir, corruption et fraudes. Pour seule défense, il argumentera que seul le roi était responsable de ses décisions et de son administration. En 1781, son procès se clôt sans aucune peine ou condamnation, vu son grand âge et sa santé défaillante. Il meurt un an plus tard, cinq ans après avoir perdu le pouvoir et complètement seul, à part de rares fidèles. C’est trop dire qu’il fut absolutiste ou despote, mais bien entre ces deux tendances. Il fut sans nul doute un absolutiste des Lumières, avec le monopole fondamental du pouvoir sur l’administration, la justice, le système fiscal et les moyens d’autorité. Son objectif principal était d’augmenter les pouvoirs de l’Etat, à travers une meilleure efficacité de l’administration et des armées. Pombal due aussi toujours réagir aux circonstances avec la réforme des armées face à l’agression espagnole de 1762, réaliser la reconstruction d’une partie de la capitale après le désastre de 1755, ou réformer le système éducatif après l’expulsion des Jésuites, en 1769. Il alla jusqu’à une rupture avec la Papauté de Rome, obligeant à une réforme des relations entre l’Eglise et l’Etat. Il intensifiera la croissance des manufactures pour diminuer les importations et atteindre plus d’indépendance envers les autres nations européennes. Mais réforme et despotisme sont les deux faces d’une même pièce ; quand il privilégiait les grands entrepreneurs, il pénalisait les petits et si ces petits se révoltaient, il les écrasait sans pitié. Donc, il ne se souciait nullement d’une démarche protectionniste de l’individu en tant que tel.

 

Visite le 9 février 2019

L´auteur propose une visite de 10h00 à 12h30,
Rdv devant l'entrée du palais à partir de 9h45, face à la mairie d'Oeiras.
Participation 5 euros par personne.
Le palais se trouve à 10 minutes à pied de la gare d´Oeiras.
Inscriptions : Tel. 914 699 247 - laurins.andre@gmail.com

(Photos ©M.J. Sobral)

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