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L´univers loufoque d´Afonso Cruz, écrivain portugais

Afonso CruzAfonso Cruz
(Portal da Literatura)
Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 17 mai 2018, mis à jour le 17 mai 2018

Dans le troisième volet de notre périple par les auteurs qui dessinent les nouvelles tendances du paysage littéraire portugais, nous vous faisons connaître les deux livres d´Afonso Cruz traduits en français : Jésus Christ buvait de la bière et Les livres qui ont dévoré mon père, deux romans d´une inventivité hors pair.

 
Quand un lecteur parcourt les étagères d´une librairie en voulant dénicher des œuvres inconnues, s´attend-il à voir sous l´étiquette de telle ou telle littérature (française, portugaise, anglaise ou autre)  une même sensibilité, une même psychologie, bref une même communauté d´esprit ? Certes, il peut s´y attendre, mais ce n´est pas forcément vrai. On dirait même que c´est de moins en moins vrai. 

Mondialisation, Internet et autres outils modernes aidant, nous sommes de plus en plus témoins d´écrivains dont on décrypte dans leur généalogie littéraire peu de références d´auteurs de leur pays. Certains pourraient répondre qu´auparavant il y avait aussi des exemples pareils. Sans aucun doute, mais cette tendance s´est accentuée ces derniers temps.

Au Portugal, on a évoqué il y a quelques années l´exemple de Gonçalo M.Tavares, né en 1970 -auteur profusément traduit et récompensé aujourd´hui, en France et ailleurs -qui a défrayé la chronique au début du siècle en publiant des œuvres pleines de références littéraires européennes, y compris dans les titres, mais où les références portugaises n´étaient pas particulièrement visibles, même quand les intrigues se déroulaient au Portugal. On pourrait en dire de même d´un autre écrivain, Afonso Cruz, son cadet d´un an.

Afonso Cruz est né à Figueira da Foz en 1971 et il est non seulement romancier, mais aussi  réalisateur de films d´animation, illustrateur et musicien. Diplômé de la Faculté des Beaux-Arts de l´Université de Lisbonne, il a à son actif plus d´une vingtaine de titres qui ont mérité la reconnaissance de la presse spécialisée et d´un nombre croissant de lecteurs. Son roman A boneca de Kokoschka (La poupée de Kokoschka) a été couronné du Prix de Littérature de l´Union Européenne en 2012 et cette même année son roman Jesus Cristo bebia cerveja (Jésus-Christ buvait de la bière) a été sacré meilleur roman par les lecteurs du quotidien Público. Ce roman est un des deux seuls livres de l´auteur traduits en français, l´autre étant Os livros que devoraram o meu pai (2010) qui vient de paraître sous le titre Les livres qui ont dévoré mon père,  l´étrange et magique histoire de Vivaldo Bonfim. Ils ont été publiés tous les deux par l´éditeur québécois Les Allusifs (diffusé en France, en Belgique, en Suisse et au Luxembourg) et traduits par Marie-Hélène Piwnik, prestigieuse spécialiste de langue et littérature portugaises à la Sorbonne, à Paris.

Jésus Christ buvait de la bière nous raconte l´histoire de Rosa, une adolescente portugaise de quinze ans qui  habite en Alentejo, une des régions les plus pauvres du Portugal. Son quotidien est nourri d´un érotisme à fleur de peau et des romans policiers et des westerns qu´elle consomme. Son enfance n´a pas été une partie de plaisir : sa mère, archéologue, est devenue alcoolique et nymphomane après s´être mariée à un paysan d´une condition sociale inférieure à la sienne. En outre, son grand-père s´est jeté dans un puits et sa grand-mère est proche de la mort. Celle-ci confie cependant un rêve à Rosa : son désir d´aller en Terre Sainte. Sa petite-fille n´a pas les moyens d´exaucer son rêve, mais grâce à l´excentricité d´une milliardaire anglaise, Mrs Whittemore -qui dort dans le squelette d´une baleine et y héberge un sage hindou, un sorcier yoruba africain et le professeur Borja, un vieil illuminé-, on déguise le très paisible village d´Alentejo en Jérusalem, organisant en plus un repas de Cène où l´on boit de la bière qui aurait été la boisson de prédilection de Jésus-Christ. Lors de la parution du roman en France, Éric Chevillard a écrit dans le Monde des Livres : «Il suffit d´être un peu enclin à l´extrapolation pour voir en lui le parfait symbole de la littérature portugaise contemporaine : s´y déploie la figure du double chère à José Saramago, y triomphe ce «délire contrôlé» en quoi consiste l ´écriture selon António Lobo Antunes ; puis, il peut évoquer encore les architectures utopiques de Gonçalo M. Tavares ou l´emphase comique de Mário de Carvalho». Ces comparaisons subjectives sont, de l´aveu même d´Éric Chevillard, des extrapolations, mais elles n´en sont pas moins un signe de la reconnaissance -ou, au moins, le succès d´estime- d´Afonso Cruz en dehors du Portugal.

Le roman Les livres qui ont dévoré mon père a été publié en France en février dernier. C´est l´histoire d´Elias Bonfim, douze ans, qui n´a jamais connu son père. Ce père absent -Vivaldo Bonfim- était un modeste fonctionnaire au bureau des finances, féru de littérature, disparu après s´être engouffré, un après-midi, dans L´île du docteur Moreau de H.G.Wells. L´adolescent part à la recherche de ce père qu´il n´a jamais vu. Dans sa quête, il parcourt des classiques de la littérature pleins de meurtriers, de passions violentes, de bêtes sauvages et d´autres dangers se conjuguant au rythme des pages d´un livre. Un vibrant hommage à la littérature.

L´univers d´Afonso Cruz est fertile en personnages loufoques, grotesques, des égarés aux abois qui se cherchent des repères dans un monde sens dessus dessous.  Grand voyageur, son dernier livre publié en portugais s´intitule Jalan, Jalan, un mot indonésien qui signifie plus ou moins «se promener». Dans une interview récente à la Radio Renascença, il a affirmé : "Voyager, c´est mieux connaître l´endroit d´où l´on sort". Les lecteurs, quant à eux, veulent peut-être plonger dans la lecture d´une fiction d´Afonso Cruz pour ne plus en "sortir"…

Afonso Cruz : Jésus-Christ buvait de la bière, Les Allusifs, Montréal, avril 2015 ; Les livres qui ont dévoré mon père, Les Allusifs, Montréal, février 2018 (traduits tous les deux par Marie-Hélène Piwnik).

 

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