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Valério Romão, portrait d´un écrivain portugais qui force l´admiration

Valerio Romao_©vitorinocoragemValerio Romao_©vitorinocoragem
Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 17 novembre 2017

Dès aujourd´hui, Lepetitjournal vous fera connaître de temps en temps des auteurs qui font parler d´eux et dessinent les nouvelles tendances du paysage littéraire portugais. Nous commençons par Valério Romão qui est curieusement né en France où il a vécu jusqu´à l´âge de 10 ans.  

 

Les maisons d´éditions françaises publient de plus en plus d´auteurs portugais

Malgré la présence depuis plusieurs décennies d´une très nombreuse communauté portugaise en France, les Français ignorent presque tout sur le Portugal. Si les vieux clichés ne sont plus de mise -et le nombre de Français qui habitent maintenant au Portugal peuvent contribuer eux aussi au changement des mentalités- l´ignorance sur la culture portugaise est encore énorme. Quoi qu´il en soit, les maisons d´éditions françaises publient de plus en plus d´auteurs portugais. Certes, le nombre n´est pas encore particulièrement expressif, mais il y a toute une génération d´écrivains portugais nés dans les années soixante-dix -qui n´ont connu ni le fascisme ni la révolution des œillets- qui font parler d´eux au Portugal et qui commencent à être traduits, notamment en France. Les éditions Chandeigne, créées en 1992 par Anne Lima et Michel Chandeigne ont eu de tout temps dans leur catalogue un nombre important d´auteurs de langue portugaise, tant les classiques que les contemporains.

L´année dernière, ce petit et néanmoins prestigieux éditeur français a fait paraître un roman fort, dérangeant, au langage parfois cru, et bousculant pas mal d´idées reçues, d´un jeune écrivain portugais, diplômé de philosophie et informaticien de profession,   qui répond au nom de Valério Romão, un écrivain qui est né, figurez-vous, à Clermont-Ferrand, en France, en 1974, l´année de la  révolution des œillets! Parti vivre, à l´âge de dix ans, au Portugal, le pays de ses parents (dans la ville de Tavira, en Algarve, le lieu de naissance que le génie de Fernando Pessoa a attribué à son hétéronyme Álvaro de Campos), Valério Romão ne gardait pas un très bon souvenir de son enfance française. Dans un entretien accordé au magazine Télérama en mai, il a évoqué ce temps-là : « Ma relation avec la France est ambivalente. Je suis né à Clermont-Ferrand et bien que j’y aie vécu pendant les dix premières années de ma vie, ce pays ne m’a jamais fait sentir chez moi. Le fait d’avoir des parents portugais n’a pas été étranger à cela. J’ai étudié dans une école catholique jusqu’à la fin de l’école élémentaire. Mes camarades, des enfants de mon âge, se comportaient régulièrement de manière incroyablement cruelle envers moi ; la plupart du temps ils m’ignoraient mais ils ne perdaient jamais une opportunité de me dire ou de me faire sentir que je n’étais pas de là, pas de cette école, pas de cette ville, pas de ce pays, pas de la France». Pourtant, les choses n´ont pas tellement changé quand ses parents ont pris la décision de rentrer au Portugal : «Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour comprendre que j’étais aussi impopulaire au Portugal qu’en France. D’une certaine manière, je continuais à être étranger, pour des raisons différentes, et les enfants continuaient à être cruels. Rien n’avait changé. J’ai pensé que c’était peut-être de ma faute». Entre-temps, il a fait la paix soit avec le Portugal, soit avec la France, pays qui lui est à nouveau devenu familier après la parution de son roman Autisme, aux éditions Chandeigne, traduit par Elisabeth Monteiro Rodrigues et qui fut un des finalistes du Prix Femina Étranger. Depuis, Valério Romão a accordé pas mal d´interviews à des journaux et des stations de radio en France où il a parlé de son roman bouleversant.

Autisme, un roman de Valério Romão

Valério Romão - Autisme
Si  l´on regarde dans le dictionnaire la signification du mot autisme, on nous renseigne grosso modo qu´il s´agit d´un trouble du développement neurologique caractérisé par des difficultés de l´apprentissage social et de la communication (repli pathologique sur soi). Plus couramment, au sens figuré, l´autisme est un déni de réalité qui pousse à s´isoler et à refuser de communiquer, et, particulièrement d´écouter autrui. Néanmoins, au propre, on peut s´imaginer que pour les parents d´un enfant autiste la vie n´est sans doute pas une partie de plaisir. Peut-on vraiment ? Est-ce que quelqu´un qui ne s´est jamais frotté à un problème pareil au quotidien peut-il se faire une idée des difficultés éprouvées par un ménage où il existe un enfant victime d´une forme d´autisme particulière connue sous le nom de syndrome d´Asperger ?

Il y a sans doute des témoignages là-dessus, mais Valério Romão dont le fils est victime de ce syndrome ne voulait pas à proprement parler témoigner. Seule la fiction eût permis d´une façon peut-être violente mais en même temps authentique de donner la juste mesure d´une réalité au bout du compte assez méconnue.

Si l´autisme n´est pas original en tant que sujet de roman, l´approche suivie par Valério Romão est tout à fait novatrice grâce à son rythme, à savoir une alternance de voix et de situations en chapitres non-chronologiques.

L´intrigue gravite autour d´une famille portugaise constituée par Marta, son mari Rogério, et  leur fils Henrique, mais les grands-parents de l´enfant y jouent aussi un rôle non négligeable. En allant chercher son petit-fils Henrique à l´école, dans une ville du Portugal, Abílio qui en chemin râle contre tout ce qui l´entoure-les pigeons, les nègres, ses voisins et surtout sa femme-, apprend que l´enfant est renversé par une voiture. Il se rend à l´hôpital où se trouvent déjà Rogério et Marta. L´impatience devant l´absence de nouvelles aux urgences reconfigure le rapport au monde des membres de la famille. L´angoisse permet de recomposer les liens entre eux. Le récit alterne les scènes aux urgences et les scènes de la vie conjugale et familiale. Les sentiments sont souvent à fleur de peau et la maladie de l´enfant déchaîne une foule d´émotions qui émaillent le roman, comme l´amour, naturellement, mais aussi la tristesse, la honte, la révolte, l´accablement, la solitude. L´autisme de l´enfant est au bout du compte -tristement et ironiquement- une métaphore de l´incapacité de communiquer des adultes qui l´entourent, soit par incompréhension réciproque, soit par souci de ménager l´autre. Quoi qu´il en soit, l´auteur réussit encore la prouesse d´agrémenter la narration d´une bonne dose d´humour et d´autodérision.

Ce roman Autisme- Autismo en portugais-, paru au Portugal en 2012, est le premier d´une trilogie intitulée «Paternités ratées» dont le second volet -O da Joana- fut publié en 2013 et raconte l´histoire d´une grossesse qui tourne mal. Le troisième roman -qui devrait bientôt paraître au Portugal- porte sur la maladie d´Alzheimer, toujours chez Abysmo, une excellente maison d´édition fondée en 2011 par l´écrivain et journaliste João Paulo Cotrim.

Retenez bien ce nom : Valério Romão. Vous allez sûrement entendre souvent parler de cet écrivain dans l´avenir…

À lire en français :

Valério Romão, Autisme, traduit du portugais par Elisabeth Monteiro Rodrigues, éditions Chandeigne, Paris, 2016.

 

Publié le 17 novembre 2017, mis à jour le 17 novembre 2017

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