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"Lootie" sur la route pour un improbable tour du monde

Lootie - Tour du mondeLootie - Tour du monde
Écrit par Lucie Etchebers-Sola
Publié le 9 décembre 2019, mis à jour le 4 octobre 2022

 
Marie Léautey, alias "Lootie", 42 ans, est partie ce vendredi 6 décembre depuis Cabo da Roca pour un improbable tour du monde de deux ans. Elle va parcourir 26 232 km en courant, à hauteur d'un marathon par jour. Lepetitjournal.com l'a rencontré la veille de son départ.

À l'heure où nos lecteurs liront ce texte, Lootie sera déjà loin. Elle est partie vendredi 6 décembre aux aurores depuis Cabo da Roca, et ne reviendra que dans deux ans, si tout va bien, après avoir traversé 4 continents, 23 pays et parcouru 26 232 km. Après des années de préparation, elle va réaliser son rêve d'enfant : faire le tour du monde, à pied ! Elle a tout plaqué à la poursuite de cette quête aussi spirituelle que physique : son poste de directrice financière, Singapour où elle vivait depuis 7 ans et sa famille qui attendra quelques 730 jour avant de revoir son sourire immaculé. Lootie a le goût du voyage depuis toujours et une envie d'aller dans le monde, de se sentir étrangère quelque part : "Je suis partie dès que j'ai pu, à 20 ans, et je ne suis plus jamais rentrée. Ces 20 dernières années, j'ai vécu en Écosse, en Suisse, en Allemagne, en Grèce. L'idée était à chaque fois de s'immerger et d'apprendre une langue et une culture dans un pays inconnu." Sa passion pour la course est née en Grèce en 2004. Elle voit passer sous sa fenêtre le marathon olympique et décide de courir celui d'Athènes quelques semaines plus tard. Elle ne se s'arrêtera plus.
 
En terrasse d'un café près de Cais do Sodre, à Lisbonne, Lepetitjournal.com a saisi Lootie in extremis avant le jour du grand départ. Elle a partagé ses craintes mais surtout son enthousiasme à l'idée de débuter cette incroyable aventure.
 
 
Lepetitjournal.com : Dans quel état d´esprit êtes-vous ?
Marie Léautey : Ça fait des années que j'y pense, des mois que j'en parle, et je n'ai envie que d'une chose : que ça commence ! Je ne suis pas anxieuse, juste heureuse, je pars pour des vacances de deux ans !
 

Comment vous êtes-vous entraînée ? Peut-on vraiment se préparer à cela ?
Je ne pense pas qu'on puisse dire "Je suis prête à courir 650 marathons", c'est une aberration ! Mais ça fait presque un an que je cours tous les jours un semi-marathon. Mon travail était situé à 20km de mon domicile, donc je rentrais en courant tous les soirs. J'ai aussi utilisé toutes mes vacances pour faire ce que j'appelle « des voyages multi marathon ». Je partais entre 3 et 8 jours en Australie (où le climat est plus tempéré qu'à Singapour) et je courais un marathon par jour. Le maximum que j'ai fait c'est huit parcours d'affilé, et cela ne m'a pas posé de problème. Mais c'est impossible de vraiment se préparer, je ne pouvais pas courir un marathon par jour, travailler à plein temps et avoir une vie sociale. J'ai fait ce que j'ai pu pour me préparer on va dire ! Je suis suivie depuis un an et demi par un physiothérapeute, j'ai un bon équipement, ça devrait aller. J'ai aussi une balise Argos sur moi qui donne ma position toutes les deux minutes si jamais je rencontre un problème. J'ai toujours voulu faire un tour du monde mais je ne savais pas comment, j'ai longtemps pensé le faire à vélo mais je me suis dit que ça allait trop vite ! Donc j'ai pensé le faire à pied, mais je voulais mettre un petit challenge sportif là-dedans.
 
 
Avez-vous des sponsors ?
J'ai tout financé toute seule, je n'ai pas de sponsors, pas encore du moins. J'ai essayé de contacter des grandes boîtes de sport, genre Décathlon etc. en vain. Ça leur paraît un peu abstrait et ils ne voient pas vraiment de raison de s'engager à mes côtés dès le début et c'est légitime. Après tout n'importe quel guignol peut dire : « Je vais faire le tour du monde en 650 marathons ». Mais je pense que ça viendra en cours de route, quand j'aurais acquis un peu de crédibilité.


Il y a certaines règles à respecter pour que votre challenge soit validé par la World Runners Association (WRA), notamment celle de finir là où vous avez commencé. Dans deux ans vous reviendrez donc à Lisbonne. Pourquoi le Portugal ? Comment avez-vous choisi votre itinéraire ?
J'ai choisi le Portugal parce que je devais partir du point le plus occidental de toute l'Europe continentale qui s'avère être le Cap de Roca (Cabo da Roca). Concernant les règles, il y en a une quinzaine mais pour résumer, je dois finir là ou j'ai commencé, réaliser 26 232 km et traverser un minimum de 4 continents d'océan à océan (avec minimum 3000 km par continent). Tous les jours je dois télécharger mes données GPS pour signaler le nombre de kms que j´ai parcouru. J'ai planifié 670 étapes, une par une, la seule règle imposée concernant l'itinéraire c'est qu'il faut aller dans le sens d´une seule direction, courir en ligne droite d'un point à un autre sur un continent. Pour le reste, c'est moi qui ai choisi les pays que j'allais traverser. Comme je commence en hiver, j'ai choisi de longer la côte sud de l'Europe pour éviter le froid nordique. Mais si à moment j'en ai assez de voir la méditerranée, rien ne m'empêche de remonter un peu dans les terres.

 
Vous courrez pour le challenge sportif, mais aussi pour soutenir une association "Women for Women International" pour qui vous allez essayer de lever des fonds. Pourquoi cette association, en particulier ?

Le premier objectif c'est de lever un dollar par kilomètre, d'essayer de faire de cette course quelque chose d'inspirant pour d'autres. Je suis en contact avec cette association depuis huit ans, ce qui me plaît beaucoup c'est que c'est un vrai projet communautaire. Ces adhérents encouragent des projets éducatifs d'un an pour des femmes qui vivent dans des pays en reconstruction, pour leur permettre de créer une économie en fonction de ce qu'elles savent faire. Si certains projets nécessitent un soutient financier, l'association contribue et supporte ces micro entreprises. Enfin, cette organisation encourage les correspondances. Ceux qui le veulent sont mis en contact avec ces femmes et correspondent par lettre. Pour certaines d'entre elles, ces lettres sont des fenêtres sur le monde. C'était important pour moi de soutenir un projet comme celui-là en parallèle du mien.

Lootie _ Tour du monde

 
Vous invitez les gens à vous rejoindre sur la route, mais aussi à vous assister pendant certains passages de votre parcours.
Je vais courir 42,195 km chaque jour en poussant une poussette équipée (30 kg tout de même) avec mes effets personnels. Sur le plat et les descentes ça va, mais pour les montées c'est un peu plus compliqué. Il y a trois étapes dans mon parcours où je vais avoir besoin d'aide : la traversée des Andes en Amérique du Sud, celle de la plaine de Nullarbor en Australie et certaines régions en Amérique du nord. J'ai quasiment finalisé les détails, mais on verra au moment voulu.

 
Vous n'allez pas voir grand-chose des pays où vous allez passer si ce n'est des kilomètres de routes et les villes qu'elles traversent ?
Ce que je vais essayer de faire, c'est de partir tôt le matin, vers 7h, afin que ma journée de course soit finie avant midi. Cela me permettra d'avoir mes après-midi libres et effectivement de briser la solitude de la route en rencontrant des gens et visiter une peu les villes que je traverse. Je vais essayer de tenir mon blog quotidiennement et d'alimenter mes réseaux sociaux. J'espère que j'aurais des choses à dire régulièrement.

 
La solitude, c'est quelque chose que vous redoutez ?
Ce n'est pas quelque chose qui me terrifie, mais oui évidemment l'aspect mental du voyage que je vais entreprendre est important. J'ai été suivi par un psychologue pendant un an et demi pour travailler sur « l'ancrage » pour éviter que je ne m'égare dans la solitude. C'est très facile de perdre sa motivation et de se réveiller un matin au milieu du désert australien en se demandant ce qu´on fait là alors que l´on pourrait être avec sa famille . Mais si je n'ai pas envie de courir, je marcherai en poussant mon chariot. Je ne me mets pas la pression, il n'y a pas d'idée de performance autre que celle de me faire plaisir en courant, ou en marchant si j'ai la flemme. Il faudra quand même que je coure la moitié de la distance pour respecter les règles de la WRA. De toute façon, on ne peut pas tricher avec un GPS...

 
Justement, avez-vous une famille ?
Je n'ai pas d'enfant et je suis divorcée, donc évidemment c'est un peu plus facile pour moi. Je n'ai pas les contraintes qu'on la plupart des gens à mon âge. J'ai beaucoup parlé avec Tom Deniss, un marathonien australien qui a relevé le même défi en 2013, et lui par exemple est partie avec sa femme, elle conduisait la voiture pendant que lui courait, mais il a attendu que ses deux filles soient adultes pour partir, il avait 55 ans ! Ma situation personnelle me permet de le faire maintenant, alors je saisis l'opportunité. Mes parents me soutiennent dans ce projet. Mon père est ancien marathonien lui même. Ils me rejoindront peut-être pour m'accompagner sur certaines étapes. Et je vais passer Noël avec ma famille qui va descendre à Séville pour me voir.

 
Vous n'êtes pas la première à tenter cette aventure, Tom Deniss et cinq marathoniens l'ont fait avant vous, dont un français et une seule femme. Vous êtes la première femme française à tenter de réaliser cet exploit. Êtes-vous entrée en contact avec eux ?
Je les ai tous contacté, mais tous n'ont pas répondu. Tom Deniss a beaucoup partagé son expérience avec moi. Il tient toujours un blog sur lequel il va annoncer mon départ et utiliser son réseau.

 
Est-ce que c'est une option pour vous d'imaginer que vous ayez un coup de cœur pour un endroit, ou une personne, et que vous restiez sur place ?
Abandonner ? Non je ne pense pas. J'ai vraiment envie d'aller au bout de ce projet et je pense que ça sera toujours plus fort qu'un coup de cœur quel qu'il soit. Même si ça me paraît improbable, je ne peux pas prédire ce qui va se passer, et si ça m'arrive à un moment donné, ça pourra sûrement attendre la fin de mon voyage !

Lootie _ Tour du monde

Y-a-t-il  une étape spécifique que vous appréhendez, ou un pays que vous êtes particulièrement curieuse de visiter?
Je ne suis jamais aller en Amérique du sud, par exemple, donc je suis très curieuse d'y aller. Je vais passer par la côté chilienne, coincée entre l'océan et les montagnes et remonter jusqu'à Santiago ou je vais devoir traverser les Andes et rejoindre l'autre côte, traverser l'Argentine et rejoindre l'Uruguay. Je vais en profiter pour apprendre l'espagnol aussi ! L'Australie que pourtant je connais bien continue aussi de me fasciner. J'ai passé toutes mes vacances là-bas ces deux dernières années à m'entraîner, mais je n'étais jamais très loin des villes. Cette fois-ci je vais traverser la plaine du Nullarbor qui signifie « pas d'arbre ». Concrètement c'est un désert de milliers de kilomètres sur une route droite au milieu de la terre rouge australienne. Pour moi mentalement ça va être difficile je pense, de me lever le matin et de faire la même route que la veille, de ne croiser personne pendant quatre jours avant de trouver une station service tous les 160 km qui sera comme une oasis. Je vais devoir camper entre les deux, être en autosuffisance, transporter toute l'eau dont j'aurais besoin. A moins d'avoir de la compagnie, je redoute cette étape. Mes parents pensent à me rejoindre en camping-car et faire un bout de chemin avec moi, ce serait le luxe !  

 
Dans quel état d'esprit pensez-vous rentrer dans deux ans ?
C'est le saut dans le vide pour moi, j'ai quitté mon travail, je ne pourrais pas rentrer à Singapour pour des questions de visa, et je n'ai aucune idée où j'aurai envie de vivre ensuite. Je devrai tout recommencer à zéro et je ne sais pas de quoi j'aurai envie après cette expérience. En vérité, je ne veux surtout pas savoir ! Si je savais ce qui m'attendait je ne partirais pas. J'ai envie que ce soit beau, que ce soit dur, j'ai envie d'avoir appris quelque chose sur moi et sur le monde.
 

Pour suivre Lootie dans sa course et en apprendre plus sur son trajet et ses motivations, rendez-vous sur son blog : https://www.lootie-run.com/about/ ou sur les réseaux sociaux : https://www.instagram.com/lootierun/ et https://www.facebook.com/LootieRun/.

Pour soutenir l'association "Women For Women International" c'est ici

 

Publié le 9 décembre 2019, mis à jour le 4 octobre 2022

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