"Les fantômes d’Ismaël" est un film réalisé par Arnaud Desplechin et présenté dans le cadre de la 18ème édition de la Festa du cinéma français. De plus, il sort dans le circuit commercial portugais le 12 octobre dans tout le pays.
L´histoire du film nous met face à un réalisateur qui s´apprête à tourner un long-métrage au moment où il voit sa vie bousculée par la réapparition de sa première femme (Marion Cotillard)) avec qui il ne veut plus vivre alors que sa femme actuelle le quitte (Charlotte Gainsbourg). Il finit par tout abandonner et se retrouve à Roubaix, assailli par ses fantômes : ses femmes, son frère, son film et son maître.
Lepetitjournal.com/Lisbonne a rencontré le réalisateur, scénariste et acteur Arnaud Desplechin lors de son passage à Lisbonne afin de lui poser quelques questions sur ce nouveau film, et le rôle du cinéma français dans le monde.
En quelques mots, qu’est-ce-que le film "Les Fantômes d’Ismaël" représente pour vous ?
C’est une intrigue qui est simple. Un réalisateur qui se croyait veuf s’aperçoit que sa femme revient au moment où il se donne une seconde chance. Il abandonne son tournage et part dans un grenier. Il essaye de reconstruire sa vie et n’y arrive pas. C’est un type qui se perd au milieu de ses fantômes et qui a perdu le chemin. C’est avec Charlotte Gainsbourg qu´il retrouve ce chemin, par hasard. C’est la première fois que j’ai comme personnage un réalisateur. En plus, il y a deux réalisateurs : il y a aussi Bloom, le maître et beau-père d’Ismaël. En fait, on a deux cinéastes : le grand cinéaste et le petit fabricant de films.
Ismaël se voit confronté avec le retour de sa femme disparue, le départ de sa femme actuelle et le succès de son frère. Finalement, pour vous, quel est le plus grand fantôme d’Ismaël ?
Il y en a plein. Il y a aussi son mentor qui va vers sa fin, il y a ses souvenirs, le film qui le hante, son frère… Mais le plus grand c’est Carlota, la femme disparue qui revient. C’est un mythe et c’est Marion Cotillard. Elle a cette puissance d’inventer du mythe, c’est ce que j’adore avec elle. Ce type a vécu 20 ans de sa vie en pensant qu´il était veuf. Il était très malheureux et soudain il ne l’est plus. Tout à coup, il est complètement égaré et perd tous ses repères. Le mythe qui hante le film, c’est Carlota. Quand elle vient pour récupérer son ancien mari elle est comme un diablotin. À la fin, elle finit comme une sainte. Ce trait que Marion a trouvé pour donner ces deux visages à Carlota est admirable.
Vous parlez beaucoup de l’interprétation de Marion Cotillard dans ce film. Est-ce que le personnage Carlota aurait pu être interprété par une autre actrice ?
Très difficilement. Quand l’actrice arrive, elle retransforme le personnage. Avant, le personnage ce sont juste des feuilles de papier. C’est quand l’actrice termine son interprétation que le personnage devient complet. Avec une autre actrice, le personnage serait différent.
Mais quand vous l’avez écrit, vous pensiez déjà à Marion Cotillard ?
J’ai l’habitude de toujours répondre non à ces questions parce que quand j’écris pour des acteurs j’ai l’impression que je restreins mon imagination. Mais sur ce film, je suis obligé de dire oui. Cela s´est passé aussi avec Charlotte Gainsbourg. Le film était lié à l’envie de confronter ces deux femmes qui sont tellement différentes l’une de l’autre. Ce sont deux des meilleures actrices françaises qui ont des tempéraments très opposés. L’idée de les réunir dans un film m’a beaucoup motivé pendant l’écriture.
Le film montre l’obsession du réalisateur par ses films. Vous êtes habité par vos films ?
Le personnage Ismaël est humble, il ne se considère pas comme un réalisateur mais bien comme un fabricant de films, il prend son métier très au sérieux. Faire un film demande tellement de travail que je ne connais pas d’autres techniques que celle-ci : être absolument obsédé par ce que vous faites, de ne vivre que pour ça, être hanté par ça. Le film vous cannibalise. Je fais partie des réalisateurs qui sont obsessionnels.
Pourquoi un film avec deux versions, une de 1h54 et une autre de 2h10 ?
Avec le distributeur, on a fabriqué une version qui est plus réduite pour pouvoir avoir une séance en plus dans les salles françaises. Dans les salles de grande distribution ont a eu la version courte. C’est une question de logistique.
Il est possible que le spectateur ait une perception différente du film à cause de la version qu’il a vue ?
Non, j’ai fait mon travail avec soin. Évidemment, la version originale a des chapitres du roman qui sont plus approfondis.
Ce film au final se termine bien. Etait-ce votre objectif, en fait, que les personnages rentrent dans le droit chemin ?
Le monde va à la catastrophe. La fonction du spectacle, c’est de dire que la jeunesse arrive à vaincre la vieillesse, que la vie dépasse la mort, que l’aventure nous appelle. Un des thèmes du film est précisément la deuxième chance.
C’est une deuxième chance pour Mathieu de rencontrer une femme (Charlotte Gainsbourg) avec qui il pourra peut- être construire quelque chose. Mais c’est aussi une deuxième chance pour elle, parce qu’elle a vécu toute sa vie un peu enfermée, en vieille fille. La question est : est-ce qu’elle va s’autoriser une deuxième vie ?
On dit beaucoup de mal de l’happy end mais j´y trouve beaucoup de vertu. L’happy end vit d’une vérité : la vie, toujours, a dépassé la mort. C’est une des vérités que le spectacle peut nous enseigner.
Vous écriviez ce film lors des attentats de Paris en novembre 2015. J’ai lu que vous avez ressenti une sorte de blocage à cause de ces attentats. Comment cela a-t-il impacté le film ?
J’étais en Grèce lors des attentats du Bataclan. Je suis rentré le lendemain et je me suis préparé à aller déjeuner dans un café, et je me suis posé la question : je vais en terrasse ou à l’intérieur ? Je me suis rendu compte que j’étais vulnérable, mes personnages pas encore.
Cette Festa est une manière de promouvoir le cinéma français au Portugal. Selon vous, quelle est la place du cinéma français au plan international ?
Il me semble que le cinéma français a un trait particulier qui est très différent de celui des années 60 ou 70 : c’est un cinéma qui est incroyablement divers. Le cinéma japonais a, par exemple, deux ou trois écoles marquées. En France, c’est inclassable. Cette rentrée j’ai vu "Le Sens de la Fête" de Eric Toledano et Olivier Nakache, "Barbara" de Mathieu Amalric et "120 battements par minute". Il y a une très grande diversité de styles, je pense que là est la carctéristique du cinéma français : la diversité.
Que pensez-vous de Lisbonne ?
Ce n’est pas ma première fois à Lisbonne mais je n’étais jamais resté aussi longtemps. Lisbonne, c’est singulier, c’est la seule ville qui est mieux que Paris.
Vous le pensez vraiment ? C’est mieux que Paris ?
Oui. Il y a une douceur que Paris n’a plus aujourd’hui à cause du tourisme. C’est comme New York, ce sont des villes qui ont eu beaucoup de charme et qui l´ont perdu. Manhattan ça ressemble un peu à Disneyland. Quand vous êtes à Lisbonne, vous êtes dans une vraie ville. On a encore un grand plaisir à voir les Lisboètes vivre les uns avec les autres, un plaisir à partager une ville ensemble.
Plusieurs célébrités françaises viennent vivre au Portugal essentiellement pour des raisons fiscales. Comment voyez-vous cela ?
Ça ne me choque pas du tout. Je ne suis jamais du côté des juges. En ce moment, Florent Pagny vient vivre au Portugal et il est accusé par tout le monde. Du coup ça me donne de la sympathie pour lui. C’est un truc idiot que j’ai comme spectateur de cinéma. Mon métier m’interdit d’avoir un jugement sur les gens. Mon travail est plutôt d’essayer de les comprendre.
Vous pensez un jour faire un film à Lisbonne ?
Ça pourrait arriver un jour si je tombe sur un livre. J’aime bien garder la langue quand j’adapte un livre. Si je tombe sur un livre portugais que je puisse « épouser » et vivre avec pendant des années, je viendrais tourner au Portugal avec grand plaisir.