Au cœur de la révolte "Femme, Vie, Liberté", une Iranienne de 16 ans escalade une benne à ordures, prête à brûler son foulard en public. Avec Badjens, Delphine Minoui, grand reporter au Figaro, nous livre un bouleversant roman d´apprentissage, raconté sous forme de monologue intérieur, sur la révolte des femmes iraniennes après l´assassinat en 2022 de Masha Amini pour port non conforme de son hijab.
La révolte « Femme, Vie, Liberté »
La théocratie tyrannique qui gouverne l´Iran depuis quatre décennies est responsable pour un nombre brutal d´exécutions sommaires et capitales. Néanmoins, l´assassinat par la police des mœurs en automne 2022 de Masha Amini, une étudiante kurde iranienne, pour port non conforme du hijab a déclenché dans le pays des manifestations de femmes protestant contre le sort auquel les contraint le pouvoir des mollahs depuis 1979. Cette révolte, connue sous le nom « Femme, Vie, Liberté », a inspiré à Delphine Minoui - Française d´origine iranienne, née en 1974 et grand reporter au Figaro- le roman sous forme de monologue intérieur, Badjens. Badjens signifie mot à mot, mauvais genre. En persan de tous les jours, espiègle ou effrontée.
L´intrigue se déroule dans la ville de Chiraz en automne 2022. Au cœur de la révolte «Femme, Vie, Liberté», une Iranienne de 16 ans escalade une benne à ordures, prête à brûler son foulard en public. Face aux encouragements de la foule, et tandis que la peur se dissipe peu à peu, le paysage intime de l´adolescente rebelle –Zahra, surnommée Badjens- défile en flash back.
Badjens
Dès l´enfance, son père lui assigne un rôle subalterne, surtout après la naissance de son petit frère Mehdi, celui qu´il attendait depuis la nuit des temps, « celui qui apparaît pour mieux vous effacer ». Son frère est né le 21 mars 2009, le jour du Nouvel An persan, dans la meilleure clinique privée de Chiraz. Chacun des anniversaires de Mehdi est célébré avec faste alors qu´elle doit se contenter de cérémonies plus modestes et conventionnelles, sans aucun éclat, quoique son nom, Zahra, choisi par sa grand-mère, soit une icône de l´islam, fille du prophète Mohammad et de sa première épouse Khadidja. En acceptant ce choix, son père lavait ainsi son péché d´avoir un moment songé à l´éliminer. En effet, le père aurait voulu que la mère avorte lorsque l´échographie a révélé que le bébé était une fille. Sauf que l´islam, religion d´Etat, interdit l´avortement.
Le père ne l´a pas éliminée, mais on l´oublie souvent. Une nuit, alors qu´elle n´a que quatre ans, elle se réveille en sursaut par une clameur lointaine. Une chaleur étouffante lui irrite la peau. Il y avait un incendie. Elle parvient tant bien que mal à dévaler l´escalier. Dans la rue, son frère, ses parents et quelques voisins sont rassemblés sous des couvertures de survie. En la voyant courir vers eux, son père s´exclame : « Oh, mince, on t´a oubliée ! ».
Comme toutes les femmes, elle est invisible. À l´âge de 9 ans, on lui offre un tchador fleuri pour la prière et un foulard-cagoule pour l'école. Dieu a en permanence un œil sur elle.
La télévision d'état évoque les Etats-Unis le Grand Satan, on promet des vierges en mariage aux soldats dans l'Au-Delà. A l'école, on lui répète tout le temps que les homos sont des détraqués.
Elle grandit, elle devient adolescente. Elle aime les garçons, mais un jour un cousin ouvre sa braguette et l´oblige à faire ce qu´elle ne veut pas : « À genoux, dans la nuit, j´obéis à ses ordres, captive de son désir, de ses pulsions ». Elle en a la nausée.
Avec sa meilleure amie, Leyla, elles écoutent du rap, regardent des séries interdites sur Netflix, se déguisent en garçons pour pouvoir sortir dans la rue, avec la complicité tacite de la mère de Zahra. Un jour, Badjens -surnom qui lui est attribué justement par sa mère- est arrêtée par la police des mœurs parce que son foulard avait malencontreusement glissé sur ses épaules. À l´âge de 16 ans, elle est prise dans la tourmente de la révolte « Femme, Vie, Liberté »…
En Iran, on réprime, on condamne, on tue toujours des gens qui osent crier leur envie de liberté. Néanmoins, Delphine Minoui a récemment affirmé dans l´émission « La Grande Librairie » présentée par Augustin Trapenard, sur France 5, que, dans son roman, elle avait surtout voulu parler de la jeunesse iranienne qui manifeste à l´âge de 16 ans, de ces jeunes qui sont certes prêts à marcher jusqu´au bout de la mort, mais justement pour aller jusqu´au bout de la vie.
Finaliste du Prix du Roman Fnac 2024, Delphine Minoui nous livre avec Badjens un bouleversant roman d´apprentissage et un hommage vibrant à l´héroïsme de la jeunesse iranienne.
Delphine Minoui, Badjens, éditions du Seuil, Paris, août 2024.