Christian Bayon, maître luthier de renommée mondiale, est un passionné de musique classique. Il est arrivé au Portugal il y a vingt-cinq ans, conduit par son ambition professionnelle. C'est le prix du public 2015, parrainé par The Bank for Expats et qui récompense pour la première fois un des candidats favori des internautes qui ont votés en ligne pour les candidats, qui leur semblaient les plus représentatifs ou avec le parcours le plus méritant et exceptionnel.
Lepetitjournal a reçu plus de 350 candidatures lors de cette 3ème édition des Trophées des Français de l'étranger organisés par Lepetitjournal en partenariat avec le Ministère des Affaires étrangères. Le jury composé de 15 personnalités du monde de la mobilité internationale, a choisi Christian Bayon parmi les 20 finalistes ayant recueilli le plus de votes du public.
Christian Bayon a 21 ans lorsqu'il découvre sa vraie passion. Un jour, par hasard, il trouve un livre sur la conception du violon : "A cette époque, après mai 68, c'était normal que les gens fassent des travaux manuels et moi comme beaucoup de gens, j'ai voulu fabriquer des instruments, comme passe temps. Il y avait de nombreux articles dans les journaux musicaux qui enseignaient la façon de construire des instruments et j´ai commencé à faire ça comme un hobby. Je n´avais jamais travaillé le bois avant et j´ai trouvé le matériau très agréable. J´ai découvert ainsi le travail du bois et créer quelque chose en prenant des bouts de bois qui à la fin donnent de la musique c´est complètement magique ! Même encore maintenant? je suis luthier depuis 30 ans et pour moi ça reste un moment magique lorsque je monte des cordes sur un instrument et qu´il en sort de la musique."
(Photos : M.J. Sobral)
Christian Bayon s´était engagé dans la Marine à 16 ans, il voulait fuir Paris, la famille et découvrir le monde. Il se souvient : "Dans un bateau sans fenêtres, on ne sait même pas si c´est le jour ou la nuit, s´il fait beau ou pas. Ce n'était pas du tout ce que j´avais imaginé comme découverte du monde, ça ne m´a pas plu". C'est pourtant grâce à cela qu'il a découvert le Portugal la première fois : "j´étais sur le porte-avions Foch en janvier 74, on a fait escale ici 3 mois avant la révolution? Je suis resté dans la marine 6 ans jusqu´au moment où j´ai fait mon premier violon."
Un hobby qui devient une passion
Christian quitte alors la marine : "j´ai arrêté de jouer de la guitare, j´ai arrêté de faire de la musique et je me suis consacré complètement à la construction des violons. Presque du jour au lendemain, c'est devenu limpide, c´était ce que je voulais faire de ma vie, mais à cette époque là je pensais que ce n´était pas possible d'en vivre. Je me suis dit que je ferais ça aussi longtemps que je le pourrais. J'habitais dans une petite ville à Morlaix dans le Finistère. Les gens ont commencé à parler de moi et j'ai commencé à voir arriver des instruments à réparer. À cette époque, en 1979, j´ai rencontré Etienne Vatelot et Jean Schmitt, je suis rentré dans leurs ateliers où j´ai appris la réparation." Ayant appris le métier avec des maîtres célèbres, il s'habitue à travailler sur des instruments prestigieux pour des solistes.
Lisbonne une ville qui répond à son ambition professionnelle
Il s'installe ensuite à Rennes où il ouvre un magasin. Très vite, il travaille sur des violons d´élèves et s'aperçoit que ce n'est pas du tout ce qu'il souhaite : "ce n´était pas une question économique mais professionnellement, j´étais et je suis encore très ambitieux, je veux travailler pour des gens qui jouent bien. C´est ça qui me motive et à Rennes ça n´allait pas" confie-il.
En France, Paris et Lyon "sont les seules villes de France où il se passe quelque chose dans la musique classique. J´avais déjà vécu dans ces villes et je ne voulais pas y retourner. Je souhaitais vivre au bord de la mer dans une ville plus petite". L'idée du Portugal surgit par hasard lorsqu'il tombe sur l'annonce d´un concours pour l'orchestre de Porto dans le mensuel ?Au monde de la musique?. Il se renseigne : "Tout le monde me parlait de Michel Corboz de la Fondation Gulbenkian et je suis donc venu passer une semaine de vacances en mai 1989. Même si j´étais déjà venu au Portugal auparavant je n´avais aucune idée de la vie musicale ici. J´ai rencontré des musiciens des trois orchestres qui étaient à Lisbonne à l´époque pour leur demander comment ils faisaient pour leur instruments et ils me disaient : on va à Paris, à Londres ou à Genève pour les meilleurs musiciens. Il y avait quelques luthiers à Lisbonne, mais personne n´était très content donc à la fin de la semaine je me suis dit ?je m´installe à Lisbonne', ce que j´ai fait fin 1989."
Des opportunités professionnelles fantastiques
Cet artisan d'exception, aujourd´hui âgé de 59 ans, se sent bien au Portugal. "Lisbonne me convient très bien. On a à la fois la richesses culturelle d´une capitale, grâce entre autre à la fondation Gulbenkian et en même temps par exemple, moi qui fais du bateau, je mets 10 minutes de mon atelier au port, il n´y a aucune ville de France qui peut offrir ça". Professionnellement, c'est également très intéressant : "C'est encore plus extraordinaire que ce que j´avais imaginé. J´ai eu une carrière au Portugal que je n´aurais jamais eue en France. Ce qui est drôle, c'est que de nombreux musiciens français, comme Augustin Dumay, sont devenus mes clients au Portugal, alors qu´en France ils n´avaient jamais entendu parler de moi. Le fait d´être plus ou moins seul dans un endroit permet immédiatement de sortir du lot. A Londres, Paris ou New York, j'aurais fini par être connu mais j'aurais mis 20 ou 30 ans de plus".
Des solistes de renommée internationale?
"Comme j´étais le seul luthier ici, les gens qui venaient jouer à la Gulbenkian ou ailleurs n´avaient pas le choix s´ils avaient un problème sur leur instrument, même s'ils n´avaient jamais entendu parler de moi. Après ça a été du bouche à oreille" confie t-il. "Les gens qui venaient ici pour un problème ponctuel sont souvent restés mes clients pendant 10, 20 ans. J´ai été comme ça le luthier de Jian Wang, violoncelliste chinois qui habitait à New York à l'époque, j'étais le luthier de Truls Mork qui habitait à Oslo. Beaucoup de musiciens étrangers revenaient ici quand ils avaient besoin de moi. C´était bien au delà de ce que j´avais imaginé".
Un instrument à la mesure du musicien
Christian Bayon ne se considère pas comme un créateur ni un artiste, mais comme un technicien. Il fabrique maintenant des outils performants : "Maintenant tous mes instruments partent à l´étranger même s´il y a beaucoup de musiciens portugais qui jouent sur mes instruments. Je les fabrique sur commande. Pour moi il est impossible de faire un instrument pour une personne que je ne connais pas, j´ai un délai d´attente d´environ 3 à 4 ans et pendant ce temps on se rencontre, on discute". Sur le ton de la confidence, il poursuit : "Je n´aime pas vendre mes instruments trop loin parce que après je ne les entends plus, je ne sais pas comment ils évoluent et je n´aime pas ça du tout ! Donc je préfère vendre mes instruments en Europe, aux Etats-Unis éventuellement, pour aller les écouter en concert. Je vais très souvent écouter mes instruments".
Des musiciens célèbres qui sont devenus des amis
L´homme donne une âme à l´instrument : "J'écoute le plus possible les gens pour qui je travaille. Cette relation est fondamentale". Du coup, des amitiés se sont développées : "La grande pianiste portugaise Maria João Pires a été importante pour moi. Elle m´a fait connaître Jian Wang et Augustin Dumay et ces personnes sont restées fidèles. Augustin Dumay joue sur un de mes violons. Beaucoup de musiciens sont devenu mes amis. On établit une certaine intimité lorsque l´on s´occupe d´instruments d´une personne sur la durée.
Le grand violoncelliste russe Pavel Gomziakov, par exemple, joue sur un de mes violoncelle et souvent quand il voyage je l´accompagne. Je suis allé récemment avec lui à Moscou. C'est tellement gratifiant d´entendre un instrument que l´on a construit en concert !"
25 ans après son arrivée, Lisbonne est encore une ville qui lui convient
Le projet de Christian Bayon était de changer de pays tous les cinq ans et donc de ne pas s´installer définitivement au Portugal. "Quand je suis arrivé ici j´étais réparateur. Depuis 11 ans, je ne fais que de la construction. Maintenant l´endroit où je suis n´a plus d´importance" dit-il. "J'ai complètement adopté le Portugal qui correspond tout à fait à mon style de vie. J´aime bien la culture, les concerts, le cinéma, j´aime aussi faire du sport de plein air, j´aime bien le surf, le windsurf, la voile et Lisbonne c´est une ville sur mesure pour quelqu´un comme moi."
Quand on lui demande si une vie culturelle plus intense ne lui manque pas, il rétorque : "il se passe énormément de choses à Lisbonne, du moins dans le domaine de la musique classique ! À l´époque où j´étais réparateur, j´allais au moins à 100 concerts par an".
Et la France ?
"J´ai deux filles qui sont parties étudier en France presque en même temps. Lorsqu´elles sont parties tout le monde me demandait si j´allais les suivre. J´aime beaucoup la France, j´adore y aller en vacances mais je ne me vois pas trop y vivre, dit-il. Je trouve qu´actuellement il existe une certaine morosité. Même si la situation économique est moins grave qu´au Portugal, les gens sont plus déprimés qu´ici".
Musique classique : une mutation en cours
"La musique classique ne va pas très bien, partout dans le monde, il y a de moins en moins de moyens financiers et même des pays qui vont bien économiquement coupent dans la culture, comme la Hollande par exemple. Cependant il y a beaucoup de jeunes intéressés par le classique. Il y a des choses qui se font, comme la fondation Louis Vuitton à Paris où il y a des concerts, des master class d´instruments etc. La musique classique est dans une phase de mutation, je ne me fais pas trop de soucis quant à son futur."
Christian Bayon insiste sur l´aspect social de la musique : "Le sport et la musique restent des disciplines difficiles qui demandent beaucoup d´investissement personnel, de travail. Ces deux disciplines ne vont pas disparaître car elles feront la différence pour des enfants qui veulent faire quelque chose par rapport à ceux qui veulent tout à la portée d´un clic. La musique classique ne peut pas disparaître car elle est synonyme de constance, d´effort, de perfection, de beauté? Ça regroupe tellement de valeurs !"
Propos recueillis par Maria Sobral (www.lepetitjournal.com/lisbonne.html) mardi 17 mars 2015