Édition internationale

Mathilde Vanackere : "La culture ne s’impose pas, elle se construit ensemble"

Conseillère de Coopération et d’action culturelle de l´ambassade de France au Portugal Mathilde Vanackere est arrivée à Lisbonne au début du mois de mai, elle est également la nouvelle directrice de l’Institut français du Portugal. Elle a accordé une interview exclusive au Lepetitjournal où elle s´exprime sur la culture française au Portugal mais aussi en Europe.

Mathilde Vanackere, directrice de l´Institut français du PortugalMathilde Vanackere, directrice de l´Institut français du Portugal
@IFP
Écrit par Maria Sobral et Lison Segui
Publié le 17 juin 2025, mis à jour le 18 juin 2025

Mathilde Vanackere, 35 ans, a pris ses fonctions à la tête de l’Institut Français du Portugal en mai 2025. Passionnée de culture, elle a d’abord enseigné dans le secondaire et comme chercheuse elle a mené des recherches en littérature française du XVIIe siècle, avant de rejoindre le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Elle a travaillé tout d´abord à la direction de la communication et de la presse du Quai d'Orsay  puis au sein du cabinet du ministre à l’écriture des discours et aussi sur tous les dossiers en lien avec la culture, que ce soit l’enseignement du français à l’étranger, les coopérations universitaires, les questions culturelles, les questions d’audiovisuel extérieur, mais aussi le sport, elle a travaillé sur les grands événements comme les Jeux Olympiques et Paralympiques, les commémorations du débarquement et  le Sommet de la Francophonie.


Lepetitjournal/Lisbonne : Quel est votre ressenti depuis votre arrivée au Portugal ?

Mathilde Vanackere : Ce qui m’a frappée d’emblée, c’est la grande gentillesse des Portugais. Quand on s’installe dans un pays pour quelques années, on découvre peu à peu les habitudes, le voisinage, les repères. Et ici, l’accueil a été remarquable. Ensuite, j’ai été marquée par la curiosité culturelle très forte : le goût pour le beau, l’art sous toutes ses formes, y compris populaires. Bien sûr, ma vision est un peu biaisée car je rencontre un public intéressé par ces sujets, mais c’est vraiment perceptible.


Souhaitiez-vous particulièrement venir au Portugal ?

C’était un choix personnel. Je voulais faire partie de cette grande famille de la diplomatie culturelle, et notamment la diplomatie culturelle européenne. Je dois dire que j'avais un désir, c'était aussi d'aller dans un pays qui entretient avec la France un lien particulier. Il y en a d'autres en Europe, mais en dehors de la Belgique, le Portugal est sans doute le pays qui a le plus de francophones en Europe. Le lien, n´est pas seulement linguistique, il concerne aussi les valeurs, l'histoire partagée, les gens qui ont émigré dans le pays. La relation entre la France et le Portugal est singulière, ancienne, économique et aujourd'hui très forte du point de vue culturel. Et c’est justement cette proximité qui m’a donnée envie de contribuer à la diplomatie culturelle de la France et à l'action de l'ambassade, dans un pays aussi particulier pour la France. 


Quelles sont les priorités que vous vous fixez dans le cadre de cette nouvelle mission d'ordre culturelle ?

L'ambassade de France a des priorités qui sont très claires, renforcée par la récente visite d’Etat et les accords signés ; un traité d'amitié, quatre accords culturels dans le domaine qui concerne la diplomatie culturelle, dont un accord de coproduction cinématographique et un mémorandum sur le baccalauréat français international. Les instruments politiques et juridiques, pour aller encore plus loin dans la relation France Portugal existent et définissent les priorités.

Trois axes me semblent majeurs : 

La francophonie : dans ce domaine il y a cet enjeu de renouveler la génération de tous ces professeurs portugais de français qui un jour vont partir à la retraite, et il faut qu'il y ait une relève. Nous avons besoin de trouver les moyens aux côtés de l'anglais, de continuer à proposer aux élèves, aux étudiants, à tous les publics ce contact avec l'apprentissage de la langue française et cet accès à la culture française. La médiathèque de l’Institut joue un rôle central : c’est un lieu vivant ouvert au public, un lieu de circulation, de rencontres, où l’on accueille artistes, cinéastes et écrivains comme récemment Philippe Claudel, président de l’Académie Goncourt.

Le partenariat avec les acteurs culturels portugais : des liens de confiance ont été noués depuis des années. Le label MaisFRANÇA, lancé à la suite de la saison croisée de 2022, prolonge cette dynamique en soutenant la création contemporaine française au Portugal. C’est une collaboration fondée sur l’amitié, l’exigence artistique et l’audace.

L’Europe de la culture : on vit un moment très particulier et face aux défis actuels qui se posent à l'Europe, culturels et politiques, le Portugal et la France ont un rôle historique à jouer. De siècle en siècle, nos deux pays ont contribué à forger l’identité culturelle européenne. Aujourd’hui il faut affirmer ce modèle européen, capable d’unir dans la diversité, d’intégrer les différences tout en défendant des valeurs fondamentales comme la tolérance, l’égalité et autres. L'Institut français du Portugal va également dérouler cette priorité européenne très forte qu'à l'Ambassade de France, ici, au Portugal. 


La nuit des idées qui aura lieu le 25 juin, fait désormais partie des événements de référence organisés par l´IFP, quelles seront les points forts de cette édition 2025 et comment voyez-vous évoluer dans le futur ce rendez-vous culturel ?

En effet c´est un temps fort de notre programmation depuis plusieurs années. Il l'est dans plusieurs pays européens, mais pas seulement. Il découle vraiment de ce que je viens de dire, on est dans un moment où les citoyens européens se posent beaucoup de questions sur leur avenir, vivent de grandes transformations, de fortes mutations, et donc se posent la question de leur rôle et de leur place dans tout ça.

La nuit des idées, elle a lieu la nuit parce que, la nuit, on cesse de mener l'activité qu'on mène d'habitude. C'est le moment où on ferme l'ordinateur, où on éteint le téléphone professionnel, où on remet les clés du bureau et on se pose pour passer à autre chose. 

C'est un moment où tout le monde va se rassembler dans un espace, en l'occurrence le Théâtre São Luiz, qui est notre partenaire, un partenaire absolument fondamental pour cette nuit des idées. Nous avons convié des Français, des Portugais, des penseurs, des anthropologues, des philosophes, des écrivains, des artistes qui ont des propos à faire valoir, à proposer au public sur les différents thèmes que nous allons aborder.

Cette année, le thème est : « Le pouvoir d’agir ». Une question simple et fondamentale : Comment, moi, citoyen, citoyenne, je peux encore avoir une prise sur le monde ?  Ma voix compte-t-elle encore ? Dans un monde saturé d’information et traversé par des crises, comment retrouver une place dans le débat démocratique ? Comment, aujourd'hui, on peut faire renaître la démocratie qui est si souvent chahutée et concurrencée par des modèles alternatifs qui se prétendent libéraux, mais qui ne le sont évidemment pas ? 

Donc, démocratie !  Universalité ? Est-ce que, malgré ce qu'on entend partout, on est condamné à une espèce de relativisme ou non ? On a quand même un horizon universel qui nous tient ensemble. Et la dernière idée, ça va être les points de suspension. C'est la citoyenneté… Par conséquent, comment, à partir de ce modèle démocratique qui a besoin d'un nouveau souffle, on peut reconstruire une citoyenneté active, où les gens se sentent à la fois représentés, actifs, se sentent prendre part à la construction de la cité ? C'est normal qu'on se pose ces questions, puisqu'on vit dans un dans un contexte culturel, politique, qui est très inquiétant. Lors de la nuit des idées ce que nous proposons au public, c'est de venir participer à la réflexion. Ce ne sera pas une suite de conférences ou d´interventions.  C'est un moment où, de grandes figures, des créateurs, des artistes, des penseurs qui sont capables de lancer des pistes, des idées, des visions, des propositions, les partages avec le public qui va se les approprier, pour interroger, prendre la parole, etc. 

L’événement mêle réflexion intellectuelle et performance artistique. Il ne s’agit pas d’un événement descendant, ce n'est pas venir pour juste écouter, et on peut venir, écouter, se faire son avis, mais tout sera organisé pour que, justement, le public puisse prendre la parole : une nuit pour agir et prendre la parole. 


Et à moyen terme, quelle ambition pour cette Nuit des Idées ?

Il y a deux grandes perspectives, une locale qui d’une part serait d´élargir le public : le rêve c'est d'avoir un public encore plus nombreux, plus divers et plus jeune. Je pense que l'avenir de l'Europe dépend en partie de la façon dont on va réussir à mobiliser la jeunesse. D’autre part, déployer la Nuit des idées hors de Lisbonne, dans d’autres villes portugaises. Ce type d’événement ne doit pas rester confiné à la capitale. Il doit résonner sur tout le territoire.

La deuxième perspective, en lien, probablement avec l'Europe de la culture : créer des résonances encore plus fortes entre la nuit des idées que nous organisons ici au Portugal et les autres nuits des idées organisées par d'autres instituts français en Europe, pour avoir un temps encore plus fort. Ce sont des perspectives et on y travaille. 


La Festa do Cinema Francês est depuis de nombreuses années le moment marquant de la présence culturelle française au Portugal, peut-on s´attendre à de grandes nouveautés pour l ´édition 2025 ?

Pour les grandes annonces de la Festa, on vous donne rendez-vous en septembre. Madame l´Ambassadrice ne manquera pas d'en parler en temps voulu. Mais la préparation est très active et la fête promet certaines nouveautés. Elle se déroulera début octobre. 


Ces événements culturels organisés par l’Institut français du Portugal s’inscrivent dans le programme MaisFRANÇA, que vous avez déjà évoqué, que souhaiteriez-vous apporter à ce programme ?

Ce qui est très beau avec MaisFRANÇA, c’est qu’au fil des années, nous avons acquis la confiance, et j’oserai dire, l’affection de nos partenaires portugais, depuis ces trois éditions. Début juin, nous les avons réunis pour lancer la programmation de 2025, une programmation déjà en cours. Ce moment a été l’occasion de nous dire, entre nous et à tous, à quel point nous pouvons désormais compter les uns sur les autres.

Il y a maintenant une attente : les partenaires portugais savent que sous ce label, ils peuvent programmer la création contemporaine française la plus exigeante, la plus innovante, la plus audacieuse, tout en étant accompagnés. Il faut désormais être à la hauteur de cette confiance acquise. Il faut être présents et il sera nécessaire d´engager une discussion collective avec nos partenaires sur les lignes que nous voulons privilégier. 

Il faut aussi mettre en valeur la spécificité de ce label : MaisFRANÇA, ce n’est pas un programme culturel que nous voulons imposer. Nous dialoguons avec nos partenaires portugais, nous construisons ensemble cette programmation. Cette dynamique est précieuse, elle montre que nous ne sommes pas dans une démarche descendante. Nous bâtissons avec eux, au plus près de leurs attentes, de leurs réalités, de leurs vibrations et c’est ce qui est intéressant.

 
Donc il y a un échange culturel dans les deux sens, du Portugal vers la France également ?

Tout à fait, c’est même un principe qui nous guide. Il ne s’agit pas seulement de faire rayonner la culture française au Portugal, même si c’est central et que c’est notre rôle, mais nous sommes là pour que les liens vivent et ces liens sont réciproques.


Pour mener une politique culturelle aujourd’hui, les partenariats privés sont-ils incontournables?

Clairement, les partenaires privés qui nous soutiennent, nous font confiance autour de Mais FRANÇA, mécènes ou opérateurs culturels, le font parce qu’ils croient à une culture exigeante, porteuse de sens, ce qui est important pour eux est d’offrir au public portugais, des créations culturelles qui ne sont pas simplement du divertissement. Même si ce n’est pas leur cœur de métier, ils embarquent dans l’aventure parce qu’elle a du sens pour eux, ils savent qu’une culture vivante réunit des acteurs publics comme des acteurs privés. Quand on se rejoint autour de projets, qu’il s’agisse de débats d’idées, de danse, de théâtre ou autres, on est d’accord sur une proposition, tout le monde y trouve son compte, le but c’est qu´il y ait un échange pour créer ensemble, et c’est exactement ça le rôle de la culture.


Vous évoquiez la médiathèque de l’Institut Français du Portugal qui est un petit espace. Le fait de ne pas avoir en propre des infrastructures plus importantes, comme un auditorium pour organiser la Nuit des Idées, recevoir des artistes n'est-il pas une faiblesse pour les événements français au Portugal ? 

C’est un petit espace, oui, mais très vivant. Un peu comme une étoile qui, bien que modeste, elle peut rayonner encore plus que d’autres, et c’est comme ça que je définirais la médiathèque. On y accueille enfants, chercheurs, curieux, habitués ou visiteurs de passage et cette diversité fait sa richesse. L’intérêt de cet espace c’est qu’il nous permet de faire beaucoup de chose, dans l’enceinte de l’ambassade et donc très reconnu, visible, dans un quartier dynamique.

L’intérêt de ne pas avoir un espace plus grand, c’est que l’IFP est partout, il est avec les partenaires. Quand on fait la Nuit des Idées avec le théâtre Sao Luiz, on partage les clefs avec notre partenaire, on se met d’accord sur une programmation, sur le public, sur l’esprit de ce qu’on veut faire, on est d’autant plus efficace que l´on est directement lié avec un partenaire portugais. Nous avons une base très efficace, mais on a aussi une obligation, c’est d’avoir d’autres points, où nous nous délocalisons, et où nous touchons d’autres publics qui peut être n’auraient pas connu les activités de l’IFP si nous n´avions pas été à leur rencontre. Donc, l’espace que nous avons est modeste, mais il est aussi une chance, parce qu´il nous aide à nous projeter.

D’ailleurs, pour la Nuit des Idées, j'adresse un défi à vos lecteurs : venez nombreux ! Venez avec des choses à dire ou rien à dire, venez fatigués ou en pleine forme, venez accompagné ou non pour vivre ce moment. On a la chance d’avoir la chanteuse Pongo avec nous qui clôturera la soirée, une artiste incroyable et qui ne se produit pas généralement dans ce type de lieu.

Pour en savoir plus sur la programmation de la nuit des idées consultez le site de L´IFP ici

Pour plus d’informations sur l’Institut Français du Portugal : Institut français du Portugal - Le lieu privilégié des échanges et du dialogue franco-portugais.

 

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