Présenté lors de la Festa do Cinema Francês à Lisbonne, qui se poursuit au Portugal jusqu'au 30 novembre, "Le Roi-Soleil" a donné au Lepetitjournal l'occasion de rencontrer son réalisateur, Vincent Maël Cardona.


Révélé avec le film Les Magnétiques (César du meilleur premier film en 2022), Vincent Maël Cardona revient, dans cet entretien, sur la construction d'un film où réel et fiction s'entremêlent jusqu'à une chute brutale.
Lepetitjournal : Le début du film laisse croire à un film historique sur Louis XIV. Pourquoi avoir voulu "tromper" de façon espiègle le spectateur ?
Vincent Mael Cardona : Ce n'est pas vraiment pour tromper, mais pour jouer avec les codes. Le film raconte l'histoire de personnages qui inventent une histoire pour se partager l'argent d'un ticket de loto trouvé. C'est donc une histoire dans l'histoire, comme des poupées russes. Je voulais créer un petit espace de complicité entre le film et le spectateur. Le prologue historique pose aussi les bases car il évoque l'invention de la loterie, et donc le rapport à l'argent et au hasard, qui sont au cœur du film.
Pourquoi avoir donné une telle importance à la loterie ?
Pour moi, la borne de jeu est comme un symbole. C'est banal, on en voit partout, mais elle représente l'appel de l'argent. Elle attire les gens comme une lumière attire les insectes. Ils tournent autour, fascinés, incapables de s'en éloigner, même si c'est dangereux. C'est exactement ce que raconte le film, c'est l'obsession de l'argent et l'incapacité à s'en détacher.
Pourquoi avoir choisi de mêler le réel et la fiction ?
Parce que le film parle justement de personnages qui s'éloignent du réel en inventant des scénarios. Le huis clos permet de simplifier et de concentrer cette idée. Ils sont enfermés dans un bar, ils discutent, ils imaginent des versions de l'histoire et ces versions, on les voit à l'écran. Au début, on est perdus, mais peu à peu, on comprend qu'on regarde ce qu'ils inventent. Plus ils s'enfoncent dans leur mensonge, plus ils s'éloignent du réel jusqu'à la folie et la violence...
Comment avez-vous travaillé ces différents "scénarios alternatifs" ?
J'ai d'abord travaillé ces "scénarios alternatifs" à l'écriture, avec de nombreux allers-retours. Nous avons construit trois versions de l'histoire. Une totalement imaginaire, comme un film dans leur tête ; une moitié imaginaire, moitié réelle, où ils se mettent eux-mêmes en scène et une version "réelle", où ils parlent simplement même si cela reste proche de la fiction, puisqu'ils sont déjà pris dans leur délire. Ensuite, au tournage et au montage, nous avons ajusté le rythme pour que le spectateur ressente cette transition entre le réel et la fiction.
Pourquoi avoir choisi le nom "Le Roi-Soleil" ?
D'abord parce que c'est une façon amusante d'entrer par les coulisses du lieu, comme au théâtre. Mais aussi parce que le titre a plusieurs sens. Le Roi-Soleil, Louis XIV, c'était une fiction qui structurait toute une société. Et pour moi, ce "Roi-Soleil" symbolise aussi l'argent c'est comme une force lumineuse, fascinante, mais dangereuse. C'est ça le vrai soleil du film.
Pensez-vous que "Le Roi-Soleil" soit un miroir de notre époque et de ses inégalités ?
Oui, mais ce n'est pas seulement une critique des inégalités. Ce qui m'intéresse, c'est l'idée qu'on est tous, riches ou pauvres, pris dans la même illusion qui est celle de la vie rêvée. Et c'est la loterie qui symbolise ce rêve. On pense qu'on pourrait tout changer d'un coup, mais derrière cette idée il y a une illusion cruelle. Car s'il existe une vie rêvée, cela voudrait dire que nos vies actuelles sont ratées. Ce qui est faux, il n'y a qu'une vie, c'est la nôtre. Il n'y a pas de version idéale, pas de seconde chance comme dans un jeu vidéo. Et pourtant, on continue à y croire.
Pourquoi ne pas avoir laissé les personnages s'en sortir à la fin ?
Parce qu'il faut, à un moment, revenir au réel car même si on aimerait les sauver, ils doivent assumer leurs actes. C'est brutal, mais c'est nécessaire. La fin du film, c'est la fin du rêve pour eux et pour nous. Les lumières se rallument, comme au cinéma et on sort de la fiction.
Et pourquoi ce moment où la gardienne se met à chanter ?
C'est un moment gratuit, une pause volontaire. Juste après la mort d'un personnage, normalement, le film s'accélère. Moi, j'ai voulu faire l'inverse c'est-à-dire ralentir, respirer. Cette chanson, c'est comme un moment suspendu, un rappel que tout cela n'est qu'un film, qu'une fiction. C'est un petit clin d'œil au spectateur avec un instant de poésie au milieu du drame.
Votre film a été présenté durant la fête du cinéma français qu'est-ce que vous en avez pensé ?
J'ai été très content de pouvoir le montrer à un maximum de gens. C'est l'objectif d'un film, qu'il puisse voyager et dépasser les territoires. C'est plutôt une chance d'avoir son film qui est passé à la fête du cinéma français au Portugal.


















