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Louise Bourrat, Top chef 2022 et cheffe du restaurant Boubou's à Lisbonne

Louise BourratLouise Bourrat
©M.J. Sobral
Écrit par Camille Roux
Publié le 7 mars 2023, mis à jour le 16 novembre 2023

A l'occasion de ce 8 mars, journée internationale des femmes, Lepetitjournal.com, édition internationale, met à l´honneur les femmes en republiant des interviews de femmes qui ont marquées les derniers mois. En ce qui concerne l´édition de Lisbonne, Louise Bourrat qui y vit, a fait son entrée, en 2022, sur la scène gastronomique française par le biais du concours Top Chef France.

Louise Bourrat, gagnante de l'édition 2022 de Top Chef France, a ouvert au Lepetitjournal.com les portes de son restaurant gastronomique Boubou's situé en plein coeur du quartier branché de Principe Real, à Lisbonne. Lors d'un entretien exclusif, elle nous présente son parcours, sa cuisine, mais aussi ses convictions qu'elle s'efforce de transmettre. Louise Bourrat réalise également, pour les lecteurs du Lepetitjournal, trois des créations signatures proposées dans le menu dégustation de Boubou's que l'on peut voir via la vidéo ci-dessous.

 


 La Cheffe Louise Bourrat a ouvert sa cuisine aux lecteurs du Lepetitjournal et réalise ici trois de ses créations.
 

Lepetitjournal/Lisbonne : Nous sommes ici à Lisbonne dans votre restaurant Boubou's que vous tenez avec votre frère et sa compagne. Pouvez-vous nous dire comment est né ce projet et comment a-t-il évolué ? 

Louise Bourrat : Au départ on vivait tous les quatre en Angleterre à Londres, avec mon frère, sa compagne et ma soeur. Puis le Brexit a été voté donc nous sommes tous partis et mon frère et son épouse sont venus s'installer à Lisbonne. Cela faisait déjà des années qu'on avait ce petit rêve d'ouvrir quelque chose ensemble, on avait pensé d'abord à Lyon parce qu'on est originaire de là-bas mais on s'est vite rendus compte que la scène gastronomique à Lyon était déjà bien présente donc on s'est dit pourquoi ne pas retourner sur les terres de nos ancêtres, puisque ma mère est née à Lisbonne. Et puis à cette époque-là, il y a cinq ans, c'était encore une très belle terre d'opportunités, il n'y avait pas grand chose en restaurant de ce standing-là. Et puis un jour mon frère et sa compagne se sont baladés dans le quartier de Principe Real et ils sont tombés sur ce restaurant qui était en vente et ils ont tout refait tous les deux. Quand l'ouverture du restaurant a approché je les ai appelés, à l'époque j'étais au Nicaragua mais la situation devenait trop compliquée là-bas donc j'ai dû rentrer en Europe, je suis venue leur filer un coup de main et chemin faisant cela fait presque cinq ans que l'on travaille ensemble.  


Donc ce projet vous a plu ?

Honnêtement ça a été très mouvementé. Les choses ont beaucoup changé. Au départ je voulais juste venir aider, je ne voulais pas rester ici, mais le fait que je sois restée s'est fait par la force des circonstances en raison du Covid. Finalement je suis restée et depuis j'ai repris les rênes, j'ai fait de cet endroit davantage « mon truc ». La manière d'opérer a changé, quand on a ouvert on faisait sept jours par semaine midi-minuit sans interruption parce que peu de restaurants le faisaient à Lisbonne. C'était un peu plus bistrot, je pense qu'il y avait plus une volonté de faire ce qui était attendu que ce que l'on avait envie de faire. Je n'ai pas trouvé cela supportable, car même mentalement c'est épuisant. Et puis je ne pouvais pas créer, alors un jour je leur ai dit que je partais, je suis partie en Inde pour devenir professeure de yoga, je suis rentrée à Lisbonne et deux jours plus tard la pandémie a débuté. Les restaurants au Portugal n'ont quasiment pas touché d'aides, donc on s'est retrouvé dans une très mauvaise situation. On avait la pression car c'est un restaurant familial, mes parents y ont mis toutes leurs économies, donc on s'est retroussé les manches et la pandémie nous a permis de nous poser les bonnes questions. On s'est rendu compte qu'il ne faut pas travailler autant, et qu'il faut s'écouter, faire ce que l'on a envie de faire. J'avais envie de faire une cuisine d'auteur, davantage gastronomique, quelque chose de plus personnel. Donc on a commencé à faire cela et les clients ont très bien répondu. Pendant les trois mois de fermeture je venais tous les jours au restaurant et je créais, et on a réussi à mettre le doigt sur ce qu'on voulait vraiment faire.


Votre participation à Top Chef a-t-elle eu un impact sur la fréquentation du restaurant ?

Oui totalement. Cette année on ne l'a pas vu passer parce qu'on était complet tous les jours. C'est un miracle ce qui s'est passé. Il y a deux ans on était à deux doigts de tout perdre et aujourd'hui on est au plus haut. On est passé à cinq jours d'ouverture par semaine, avec uniquement le service du soir. On veut avoir le temps de créer et on veut travailler huit heures par jour. Cela permet aussi de rendre le métier plus attractif.  


Vous avez une brigade assez féminine en cuisine, est-ce volontaire ?

C'est devenu une volonté mais c'est arrivé assez naturellement avec le Covid. Quand le confinement a débuté on a décidé de ne virer personne car on pensait avoir un chômage partiel, ce qui n'a pas été le cas, et quand on a pu rouvrir on a demandé à notre staff de venir nous aider et au final ce sont  uniquement les filles qui sont restées. Et quasiment aucune d'entre elles n'avaient de poste à responsabilité, donc elles les ont pris. Cela a été incroyable comme moment, il y avait une volonté de créer et de travailler pour le même objectif. Pour moi personnellement, d'un point de vue de bien-être, c'était tellement plus simple à gérer. Je n'avais plus de problème de légitimité auprès de mon staff.


Avez-vous beaucoup ressenti l'omniprésence masculine dans votre carrière ?

Bien sûr. Il m'est arrivé des choses très compliquées, même ici dans ce restaurant. Un jour l'un de mes employés m'a frappé, car il n'acceptait pas qu'une femme lui donne des ordres. Mentalement c'était très difficile. Et puis il y avait cette pression aussi de ne montrer aucune faiblesse pour ne pas être rabaissée. Travailler avec des femmes, cela a permis d'ouvrir un espace d'indulgence et de bienveillance. Il y avait aussi une meilleure compréhension dans le type de cuisine qui est le mien, dans ce que j'ai envie de faire. Souvent quand j'explique le goût que cela doit avoir ou le dressage, j'emploie beaucoup de vocabulaire non technique mais plutôt de l'ordre de l'émotif ou de l'image, voire de la poésie.  


Avez-vous plutôt du staff français ou portugais?

Cela dépend. En ce moment j'ai beaucoup de Français mais tout évolue tout le temps. J'ai du mal à recruter car il y a une grosse crise dans le métier au Portugal, ce qui est compréhensible en étant payé 600 euros par mois. Maintenant j'ai beaucoup de gens de l'extérieur qui m'ont vu dans Top Chef et qui ont envie de travailler ici pour moi, pour ma cuisine. C'est très différent quand quelqu'un vient travailler juste pour faire ce qu'il y a écrit sur la liste, faire ses horaires et prendre son salaire, et quelqu'un qui est là car il a envie d'apprendre de toi, de te pousser à aller plus haut. Cela se ressent beaucoup dans la manière de travailler et dans l'implication. J'ai besoin de gens qui vont porter le restaurant avec fierté et y apporter de la nouveauté car je ne suis pas toujours là.


Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ? Des formations que vous avez suivies ?

Alors je n'ai pas vraiment suivi de formation, j'aime bien dire que j'apprends depuis que je suis toute petite car c'est vraiment ma passion depuis que je suis enfant. J'ai beaucoup cuisiné avec ma mamie, avec ma maman aussi qui faisait beaucoup de gâteaux donc j'étais toujours dans la cuisine avec elle. Mon premier souvenir est d'avoir fait des œufs cocottes avec elle. Donc je commençais à faire cela toute seule à quatre ans, et puis à cinq ans je faisais des gâteaux au yaourt. J'adorais cela, j'avais plein de livres de cuisine et puis je suis devenue très rapidement autonome là-dedans. C'est principalement cela qui m'a formé. J'ai quand même fait un cursus général au lycée. En fait je ne voulais pas aller en école d'hôtellerie car c'était encore un métier qui était vu comme une voie de garage. Du coup j'avais fait plein de vœux et j'avais juste demandé la meilleure école d'hôtellerie de France. J'ai été prise, j'y suis allée, mais je n'ai pas aimé. J'ai fait mon année de mise à niveau, après j'ai fait ma première année de BTS et je l'ai arrêtée car le cadre ne me plaisait pas du tout. On apprenait très peu la cuisine et on devait toujours être en uniforme, la main derrière le dos, le chignon bien propre. C'était affreux car j'avais l'impression qu'on me volait mon identité. J'avais aussi fait quelques stages en étoilé qui s'étaient très mal passés, donc je voulais arrêter la cuisine mais à ce moment-là mon frère m'a trouvé un emploi à Londres. Je suis partie en Angleterre, j'y suis restée quatre ans et là c'était incroyable pour moi. J'ai travaillé au Mandarin Oriental de Londres, dans une brasserie de luxe française, j'y suis restée deux ans, j'ai vu tous les postes et j'ai tout appris. La mentalité anglo-saxonne est vraiment différente, plutôt dans l'accompagnement. Après cette expérience-là j'ai très rapidement été ma propre cheffe.


Toutes ces  expériences que vous ont-elles apporté dans l'élaboration de votre cuisine ?

Le voyage m'apporte beaucoup. Ma première place de cheffe c'était à Santiago du Chili, avec un Chilien et un Français qui avaient le souhait d'ouvrir un petit restaurant dans un garage dans un quartier malfamé, avec l'idée de faire de la cuisine traditionnelle française accessible et paysanne qui serait à moins de dix euros le menu. C'était vraiment pour faire connaître cette gastronomie française. Donc on a ouvert cela et au bout d'un mois les gens faisaient la queue devant, et on a été élu meilleur bistrot de Santiago. Cela m'a beaucoup appris dans le sens où tout ce que j'avais appris à Londres, avec beaucoup de staff et de matériel, j'ai dû le déconstruire pour travailler avec des ingrédients vraiment humbles et sans matériel. Cela m'a aussi rapproché du côté humain du métier. Quand j'étais à Londres je travaillais dans les palaces, la plupart des clients étaient des qataris, des russes. Je viens d'un milieu assez modeste, mon amour de la cuisine vient du milieu ouvrier donc j'avais beaucoup de mal à cuisiner pour des gens avec une telle richesse. Travailler avec des produits humbles est quelque chose qui m'anime encore aujourd'hui.


Peut-on retrouver des influences exotiques dans votre cuisine ?

J'essaie de partir en voyage une fois par an, j'ai beaucoup d'influences d'Amérique Latine tel que le ceviche par exemple. J'ai aussi des influences asiatiques, thaïlandaises et indiennes principalement. Cela fait partie de mon identité et de mon parcours car le voyage est aussi l'une de mes plus grandes passions.


La cuisine portugaise vous inspire-t-elle aussi ?

Oui, mais pas au Portugal. En fait, quand je fais des choses en France j'essaie de rapporter des influences portugaises, mais je ne le fais pas au Portugal car j'estime ne pas être la meilleure ambassadrice pour le faire. Il y a énormément de chefs portugais très talentueux à Lisbonne qui ont plus de légitimité que moi.


Votre cuisine à Boubou's utilise-t-elle des influences françaises ?

Je n'ai pas beaucoup d'inspiration française non, mais j'ai un plat signature qui est mon plat préféré depuis que je suis enfant et qui est la langue de boeuf sauce ravigote que ma maman me faisait. Je l'ai un peu modifié mais il reste très traditionnel.


D'où vous est venue l'idée de participer à Top Chef ?

Tout vient du Covid. Quand on a fermé le restaurant et qu'on a réalisé qu'on n'aurait pas d'aides, on avait deux solutions : soit on fermait définitivement le restaurant, soit on arrivait à rouvrir mais il faudrait vraiment le remplir. Au départ j'ai fait Top Chef seulement pour avoir de la visibilité. Je me suis inscrite en 2020 et je n'ai pas été prise. Ensuite on a rouvert le restaurant et cela marchait plutôt bien, on était plein, le casting de Top Chef m'a rappelé pour me proposer de participer cette année mais j'ai refusé. Mais la même semaine, un chef trois étoiles allemand est venu manger au restaurant, puis le finaliste de Masterchef France et aussi Michel Sarran. À la fin du repas on est resté quelque temps à discuter, et au final il ne savait pas que j'étais potentiellement candidate à Top Chef. Il était juste venu car on lui avait recommandé le restaurant, et non pour voir mon niveau. Alors il m'a vraiment donné un coup de confiance et m'a poussé à participer au concours. Depuis ce jour-là il a pris régulièrement de mes nouvelles pour savoir où j'en étais dans le processus. Finalement j'ai été prise, j'y suis allée pour l'expérience, pour apprendre, pour être en France et me rapprocher un peu des cuisiniers français.


Comment avez-vous vécu l'expérience ?

J'ai essayé d'y aller sans pression, en faisant seulement de mon mieux. Puis j'ai été prise en quart de finale et là tout a basculé dans mon esprit. Je n'avais pas prévu cela, je ne voulais pas aller trop loin dans l'aventure car je ne voulais pas que ma vie change. J'étais tellement satisfaite de ma vie à Lisbonne, du restaurant, de ma vie privée, etc. Tout compte fait ce qui a changé c'est que désormais le restaurant est plein, donc plus besoin de s'inquiéter de la santé financière de l'établissement. Je n'ai plus peur non plus de manquer de légitimité auprès de mes équipes, car avoir ce titre m'apporte la légitimité dont j'avais besoin aussi en tant que femme dans ce milieu. J'ai aussi davantage confiance en ce que je fais, j'affirme réellement ma cuisine.


Que vous a apporté la cheffe Hélène Darroze ?

Elle ne m'a pas apporté ce que j'étais venue chercher au départ mais elle m'a apporté autre chose. Je voulais vraiment apprendre techniquement, et cela n'a pas été le cas. En revanche elle m'a apporté quelque chose d'essentiel : de la confiance en moi-même. Elle avait confiance en moi et tous les jours elle me disait que j'étais à ma place, que j'avais le droit d'être ici, que j'avais des chances de gagner et qu'elle croyait en moi. Cela a pris beaucoup de semaines avant que je ne l'entende, mais elle n'a jamais lâché. C'est ce qui m'a permis d'aller au bout finalement.


Pour en venir à ce que vous proposez à Boubou's, vous avez un menu dégustation mais également un menu végétarien. Est-ce important pour vous de proposer ces nouvelles formes d'alimentation alternative ?

Alors j'ai mis en place le menu dégustation à la sortie du confinement, et j'avais indiqué en dessous qu'il y avait des alternatives pour les végétariens et les véganes. J'avais un menu végétarien qui était prêt mais qui n'était pas indiqué avec le menu dégustation, et il ne s'adressait qu'à des personnes végétariennes ou véganes. Depuis cette année j'ai arrêté la carte, et je fais un menu végétarien ainsi qu'un menu omnivore. Donc oui cela est extrêmement important pour moi. Après, même dans mon menu omnivore, ma protéine animale est consciencieusement choisie, c'est-à-dire qu'en général je ne fais qu'une seule viande qui est de la langue de bœuf car c'est un morceau qui est souvent jeté. En ce qui concerne les produits de la mer, je travaille majoritairement les coquillages qui sont plutôt bénéfiques car cela assainit les océans, pour le poisson je prends des espèces qui sont abondantes, hors période de reproduction et locales. Tous mes produits sont choisis pour leur impact écologique. Ce sont des principes que je suis pour ma propre alimentation donc cela me paraît évident de le faire pour mes clients et pour mon équipe. D'autant plus qu'en étant une cheffe médiatisée j'ai la chance de porter un message qui peut être entendu et avoir de la portée.


Quels sont les produits que vous préférez travailler ?

J'aime beaucoup les coquillages, l'huître. Mais cela change assez souvent car je n'ai pas envie de m'enfermer dans une routine. Je suis en contact quasi-permanent avec mes producteurs et je m'adapte aux saisons aussi.


Avez-vous d'autres projets pour la suite ?

J'aime me laisser porter donc je n'ai pas de projets, je prends ce qui vient. Pour le moment je suis très satisfaite de ce que j'ai actuellement, mais on verra ce que le futur nous réserve.

 

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