Édition internationale

De Chancay à Shanghai : la Chine redéfinit la géopolitique au Pérou

Le port de Chancay et la course aux ressources : entre promesse de croissance et risques de dépendance.

SHAN SHAN
@Markus Winkler by Unsplash
Écrit par Yanis Bonnetete
Publié le 16 mai 2025, mis à jour le 19 mai 2025

 

Le 14 novembre 2024, le Pérou a inauguré le port de Chancay, à 72 kilomètres au nord de Lima. Ce projet colossal de 3,6 milliards de dollars n’est pas qu’un aménagement portuaire d’envergure ; il illustre une transformation profonde des équilibres géoéconomiques en Amérique latine.

 

Contrôlé à 60 % par le géant chinois COSCO, ce hub maritime est conçu pour traiter jusqu’à un million de conteneurs par an. L’objectif est clair : faire du Pérou la principale porte d’entrée de la Chine vers l’Amérique du Sud.

 

« De Chancay à Shanghai ...est devenu une expression courante au Pérou, annonciatrice d’un avenir de coopération bénéfique. » Xi Jinping, lors de l’inauguration du port

Derrière le discours de partenariat, une stratégie d’enracinement durable se dessine. Le littoral pacifique péruvien devient un point d’ancrage pour Pékin dans la région.

 

Depuis l’accord de libre-échange de 2010, les exportations péruviennes vers la Chine ont bondi de 325,9 %, avec une croissance annuelle moyenne de 13,2 %. Le Pérou, fournisseur de minerais et de produits agricoles, échange désormais ses ressources naturelles contre capitaux et produits manufacturés chinois. Début 2025, la Chine absorbe 36 % des exportations péruviennes — devant les États-Unis.

 

 

SHANGAI
@Jerome Monta by Unsplash

 

Un virage historique. Mais à quel prix ?

 

À Huacho, petite ville côtière, les pêcheurs voient leurs quais envahis par des cargos géants, bouleversant un quotidien autrefois rythmé par les barques en bois. Une image symbolique d’un changement ressenti jusque dans les criques les plus isolées.

Parallèlement, la Chine a mis la main sur plus de 20 % de la production minière nationale et domine la distribution électrique de Lima. Les conditions contractuelles — clauses exclusives, garanties d’État, options de rachat — favorisent clairement les entreprises chinoises. Une question se pose : le Pérou conserve-t-il encore sa pleine souveraineté économique et politique ?

Cela dit, les retombées économiques sont tangibles : créations d’emplois, recettes fiscales, infrastructures modernisées. Un souffle bienvenu pour une économie sous tension.

Mais l’ombre de la doctrine Monroe plane toujours. Washington, inquiet, évoque un « piège de la dette » et des risques d’espionnage industriel. Les exercices militaires conjoints avec le Pérou et la Colombie se multiplient, tandis que des parlementaires américains appellent à encadrer les activités chinoises dans la région.

Entre les pressions de Pékin et celles des États-Unis, Lima joue l’équilibriste. La présidente Dina Boluarte met en avant les gains économiques du projet tout en promettant transparence et contrôles indépendants. Si ces engagements sont tenus, ils pourraient éviter un déséquilibre trop marqué.

Pourtant, les critiques internes s’intensifient. ONG écologistes, pêcheurs, communautés minières : beaucoup dénoncent les impacts environnementaux et le manque de concertation publique.

 

 

On s’interroge : quid de la restauration des sols après l’extraction ? Qui garantit une gestion durable de ces investissements massifs ?

 

La question fuse dans les débats : le Pérou échange-t-il sa souveraineté contre un développement accéléré ?

Les pays voisins — Bolivie, Équateur, Chili — observent attentivement, entre espoir et méfiance. Pour certains, Chancay est un modèle. Pour d’autres, un retour déguisé à une forme de dépendance.

En somme, Chancay est bien plus qu’un port. Il incarne un tournant stratégique dans les rapports de force régionaux. Si le Pérou parvient à conjuguer attractivité économique et contrôle démocratique, il pourrait transformer ce partenariat en levier d’émancipation. Dans le cas contraire, il risque de devenir un simple rouage — stratégique, certes, mais secondaire — dans une dynamique dictée depuis Pékin.

 

 

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