Les NFT (non fungible tokens), ces certificats numériques infalsifiables qui attestent de l'authenticité et de l’unicité d'un objet numérique, ont le vent en poupe dans le monde de l’art. De plus en plus d’artistes, galéristes, collectionneurs en créent, en vendent, en achètent. Ces œuvres virtuelles atteignent même des prix records. Mais concrètement, comment les artistes créent-ils des œuvres d’art virtuelles ? Comment sont-elles présentées sur internet et dans le monde physique ?
Avec cette question en tête nous avons parcouru Art Jakarta 2022, principale foire d’art contemporain indonésienne, qui a donné cette année une place spéciale aux NFT. Il y avait une salle où l’on pouvait voir des artistes en plein processus de création. Devant leurs écrans ils travaillaient, comme on peut voir des graphistes travailler sur les logiciels spécialisés. Plusieurs galeries proposaient également des œuvres d’art ou images numériques dotées d’un NFT. Le moyen d’exposition « physique » de ces images numériques varie un peu. Ici on trouve un écran avec des images statiques qui défilent, là un écran avec une œuvre en mouvement.
L’artiste I Nyoman Masriadi
EquatorNFT et I Nyoman Masriadi, peintre indonésien reconnu à l’international, proposaient une collection de NFT appelée « Samuro’s Judgement ». Ils offraient des variations limitées à 50 exemplaires. Ils sont désormais épuisés. Concrètement, l’artiste a repris l’un des personnages de ses peintures, « Samuro » et l’a digitalisé à l’aide d’une équipe spécialisée dans l’animation. Le résultat est une animation de 10 secondes lors de laquelle le samurai interagit avec son nouveau propriétaire au moyen du regard, des mouvements de son corps, d’une bulle de dialogue. Au bout de quelques mois, l’acheteur obtient aussi un background au choix, il y a donc une customisation possible, d’où l’idée de « co-création » entre l’artiste, son équipe technique et le collectionneur/spectateur.
Lancement de Samuro’s Judgement, premier projet NFT de I Nyoman Masriadi, lors de la foire Art Jakarta 2022 © I Nyoman Masriadi/ EquatorNFT
Les caractéristiques du NFT font que chacune de ses créations sont reconnues comme uniques, authentiques et traçables car elles sont associées à un code ou certificat numérique d’authenticité unique et non interchangeable. Toujours est-il que l’artiste en a fait une cinquantaine de copies, chacune unique avec son propre code blockchain ou chaîne de blocs. Cela fonctionne comme les photographies ou les sérigraphies, en gros, comme les œuvres reproductibles : des copies limitées portant la signature pour assoir la valeur artistique et marchande de l’œuvre. Le NFT la rend unique et traçable. Son certificat numérique indique que c'est bien l'œuvre originale de l'artiste. Il indique aussi qui l'a vendue, qui l'a achetée, pour quelle somme et quand.
De plus pour ceux qui restent sceptiques ou préfèrent une œuvre physique, dans un second temps, ils peuvent acheter une impression signée et datée, pour l’accrocher et l’exposer. Mais rien n’empêche le collectionneur de contempler ou interagir avec son œuvre dans l’espace digital OpenSea, matérialisé dans son écran de portable, ordinateur ou smart TV. On peut même imaginer de projeter ses nouvelles acquisitions, comme on le fait avec les œuvres d’art vidéo.
L’artiste franco-vietnamien Kongo
Cyril Kongo, artiste franco-vietnamien de renommée internationale, est une figure majeure du graffiti. De Paris à New York, de Hong Kong à Bali, Kongo est un artiste cosmopolite. Le métro parisien, le carré Hermès, la toile ou l’art virtuel, Kongo n’hésite pas à changer de support. Son imaginaire nourri de hip hop et de street-art transparait dans une recherche esthétique autour de la calligraphie et la couleur. Ses peintures sur toile aux couleurs vives dégagent une énergie singulière et résument bien le mantra qu’il a adopté : « style and flow ». Les lettres s’entremêlent et se superposent, formant des ensembles abstraits et joyeux.
Kongo, lui aussi curieux et prêt à sortir de sa zone de confort, s’est embarqué dans le monde des NFT. N’étant pas un professionnel de la tech, il a collaboré avec toute une équipe pour créer les Alphabets Safari. Dans cette série de 26 œuvres virtuelles, chaque œuvre représente une lettre, un petit personnage à la peau d’animal mignon et coloré. L’heureux collectionneur reçoit par la suite des « vitamines », un code qui donne vie aux lettres. Le collectionneur voit ainsi sa lettre s’animer, les poils bouger.
Voilà l’exemple, certes anecdotique, mais néanmoins concret, de deux artistes avec deux univers et des langages graphiques complètement différents, qui embrassent les NFT avec des résultats tout à fait cohérents avec leurs styles dans la forme et dans le fond. Il est intéressant de noter que ces deux artistes, prêts à plonger dans le monde en développement des NFT, sont déjà proches d’une culture pop. Que ce soit la bande dessinée et les jeux vidéo pour I Nyoman Masriadi ou le graffiti pour Kongo, ils sont prêts à tester les limites de l’art.
Les NFT liés au crypto-monnaies
Un autre aspect des œuvres d’art NFT est leur assimilation aux crypto-monnaies. Un NFT, artistique ou pas, reste un actif financier, qui peut être échangé ou donné en gage à tout moment. Dématérialisé, volatile et sans territoire spécifique, ce marché pose de nombreuses questions. En effet, la législation sur les NFT reste encore à la traine et des conflits au sujet de la propriété intellectuelle, des droits d’auteur et des droits de reproduction opposent déjà créateurs, collectionneurs et hackers. Mais cela évolue! À Singapore notamment, un NFT a été reconnu comme une propriété digne d’être protégée et congelée lors d’un litige. Une première dans ce domaine qui pourrait créer une émulation dans d’autres pays, rendant ainsi cet investissement plus sûr.
Pour aller plus loin :
Cyril Kongo - Instagram : @OFFICIAL_CYRIL_KONGO @dgalleriejakarta
I Nyoman Masriadi Instagram :@nyomanmasriadi
Une vidéo pour découvrir l'artiste I Nyoman Masriadi
Art Jakarta - instagram @artjakarta