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Des couleurs flashy, une démarche intéressante, rencontre avec Zico Albaiquni

Zico Albaiquri artiste expositionZico Albaiquri artiste exposition
exposition Space8 Zico Albaiquni
Écrit par Anamaria Pazmino
Publié le 5 mai 2022, mis à jour le 24 mai 2022

La toute nouvelle galerie Spac8 à Jakarta ouvre son programme avec une exposition haute en couleurs. A travers une vingtaine d’œuvres, l’artiste indonésien Zico Albaiquni dénonce une représentation réductrice et exotique du paysage, ainsi que de la femme et de l’homme indonésiens. Il s’empare d’images en provenance des archives, des musées et des médias. Il édite, supprime, rehausse et peint. Par superposition d’éléments, en apparence disparates, il déconstruit les clichés historiquement acceptés et questionne notre regard.

 

Originaire de Bandung, ce jeune et talentueux artiste parle de son travail avec sincérité.

 

« Tilem, Disruptive Liminalities » est votre première exposition individuelle à Jakarta. Quel est votre parcours ? 

Ma mère voulait que je fasse des études de médecine, mais finalement je me suis inscrit en peinture à l’Institut Teknologi Bandung. Pendant mes études, il y avait une dynamique extraordinaire, mais juste avant l'obtention de mon diplôme, le marché s’est effondré ! D’un seul coup on ne pouvait plus exposer. Avec mes amis, on a donc créé un collectif et on a ouvert notre espace d’exposition. C’est comme ça que j’ai commencé.

 

Et en termes de mécènes ?

J’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui me soutiennent, avec des achats, mais surtout avec leur amitié et leur réseau international. Cela m’a permis notamment d’obtenir une résidence à Vienne et aussi une exposition. À partir de ce moment, et aussi parce que j’ai évolué dans ma pratique, j’ai commencé à être invité à d’autres expositions au Japon, en Australie, en Indonésie. Pour la génération de mon père – à l’époque de Suharto - cela a été très difficile. Je me souviens qu’une fois mon père a même dû vendre le réfrigérateur pour pouvoir réaliser son projet ! Il fait partie d’une génération d’artistes, avec Aramahiani, Heri Dono, Fx Harsono, pour lesquels j’ai énormément d’admiration. Ils ont ouvert la voie pour nous.

 

Votre palette est très spéciale, pourquoi ce choix de couleurs néon ?

La couleur me permet de rehausser, d’éditer, de donner de l’importance à certains éléments. Et je suis contre la chromophobie.

 

Quand j’étais enfant, au village de mon grand-père, lors d’Idul Fitri, les voisins repeignaient leurs maisons de couleurs vives. Au contraire, les grandes villas coloniales sont d’un blanc majestueux. Ce goût des couleurs criardes est considéré comme « kampungan », un goût villageois, peu raffiné. Il y a notamment ce vert très vif. On l’appelle « hijau miskinan », le vert du pauvre.

J’étais très amusé de voir que ce vert flashy se vend aujourd’hui très cher comme « vert vidéo », en référence à la haute définition. Il y a donc un reversement des codes, cela m’amuse et me permet d’explorer et de défier certaines traditions en peinture.

Zico Albaiquini The Anthroporn 2022 Oil and giclee on canvas
Zico Albaiquni The Anthroporn 2022 Oil and giclee on canvas

 

Votre œuvre pose la question du regard colonial et de la représentation du paysage et des gens d’Indonésie dans l’art et dans les médias. Pourquoi est-il pertinent d’engager une conversation à ce sujet aujourd’hui ?

L’Indonésie est un pays mal connu. Il y a une idée de l’Indonésie qui se réduit aux balinaises aux seins nus, aux couleurs tropicales, aux terres paradisiaques. Puis, il y a aussi les stéréotypes du pays musulman, du pays violent des attentats, du pays exotique aux belles plages.

 

J’aimerais que les européens s’interrogent sur leur idée de l’Indonésie, qu’ils s’efforcent un peu pour voir au-delà de ce regard colonial qui persiste.

 

Il y a dans vos œuvres une mise en abyme du regard de l’artiste : le vôtre, celui de vos ainés, celui des européens. Pourquoi ce travail sur l’histoire de l’art ?

Zico Albaiquni it s still happening there
Zico Albaiquni It's still happening back there, 2021 

 

L’histoire de l’art est un excellent point de départ pour parler des problématiques politiques et sociales. C’est un avantage de la peinture, elle est un intermédiaire qui crée un dialogue avec le passé. Dans mon œuvre, j’incorpore des références aux peintures Mooi Indië, mais aussi à des artistes indonésiens, surtout à Jeprut. J’ai une grande admiration pour ce groupe car ils ont eu le courage de s’opposer au régime de Suharto. Ils ont résisté avec des actes disruptifs qui prenaient la forme de performances. J’aime aussi les films de Tarantino. Il y a une grande narration un peu farfelue avec des moments de disruption. C’est là que commence la recherche, la pensée s’active. Jeprut est mon Django.

 

Pourquoi parlez-vous de spiritualité soundanaise ?

Il s’agit du « Ruwatan », qui signifie revenir au début. C’est une cérémonie pour la purification. C’est un moment au cours duquel l’on l’accepte ses torts et l’on déclare son intention de changer. On peut ensuite reconstruire, comme un processus de paix. Ces séries sont une invitation à parler du passé colonial, une invitation aux hollandais à être diligents, à challenger leur vision du passé et de l’Indonésie.

 

Allez-vous continuer vos recherches sur la déconstruction du regard colonial ?

Ma recherche n’est pas dans la théorie. Ce que je fais part d’un vécu. J’ai rencontré plusieurs régisseurs qui s’identifiaient avec mon travail. Ils m’ont dit : "on connait la formule, on est obligés de mettre un peu de ces clichés pour que ça plaise". Certains musiciens aussi comparent ma façon de travailler à la leur, au sampling. C’est en effet un des axes de recherche du PhD que je dois commencer le semestre prochain à Melbourne.

 

A voir jusqu’au 15 mai au Spac8 - Yavuz Gallery - Astha District 8 - SCBD - Jakarta

ouvert de 11h30 à 20h . 

Crédits photos : Anamaria P with courtesy Yavuz Gallery