En attendant la réouverture du Musée National de Jakarta, nos guides francophones de l'association Indonesian Heritage Society nous partagent leurs coups de coeur.
L’Homo Floresiensis, l’homme de Flores, le Hobbit : une seule et même… femme ! par Chloé Chauvelot
La découverte !
Dans les années 90, un archéologue australien, Mike Morwood, enquête sur les origines des aborigènes australiens modernes. Sa quête le conduit à Flores, en Indonésie. Ainsi, des années plus tard, le 2 Septembre 2003, une découverte bouleverse la communauté scientifique et a très vite une répercussion mondiale.
Accompagné de son équipe indo-australienne, l’archéologue extrait un squelette presque entier, sur l’île de Flores, dans la grotte de Liang Bua. Ils mettent au grand jour un nouveau spécimen d’hominine : l’Homo Floresiensis ! Et qui se révèle être… une femme !
Ces ossements humains montrent qu’il s’agit en effet d’une femme adulte, mesurant 1,05 mètre, âgée de 30 à 35 ans et pesant environ 35 kg. Elle présente des caractéristiques très particulières, telles que :
- de grands pieds (70 % de la longueur du fémur)
- des jambes courtes et de longs bras
- un crâne réduit (environ 1/4 de la taille d'un humain moderne)
- et un cerveau très petit, comparable à la taille d’un pamplemousse.
Ses proportions lui valent rapidement le surnom de "Hobbit" (vous comprendrez tous aisément la référence au célèbre roman de J.R.R. Tolkien, le Seigneur des Anneaux : )).
L’enthousiasme est à son paroxysme dans la communauté scientifique qui cherche alors le chaînon manquant entre l'homo erectus tardif et l'homo sapiens précoce.
Une question brûle toutes les lèvres : Où placer cette petite femme dans notre arbre généalogique humain ?
Sur les traces de notre ancêtre… qui n’en est finalement peut-être pas un !
Une enquête scientifique et un débat agité suivent la publication du respectable journal Nature sur cette incroyable découverte. Le marathon d’analyses commence dès lors : les ossements sont non seulement étudiés mais tous les éléments environnants également. Les os d’animaux, les pierres, les outils et les moindres sédiments sont comparés avec des spécimens existants du monde entier.
L’Homo Floresiensis est finalement daté entre 100 000 et 60 000 ans avant notre ère -après avoir été daté entre -18 000 et -13 000 ans. La datation reste une tâche périlleuse. Il est finalement prouvé qu’il n'y a plus de traces du Hobbit après -50 000 ans…
Sa disparition est-elle due à l'arrivée d'autres humains ? Un changement climatique est-il survenu ? Ces questions restent ouvertes.
L’Homo Floresiensis n’est pas le chaînon manquant
Grâce aux analyses extrêmement poussées, des faits intrigants sur l’anatomie sont révélés : le Hobbit ne peut être le chaînon manquant dans notre arbre généalogique :
1- Homo F. n'a pas de voûte plantaire, les gros orteils sont très courts et les autres orteils sont assez courbés. Il semble être un marcheur plutôt qu'un coureur, différent de l'Homo Erectus. Ses empreintes sont proches des australopithèques.
2- Son bassin ressemble plus à celui des australopithèques qu'à celui des humains modernes.
3- Les premiers Homo Erectus et Homo F. ont des omoplates et des humérus similaires ; les scientifiques ont conclu qu'il s'agissait d'une forme intermédiaire avant l'homme moderne.
4- Son poignet a encore une structure osseuse primitive, une autre preuve qu'il n'est pas un humain moderne.
5- Ses mâchoires et ses dents : la forme des couronnes des prémolaires est distincte de celles des humains modernes (mais similaire à l'homo erectus de Géorgie-Dmanisi) et de l'homo erectus de Java (dont la forme des couronnes est moderne).
6- Son cerveau est étonnamment petit pour sa taille mais extraordinairement efficace si l'on considère son organisation, favorisant le multitâche et la planification. Il permet une forte reconnaissance des visages et des objets, la lecture des traces d'animaux, la répétition des techniques de chasse et la réflexion sur la fabrication d'outils. Le cerveau s'est globalement développé pour répondre à ses besoins, car les objets trouvés prouvent qu'il était un chasseur-cueilleur.
Le squelette réunit donc des caractéristiques primitives des premiers Homos, combinées à des caractéristiques uniques.
Un spécimen unique !
Ce spécimen unique, si particulier, a fait couler beaucoup d’encre et donné lieu à de nombreuses théories.
Nous vous en révélons certaines ici, tant elles ouvrent des voies différentes et sont une preuve vivante que l’Histoire se réécrit tous les jours, sur base de nouveaux éléments :
1- En raison de la première datation précoce, une théorie a affirmé qu'il s'agissait d'un humain moderne malade (crétinisme, syndrome de Laron ou microcéphalie). Cette théorie a été réfutée suite aux nouvelles datations.
2- L'Homo F. pourrait être un descendant de l'Homo Erectus de Java selon la "règle de l'île" (taille plus petite chez les espèces plus grandes et taille plus grande chez les espèces plus petites), ce qui pourrait expliquer le nanisme.
Mais pour être concluante, cette théorie impliquerait une "évolution inverse" : les caractéristiques devenues modernes devraient revenir à leur forme primitive.
Alors, si ce n'est pas de Java, d'où vient-elle ?
3- Certains scientifiques évoquent que ce pourrait être un Homo Erectus précoce de Géorgie (le Dmanisi) - mais la plupart des scientifiques estiment qu'il est trop tôt pour se prononcer. Des caractéristiques de l'Homo Floresiensis sont plus primitives que celles de l'Homo Erectus et nécessiteraient une explication.
4- Une autre théorie fascinante est que l'Homo Floresiensis ferait partie d'un autre événement "Out of Africa" évoluant à partir d'hominines antérieures comme l'Homo Habilis ou l'Australopithecus vers une espèce spécifique : l'Homo Floresiensis.
Aucune de ces hypothèses n’est absolue.
Et ce n’est pas fini… !
En 2016, l’île de Flores est de nouveau sous les feux de la rampe avec la découverte à Mata Menge d'une mandibule d'hominine, de six dents et d'un fragment crânien. Les restes de l'hominien sont vieux d'environ 700 000 ans.
La découverte de l'os de la mâchoire et des dents à Mata Menge a permis d'émettre l'hypothèse qu'il s'agissait des ancêtres immédiats du Hobbit.
Gageons que cette découverte continuera d'intriguer les scientifiques et de susciter des discussions sur notre histoire évolutive.
Quand le mythe rencontre l’histoire…
Toute théorie scientifique reste valable jusqu’à être réfutée. Et remplacée par une nouvelle.
L’avantage des mythes est qu’ils traversent aisément le temps. Et sur l’île de Flores, on parle encore de ces petits êtres poilus, Ebu Gogo, qui vivent dans la forêt.
N’y aurait-il qu’à sortir du sentier pour croiser notre Hobbit ?