En attendant la réouverture du Musée National de Jakarta, nos guides francophones de l'association Indonesian Heritage Society nous partagent leurs coups de cœur.
Le masque Hudoq Dayak par Isabelle Martres
Mi-animal, mi-homme, ce masque en bois sculpté -aux traits soulignés de noir et blanc- a
surement de quoi surprendre. Avec ses grands yeux exorbités, sa bouche entre-ouverte, de
longues défenses qui sortent de la mâchoire et d’une oreille, le masque peut également
sembler tout à fait effrayant. Ça tombe bien, c’est fait exprès !
Utilisé par les communautés Dayak de la province de Kalimantan, le Hudok est traditionnellement porté pendant les cérémonies qui accompagnent la période de plantation du riz. Au cours des festivités, des hommes se rassemblent pour effectuer une danse rituelle : la danse Hudoq. Avant d’entrer en scène, tous les danseurs se couvrent du masque et d’un
chapeau de rotin tressé, dans lequel sont plantées de grandes plumes noires et blanches. Ils
entourent leur corps de feuilles de palmiers ou de bananiers. Certains s’équipent également
d’un long bâton, pour frapper le sol.
« Un masque à faire peur »
Ainsi parée, la troupe défile dans le village, battant des pieds et secouant lentement les bras,
au rythme des instruments traditionnels. Le cortège déambule et s’attarde dans les rizières sur le point d’être plantées. Les danseurs s’amusent à effrayer badauds et spectateurs. Mais,
l’objectif est surtout de faire fuir les mauvais esprits susceptibles de s’attaquer aux jeunes
pousses de riz. Il s’agit également d’éloigner, symboliquement, les nuisibles (rats, serpents,
sangliers, corbeaux, léopards, ou même éléphants) présents sur les terres des Dayaks.
À y regarder de plus près, ce masque représente, justement, certains des animaux tant
redoutés. Ici, les défenses d’un sanglier semblent avoir été combinées avec les grandes
oreilles d’un éléphant. Parfois, serpents, calaos, dragons ou même Aso (animal mythologique
des Dayaks) peuvent aussi être mixés pour créer l’effrayante créature Hudoq. En portant ce
masque, les danseurs souhaitent entrer en communication avec les dieux. Cette danse est une quête de bonne fortune, un souhait de protection des cultures à venir, afin d’assurer une
moisson fertile à toute la communauté.
Fortement ancré dans la tradition Dayak, le Hudoq intervient parfois dans l’accueil des hôtes
de marque ou pour effrayer des visiteurs inconnus arrivant au village. Au cours de certains
rites chamaniques, il éloigne les sources de la maladie. Un « masque à faire peur » toujours
bien présent à Kalimantan, mais pas seulement ! Dès le 19eme siècle, les occidentaux
s’intéressèrent à ces Hudoq spectaculaires. Grand amateur, l’écrivain surréaliste André Breton
les collectionnait, et ils sont toujours recherchés -aujourd’hui- chez les marchands d’art et les
maisons de ventes aux enchères internationales.