Édition internationale

Le cinéma indonésien entre créativité, fragilité et reconnaissance internationale

Alors que le Festival Sinema Prancis débute ce vendredi (article à venir lundi), voici un focus sur le cinéma indonésien contemporain avec Valentine Payen-Wicaksono, actrice, scénariste et productrice française, installée en Indonésie. Cette dernière brosse les contours d’un 7ème art qui derrière les clichés de folklore, d’exotisme ou de films d’horreur voit émerger depuis plusieurs années une nouvelle génération de cinéastes, souvent des femmes, qui redéfinissent les récits, les formes et connaissent un vrai succès notamment à l’international.

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La conférence a été animée par Valentine Payen-Wicaksono, actrice, scénariste et productrice française, installée en Indonésie.
Écrit par Lepetitjournal Jakarta
Publié le 24 octobre 2025, mis à jour le 27 novembre 2025

Une nouvelle génération de réalisateurs souvent des femmes

A bientôt 35 ans, la Française Valentine Payen-Wicaksono possède déjà une solide expérience de près de quinze ans dans le cinéma indonésien que ce soit en tant qu’actrice, scénariste ou productrice. C’est donc tout naturellement que la section francophone de l’IHS (Indonesian Heritage Society) lui a demandé d’animer une conférence intitulée : « Regards sur le cinéma indonésien contemporain ». Un échange passionnant qui laisse admiratif sur la créativité et les ambitions d’un septième art indonésien en pleine émergence. 

Valentine Payen-Wicaksono commence par faire observer que le cinéma indonésien a longtemps été perçu à travers un prisme réducteur, principalement associé à l’exotisme ou aux films d’horreur. Toutefois, depuis environ cinq ans, une nouvelle génération de réalisateurs et réalisatrices, notamment des femmes, renouvelle profondément la création nationale et s’impose sur la scène internationale. Elle évoque ainsi plusieurs œuvres emblématiques : Yuni (Kamila Andini, 2021), réflexion sur les contraintes patriarcales et la condition féminine ; Vengeance Is Mine, All Others Pay Cash (Edwin, 2021, Léopard d’argent au festival de Locarno), satire sur la virilité ; Nana (Une femme indonésienne, Kamlila Andini 2022), fresque contemplative primée à Berlin ; Marlina, The Murderer in Four Acts (Mouly Surya, 2017), western féministe en dialecte local ; enfin Basri and Salma in a Never Ending Comedy (Khozy Rizal, 2023), premier film indonésien sélectionné en compétition officielle à Cannes.

Créativité florissante mais structures fragiles et tabous

Ce renouveau s’épanouit malgré un certain nombre de faiblesses soulignées par la Française : quasi-absence de financements publics, manque d’écoles de cinéma, nombre insuffisant de techniciens et d’acteurs. L’archipel compte à peine 2 500 écrans pour près de 280 millions d’habitants, quand la France en possède plus de 6 000. Résultat : certains films primés à l’étranger restent invisibles dans leur propre pays et beaucoup de projets dépendent de coproducteurs européens, au risque d’une forme de dépendance culturelle. 

Par ailleurs, les réalisateurs indonésiens doivent composer avec les tabous de la société indonésienne et une censure, bien qu’assouplie, toujours active. 

Si les réalisateurs bénéficient aujourd’hui d’une plus grande marge de liberté, certaines thématiques sont proscrites et ne passent pas l’étape de la censure : le communisme, la critique du gouvernement ou de la religion, et plus encore les représentations LGBTQ+. Cette persistance d’interdits s’accompagne parfois même d’une autocensure intériorisée par les créateurs, héritage direct du traumatisme de la période autoritaire de Suharto. Les scènes de sexe sont quasi inexistantes par exemple. Valentine se souvient de la première fois qu’elle a vu un baiser au cinéma en Indonésie, il y a une quinzaine d’années. Ce n’était même pas un vrai baiser, juste un petit smack, mais dans la salle, les réactions étaient du style « Oh mon Dieu, il y a un bisou au cinéma».

Métaphores et plateformes pour contourner les restrictions 

Pour contourner ces restrictions, de nombreux cinéastes recourent à la métaphore et aux genres codifiés, notamment avec les films d’horreur, très populaires en Indonésie ou de science-fiction, qui offrent un espace symbolique de contestation. Ces œuvres, souvent perçues comme des « fables sociales », permettent d’aborder indirectement des enjeux de société, tout en échappant à la surveillance de la censure. Parallèlement, l’émergence de récits régionaux, tournés dans des langues locales, témoigne d’une diversification culturelle et d’une décentralisation du cinéma national.

L’arrivée des plateformes numériques — Netflix, Amazon ou services locaux plus accessibles  — redistribue les cartes et démocratise un peu plus le cinéma. Elles permettent de contourner les circuits traditionnels dominés par quelques distributeurs et offrent une visibilité internationale à des films indépendants. Valentine nous parle aussi d’ œuvres comme Samsara ou Setan Jawa de Garin Nugroho, muettes et en noir et blanc, réhabilitent la tradition du wayang, art de la marionnette considéré comme l’ancêtre du cinéma national. Parallèlement, une nouvelle génération de réalisateurs tels Yandy Laurens avec notamment son film tourné en Croatie « Sore: Wife From The Futur » ou « Falling in Love Like in Movies » (en noir et blanc) qui bousculent les conventions et prouvent qu’un cinéma d’auteur peut trouver son public en Indonésie avec près de 4 millions d’entrées cumulées pour les deux films.

Enfin, Valentine tient à souligner que certains films indonésiens ont connu d'énorme succès  notamment le film d'animation Jumbo  réalisé par Chrisnawan Martantion et Ryan Adriandhy. Il détient le record de vues en Indonésie atteint plus de 10 millions d'entrées. 

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