Bastian Meiresonne est un spécialiste reconnu du cinéma asiatique, à la fois programmateur, auteur et réalisateur. Il a dirigé le documentaire Garuda Power, consacré au cinéma d’action indonésien. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages de référence, dont Hallyuwood : le cinéma coréen (Edition. E/P/A) Collaborateur régulier de festivals de films asiatiques, il partage son expertise à travers conférences et publications. Dans cet entretien, il revient sur son parcours et nous apporte un éclairage sur le cinéma indonésien.


D’où vous vient cette passion pour le cinéma asiatique ?
Mon père voyageait beaucoup, et il était déjà un peu geek avant l’heure. Il me ramenait des cassettes vidéo de films japonais. Grâce à lui, j’ai découvert très jeune Kurosawa. Je les regardais avec ma mère. Comme je suis bilingue flamand-français et que les films n’étaient pas sous-titrés, c’est elle qui me les "traduisait"… Enfin, je croyais qu’elle les traduisait vraiment ! Des années plus tard, j’ai revu ces films, cette fois avec les sous-titres… Et je me suis rendu compte que l’histoire n’avait rien à voir avec ce que ma mère m’avait raconté à l’époque ! Ça a peut-être été un déclic. J’ai eu envie de comprendre, de découvrir ces films par moi-même.
C’est ce qui vous a poussé à approfondir cette culture cinématographique ?
Oui, totalement. Je me suis plongé dans le cinéma asiatique. D’abord japonais, puis je me suis ouvert au cinéma hongkongais, thaïlandais, chinois… C’était peut-être aussi une manière de me démarquer, de me construire une identité. J’ai fini par intégrer une école de cinéma à Paris. Ça me paraissait une suite logique, presque naturelle.
Vous êtes aujourd’hui, entre autres, programmateur et consultant pour des festivals, et vous revenez tout juste du festival de Cannes. Vous vous êtes arrêté sur le stand indonésien. Qui avez-vous rencontré ?
En marge du Festival de Cannes se tient également le Marché du film, un espace incontournable dédié aux films et aux documentaires. Avec 200 stands représentant plus de 300 entreprises et autant de films à découvrir, c’est une formidable opportunité pour moi de repérer des nouveautés et d’élargir mon réseau professionnel.
J’ai visité de nombreux stands, dont celui de l’Indonésie. Je n’ai malheureusement pas eu le temps d’y visionner de films, mais j’ai eu le plaisir de rencontrer plusieurs figures majeures du cinéma indonésien : l’actrice Christine Hakim, ainsi que les réalisateurs Reza Rahadian et Garin Nugroho.
Christine Hakim était présente pour soutenir PANGKU, un projet réalisé par Reza Rahadian, sélectionné dans le programme HAF Goes to Cannes, où elle devrait tenir un rôle. On la retrouvera également à l’affiche de The Morning Journey, le prochain long-métrage de Garin Nugroho.
J’ai également croisé Yulia Evina Bhara, productrice influente et membre du jury de la Semaine de la Critique cette année. Parmi ses productions notables figurent Solo, Solitude (Yosep Anggi Noen, 2016), Le Pion du Général (Makbul Mubarak, 2022), ainsi que Renoir, un film japonais en compétition officielle cette année.
Autre présence marquante : Iko Uwais, superstar des films The Raid 1 & 2, venu présenter Ikatan Darah (Blood Hound), un projet actuellement en développement, aux côtés de son futur réalisateur Sidharta Tata.
Enfin, j’ai eu l’occasion d’échanger brièvement avec d’autres personnalités du cinéma indonésien :
– le réalisateur Angga Dwimas Sasongko (Filosofi Kopi 1 & 2)
– la productrice Amerta Kusuma (Tale of the Land, Le Pion du Général)
– l’acteur Ario Bayu (vu récemment dans la série Netflix Cigarette Girl)
– le réalisateur Robby Ertanto (Yohanna, Ave Maryam)
– ainsi que l’actrice Chelsea Islan.
En France, on connait le cinéma coréen, thaï, mais très peu le cinéma indonésien. Comment l’expliquez-vous ?
En Indonésie, le cinéma est avant tout perçu comme un divertissement. Il s’agit d’un secteur plutôt commercial, avec une place très limitée pour le cinéma d’auteur ou les films art et essai. Deux genres dominent particulièrement la production locale : la comédie horrifique et le mélodrame.
Les films d’horreur — souvent teintés d’humour — s’appuient sur l’imaginaire collectif et le mysticisme profondément ancrés dans la culture indonésienne, à l’instar de ce que l’on retrouve en Malaisie ou en Thaïlande. Ces films jouent un rôle de défouloir et rencontrent un grand succès auprès des jeunes adultes. Ils fascinent, notamment parce qu’ils offrent un espace de frisson partagé, très prisé par les jeunes couples, qui y voient une opportunité de se rapprocher.
Le mélodrame, en revanche, s’adresse à un public plus mature, souvent en quête d’émotions plus profondes ou de récits ancrés dans la réalité sociale.
Le marché intérieur est en pleine expansion. Depuis une dizaine d’années, le nombre de salles de cinéma a considérablement augmenté dans tout le pays, en partie grâce à l’influence du cinéma coréen. Celui-ci passionne les Indonésiens, au point que de nombreuses coproductions entre l’Indonésie et la Corée voient désormais le jour.
En revanche, produire un film indépendant demeure un véritable défi : il faut trouver les financements, convaincre les partenaires et assurer une distribution. Par exemple, Une femme indonésienne, qui a été diffusé en France, a été bien accueilli par le public. Mais ce type de film nécessite souvent une projection en festivals, accompagnée de présentations ou de discussions pour en faciliter la compréhension et la réception.
En 2014, vous avez réalisé Garuda Power, un documentaire sur le cinéma d’action indonésien, sélectionné dans une cinquantaine de festivals. Quelles ont été vos motivations ?
Le succès de The Raid en 2012 a été un déclic pour moi. Ce film a ravivé l’intérêt pour un genre que beaucoup pensaient moribond, alors qu’il avait dominé la production indonésienne pendant près d’un siècle. J’ai voulu retracer cette histoire oubliée à travers un documentaire, Garuda Power, en menant un travail de recherche, à la fois historique et politique. J’ai filmé en Indonésie, interrogé des réalisateurs, acteurs, critiques et fouillé les archives souvent négligées. Mon but était de redonner une place à ce cinéma d’action, populaire, excessif, mais riche et profondément ancré dans la culture du pays.
Pouvez-vous nous parler des films indonésiens qui ont connu un succès notable, en Indonésie ou à l’international ?
Parmi les films les plus emblématiques du cinéma d’action en Asie du Sud-Est, The Raid et The Raid 2 occupent une place de choix. Réalisés par Gareth Evans, un cinéaste britannique installé en Indonésie, ces films mêlent habilement le genre policier aux arts martiaux traditionnels, notamment le pencak silat. Tournés à Jakarta avec un casting entièrement indonésien, ils ont marqué un tournant en mettant en lumière le potentiel cinématographique de la région sur la scène internationale.
Dans un tout autre registre, le film d’animation JUMBO connaît actuellement un immense succès. Avec plus de 10 millions d’entrées et plus de 24,7 millions de dollars de recettes, il s’impose comme le plus grand succès indonésien de tous les temps. Ce film témoigne de l’essor impressionnant de l’animation locale, capable désormais de rivaliser avec les productions internationales.
Pouvez-vous partager avec nos lecteurs votre top 5 des films indonésiens à découvrir ?
Bien sûr, c’est avec plaisir que je vous propose quelques recommandations, en commençant par des films disponibles en France.
- Opera Jawa de Garin Nugroho (2006)
- The Raid 1 & 2 de Gareth Evans (2011 & 2014)
- Marlina, la tueuse en quatre actes de Mouly Surya (2019)
- Une femme indonésienne de Kamila Andini (2022)
- Le Pion du général de Makbul Mubarak (2024)
Et si je devais vous confier mon top 5 « coup de cœur » ou plutôt top 6 tant il est difficile de choisir, ce seraient les suivants : des films offrent un regard sensible et souvent engagé sur la société indonésienne.
- Après le couvre-feu d’Usmar Ismail (1954)
- Feuille sur un oreiller de Garin Nugroho (1997)
- Whispering Sands de Nan Triveni Achnas (2001)
- The Rainmaker de Ravi Bharwani (2004)
- Love for Share de Nia Dinata (2006)
- The Mirror Never Lies de Kamila Andini (2011)
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