Alors que la Fashion Week prend fin à Paris, nous nous intéressons à Ibu Yanny, couturière et styliste francophone pour qui « la France est son deuxième pays ». Elle illumine aujourd’hui la capitale de son premier pays par ses créations colorées et intemporelles.
Souriante et accueillante en dépit de la pandémie de COVID-19, Ibu Yanny nous fait visiter avec fierté son atelier de couture situé au rez-de-chaussée de sa maison à Jakarta. Dans ce vaste espace, elle réalise des créations personnalisées pour chacun de ses exigeants clients, avec l’aide de cinq couturières qui sont toutes avec elle depuis de nombreuses années. « La mode, j’aime ça depuis que je suis toute petite », nous confie-t-elle. « En fait j’aime l’art de manière générale : cuisine, peinture, fleurs… Mes parents avaient un peu de moyens et j’ai eu la chance qu’ils puissent m’envoyer à Paris, le centre de la mode ».
Un parcours au sein de la mode parisienne
Ses études en France ont façonné le destin de Yanny. Avant de s’y rendre, le chemin était préparé : « j’ai commencé par apprendre le français pendant un an à l’Alliance Française. Puis j’ai fait Esmod, l’institut de la mode à Jakarta. J’y ai appris les coupes féminines. Ensuite, je suis partie à l’Académie Internationale de Coupe de Paris Vauclair, une excellente école pour la technique. J’y ai appris les coupes masculines, et perfectionné ma technique pour les femmes. Enfin, j’ai terminé par une spécialisation de modiste en travaillant dans un atelier de chapeaux parisien ».
De cette période d’une dizaine d’années, outre son excellent niveau de français, Ibu Yanny garde un souvenir ému : « j’aime beaucoup la France. Paris me manque beaucoup, c’est là où j’ai passé le plus de temps. J’adore me promener dans cette ville. J’adore aussi la Méditerranée, c’est tellement beau. Ici aussi nous avons de très belles mers, mais ce n’est pas comparable avec les paysages de France, c’est très différent. J’ai été jeune fille au pair dans une famille très riche qui m’a emmenée partout, et notamment dans sa maison sur la côte sud-est. Avec eux j’ai appris beaucoup de choses, j’ai amélioré mon français et j’ai lu de nombreux livres. Je me considère humaniste, donc j’adore les livres de Zola, Victor Hugo… On y trouve tout le caractère de l’être humain ! ».
Modestement, elle nous confie qu’elle était la meilleure élève de son école. « C’est ce qui m’a permis de décrocher des emplois facilement un peu partout » et ainsi parfaire son expérience dans de prestigieuses maisons.
Yanny est rentrée à Jakarta par amour : « j’ai suivi mon mari. C’était un étudiant aux Beaux-Arts, je l’ai rencontré à Paris. Nous avons un fils, il est né en France, nous sommes rentrés quand il avait 4 ans. Aujourd’hui il est grand, il n’a pas appris le français mais l’allemand, et il est actuellement étudiant en technique en Allemagne – il n’avait pas notre attrait pour l’art ! ».
Quant à son mari, il est aujourd’hui conférencier spécialiste de la peinture européenne et réussit toujours à passionner sa femme : « ce que j’aime en peinture, c’est l’impressionnisme. C’est gai, romantique, c’est le soleil, c’est la vie. Je n’arrive pas à peindre, mais j’aime admirer ! Dans un autre registre, j’aime aussi Salvador Dali. Et la peinture japonaise ».
Yanny ou un studio de couture et beaucoup d'humanisme
Depuis qu’ils sont rentrés en Indonésie, Yanny n’a pas cessé d’exercer. « Aujourd’hui je couds, je vois les clients, et j’ai plusieurs aides. Elles amènent leurs enfants et peuvent ainsi les garder. Je comprends que ce soit compliqué pour une jeune maman. Donc je leur propose un environnement où elles peuvent créer et travailler tout en gardant leurs petits ».
Bien qu’elle continue de pratiquer son art avec passion, Yanny se consacre plus à la partie relation clients : « je fais office de conseillère mode : je prends en compte la demande, et j’aide à choisir les couleurs, le style, la ligne, je propose des tissus. Les jeunes filles m’aident ensuite sur la partie couture. A mon avis, si on a toute sa tête, c’est un métier qu’on peut faire jusqu’à 90 ans ! »
Yanny pose un regard plein de bon sens sur le monde de la mode actuel. « Il y a 2 sortes de couturiers », juge-t-elle, « ceux qui ne font que le fancy, et ceux qui sont plus réalistes. J’aime beaucoup les jeunes créateurs, mais ce qu’ils font est tellement difficile à porter ! Cela ne convient qu’à un physique très particulier : des personnes très minces, très grandes… Or mes clients, ce sont des personnes qui ont de l’argent et du succès, souvent grâce à une belle carrière. Faire défiler des créations pareilles, ce n’est pas réaliste quand on regarde le profil de notre clientèle. Le côté fancy, je l’apprécie pour sa créativité, mais ce n’est pas sur quoi je me base comme inspiration ». Yanny a aussi levé le pied sur l’organisation de défilés, très fatiguante. « Je me sens un peu en décalage avec le monde de la mode aujourd’hui. C’est très axé sur l’apparence, le show-off… », avoue celle qui « n’aime pas baratiner » et admet être « toujours franche avec les clients. Je suis très ouverte d’esprit, mais j’aime bien aussi garder ma liberté de créatrice. Si je sens que le souhait d’un client ne marchera pas, je l’avertis clairement ».
Lorsqu’on lui demande si elle suit la Fashion Week, la réponse est sans appel : « oui, mais parfois c’est un peu ennuyeux car je trouve la plupart des jeunes créateurs très monotones. Ça manque de kick ». En revanche, Yanny salue l’ikat mis à l’honneur chez Dior cette année, ainsi que Chanel qui « réussit à garder l’esprit qui a fondé la marque ». « Jean-Paul Gaultier fait aussi de très belles choses. Il paraît que ça ne fonctionne pas… C’est vrai que c’est de l’art pur, pas facile à porter ! Mais j’aime beaucoup ».
Pour contacter Ibu Yanny et la rencontrer dans son atelier, n’hésitez pas à passer – comme toujours en Indonésie – par WhatsApp : +62 852 2000 9454.