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Musée - cimetière Taman Prasasti, le Père-Lachaise de Jakarta

Au cœur de Jakarta, l’ancien cimetière de Tanah Abang — devenu le musée Taman Prasasti, (le jardin des pierres gravées) — rassemble un siècle et demi d’histoires entremêlées : gouverneurs de la VOC, scientifiques, artistes, militaires, prêtres et figures nationales y sont ou y ont été enterrés. Réduit en 1977 d’environ 5,5 hectares à un peu plus d’un hectare, le site a perdu la plupart de ses dépouilles mais conserve un exceptionnel corpus de pierres tombales évoquant allégories et légendes qui permettent de découvrir des personnages fascinants et de parcourir près de 300 ans d’Histoire indonésienne. 

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Écrit par Lepetitjournal Jakarta
Publié le 2 décembre 2025, mis à jour le 12 décembre 2025

Le jardin des pierres gravées

Fondé à la fin du XVIIIᵉ siècle en dehors des murs de Batavia (ancien nom de Jakarta), le cimetière adopte le modèle du « cimetière-jardin » alors en vogue en Europe à l’image du Père-Lachaise à Paris : allées, arbres, bancs, monuments scénographiés. L’élite coloniale — majoritairement hollandaise, mais aussi belge, française ou britannique — y érige des sépultures parfois spectaculaires, souvent commandées en Europe ou aux États-Unis.
En 1977, l’urbanisation galopante bouscule le cimetière. Le terrain est amputé, les tombes brisées, des stèles sont recomposées et des dépouilles réinhumées ailleurs ou rapatriées dans leur pays d’origine. Demeure aujourd’hui, un musée à ciel ouvert qui propose une immersion dans 300 ans d’Histoire où se mêlent personnalités, légendes et anecdotes… Voici une sélection de quelques stèles qui permettent de découvrir des personnages hauts en couleurs ou ayant marqué le pays. Une balade originale et passionnante si l’on est accompagné d’un guide.

 

Herman Frederik Roll, médecin progressiste

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Stèle du docteur Herman Frederik Roll

 

Mort en 1935, le Dr Herman Frederik Roll fut médecin militaire mais surtout l’un des artisans de STOVIA, la première école de médecine ouverte aux « indigènes » jusqu’alors interdits de devenir docteurs. Progressiste, il défendit des étudiants engagés dont l’un d’eux, Soetomo deviendra une figure du syndicalisme moderne et du nationalisme indonésien. STOVIA résonne particulièrement quand on a lu l’incroyable destin du héros de la saga Buru Quartet de Pramoedya Ananta Toer. 

 

« Kapitein Jas », l’esprit qui ne bouge pas

 

Kapitein Jas
La tombe du Kapitein Jas
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Tombe la plus visitée selon les gardiens, celle attribuée au mystérieux « Kapitein Jas » (mort en 1768) serait — disent certaines sources — la seule dont la dépouille n’a jamais été déplacée et qui serait aussi la première personne à avoir été inhumée dans le cimetière peut-être même avant sa construction. D’autres y voient moins une personne qu’un lieu, souvenir d’une église (Jason Kirk) située à l’époque en dehors des remparts de Batavia où l’on inhumait les très nombreuses victimes de maladies tropicales. La croyance locale prête des vertus à cette pierre tombale, notamment pour les femmes en quête de fertilité. Ici, l’histoire documentée s’efface volontiers devant la légende.

 

Soe Hok Gie, la jeunesse en colère

 

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Stèle de l'intellectuel Soe Hok Gie

 

Jeune intellectuel d’origine sino-indonésienne universitaire précoce, Soe Hok Gie s’oppose par tribunes publiées dans la presse à Soekarno puis Soeharto et milite pour l’environnement. Il meurt à la veille de ses 27 ans, asphyxié par les vapeurs du volcan Semeru (1969). Sa pierre cite le standard de jazz Armstrong Nobody Knows the Trouble I’ve Seen — parfois attribué, à tort ou à raison (qui sait!) à Nietzsche. À la réorganisation du cimetière, sa famille aurait opté pour la crémation et la dispersion des cendres ; la stèle demeure pour honorer la mémoire d’une voix libre.

 

Miss Riboet, première voix indonésienne gravée sur un disque

 

Marie Riboet
Stèle de Miss Riboet chanteuse d'opérette et actrice indonésienne

 

Née à Sumatra au tournant du XXᵉ siècle, Miss Riboet (graphies variables) triomphe dans l’opérette et le théâtre chanté ; sa popularité lui vaut d’être présentée comme la première Indonésienne à voir sa voix gravée sur disque. Après l’occupation japonaise, elle s’oriente vers le cinéma et poursuit une carrière au long cours. Entre coupures de presse et affiches, sa tombe raconte l’âge des troupes itinérantes et du star-system naissant.

 

Un gouverneur franc-maçon

 

Franc-maçon
Stèle d'un gouverneur présentant les signes distinctifs de la franc-maçonnerie

 

Au fond du cimetière, une série de pierres tombales de personnes initialement enterrées dans l’église de Kota Tua (à l’emplacement du musée actuel des wayang) mais déplacées ici. Parmi elles, la numéro 28, celle d’un ancien gouverneur qui était franc-maçon. Comment le sait-on ? Au regard des éléments qui ornent la pierre tombale : tête de mort, oeil de poisson, sablier… La franc-maçonnerie s'installe dans l'archipel en même temps que les Hollandais, se développe dans l'élite coloniale et petit à petit également dans l'élite javanaise. À l’époque cela se passe bien mais avec la montée du nationalisme et l’indépendance, les loges deviennent suspectes notamment car elles développent des idées venues de l’extérieur. En 1961-62, Soekarno fait donc interdire la franc-maçonnerie. Selon certaines sources, il existerait, malgré tout une centaine de francs-maçons, toujours aujourd'hui, mais qui sont inscrits dans des loges à l'extérieur du pays. 

Le savant Brandes et le salut d’un manuscrit capital sur l’Histoire de Java

 

Brandes
Stèle du Dr Brandes, archéologue et spécialiste des langues anciennes

 

Le Dr Brandes, archéologue et spécialiste des langues anciennes, participe à l’expédition militaire de conquête de Lombok dans les années 1890. Au milieu des combats, il sauve des flammes une partie de la bibliothèque royale, dont l’inestimable Nagarakertagama, poème-chronique du XIVᵉ siècle décrivant l’empire de Majapahit. Le manuscrit, rapatrié pour étude, deviendra une source capitale de l’histoire javanaise. Sur sa tombe, une iconographie locale rare de type indo-bouddhiste : niches à la manière de Borobudur et allusions au linga, symbole de fécondité et de prospérité.

 

Le père Van der Grinten, charité en acte

 

Grinten
Monument dédié au père lazariste Van der Grinten

 

Prêtre lazariste (Saint-Vincent-de-Paul) et vicaire de Batavia, Van der Grinten se consacre aux malades et aux orphelins — nombreux dans une ville frappée par les épidémies et les filiations non reconnues. Figure aujourd’hui encore respectée sur les blogs indonésiens, il incarne pour de jeunes visiteurs une possible « figure positive » malgré son passé colonial.

Le mur d’infamie de Pieter Erberveld (1722)

 

Herberveld,
Mémoriel dédié à Pieter Erberveld

 

Ici, ce n’est pas une tombe mais un mur mémoriel surmonté d’un crâne en plâtre noir transpercé par une lance ! Diantre ! Un totem lugubre censé représenter Pieter Erberveld. Métis germano-javanais devenu riche propriétaire terrien, Pieter est arrêté avec une partie des hommes qui le soutiennent et exécuté atrocement par la VOC qui cherche à cette époque à récupérer des terres. Les autorités de l’époque veulent faire de sa mort un exemple. Devant sa propriété, elles dressent un mur porteur d’une inscription bilingue (javanais et néerlandais) pour être comprise de tous : « À la mémoire détestée du traître puni Peter Herberveld, personne ne sera autorisé à construire, à utiliser ou à planter sur cette terre maintenant et à l’avenir ». Détruit par les Japonais en 1942, le mur a été reconstruit ; une plaque présentée comme l’originale est conservée au musée d’Histoire de Jakarta.

Informations pratiques

  • Horaires d'ouverture : Mardi au dimanche, 9h00 à 15h00. Fermé le lundi.
  • Tarif : Environ 5 000 IDR pour les adultes, avec des tarifs réduits pour les étudiants (environ 3 000 IDR) et les enfants (environ 2 000 IDR). 
  • Jl. Tanah Abang I No.1, Petojo Sel., Kecamatan Gambir, Kota Jakarta Pusat, Daerah Khusus Ibukota Jakarta 10160
  • Tel +62213854060
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Publié le 11 décembre 2025, mis à jour le 12 décembre 2025
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