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Bali, cure de jouvence pour Charlie Chaplin

CHAPLIN IN BALI © Nocturnes Productions 2017 [41] CHAPLIN IN BALI © Nocturnes Productions 2017 [41]
CHAPLIN IN BALI © Nocturnes Productions 2017 [41]
Écrit par Lucie Pech
Publié le 29 septembre 2017, mis à jour le 1 novembre 2017

Le documentaire Chaplin in Bali du réalisateur Français Raphaël Millet a été projeté pour la 1ère fois le 24 septembre dernier en ouverture de la Balinale, le festival du film de Bali. Subtile mariage d’images d’archives et de prises de vues actuelles le film apporte un éclairage sur le séjour de Charles Chaplin qui trouva refuge à Bali en 1932. En pleine période de doute quant à ses capacités d’adaptation au tout nouveau cinéma parlant l'artiste recherche la paix et la sérénité. L’histoire nous montrera que son passage sur l’île des Dieux aura un effet extraordinaire sur sa créativité et sa carrière cinématographique. 

Le réalisateur Raphaël Millet répond aux questions de lepetitjournal de Jakarta.

Raphaël Millet qui êtes-vous et quel est votre parcours dans le monde du cinéma ?

J'ai, d'une certaine manière, grandi à la Cinémathèque française et dans les petites salles de cinéma du Quartier Latin à Paris, y passant de longues heures, notamment lorsque je séchais les cours pour ne pas rater une séance "importante"...  Afin de concilier études et passion cinéphile, et trouver une raison légitime d'aller de plus en plus au cinéma, j'ai, après des études de science politique, pris le chemin des études cinématographiques à La Sorbonne Nouvelle pour un DEA sur le cinéma africain. Cela m'a permis d'entrer ensuite immédiatement dans l'industrie du cinéma et de la télévision où j'ai débuté professionnellement en 1998, tout d'abord en travaillant au Centre national du cinéma (CNC), avant de rejoindre France Télévisions, puis le Ministère de l'outre-mer en tant que conseiller technique en charge de la culture et du cinéma. C'est en 2002 que je me suis installé pour la première fois en Asie du Sud-Est, en prenant le poste d'attaché culturel et audiovisuel au sein de l'Ambassade de France à Singapour, jusqu'en 2006. 

Tout au long de ces années, j'ai aussi mené en parallèle une activité de pur cinéphile, enseignant le cinéma à La Sorbonne Nouvelle, écrivant des articles pour des revues telles que Positif et Trafic, et rédigeant des ouvrages sur le cinéma (comme Cinémas de la Méditerranée, cinémas de la Mélancolie en 2002, Le Cinéma de Singapour en 2004 et - en anglais - Singapore Cinema en 2006). 

Puis en 2007, j'ai décidé qu'il était temps d'enfin passer du côté de la création proprement dite, et j'ai créé, avec Olivier Bohler, un ami tout aussi cinéphile que moi, la société Nocturnes Productions, afin de produire essentiellement des documentaires consacrés à l'histoire du cinéma. Notre premier documentaire a été fini dès 2008. Parfois Olivier est le réalisateur, parfois c'est moi. Nous faisons cela à tour de rôle, en fonction de nos propres centres d'intérêt. Ainsi avons-nous fait des documentaires consacrés à Jean-Pierre Melville, Pierre Schoendoerffer (parlant donc un peu du Vietnam), Jean-Luc Godard, Gaston Méliès (qui d'ailleurs était passé par l'Indonésie en 1913), etc. Le film sur Chaplin, dont la première vient d'avoir lieu à la Balinale, est mon quatrième long métrage documentaire en tant que réalisateur, et le neuvième long métrage documentaire de notre société Nocturnes Productions.

CHAPLIN IN BALI©Nocturnes Production 2017 [21]
CHAPLIN IN BALI ©Nocturnes Productions 2017[21]

Comment avez-vous eu connaissance de cette courte période de la vie de Chaplin sur l’île de Bali ?

Je me suis tout d'abord intéressé à l'incontournable Walter Spies (incontournable quand il s'agit de Bali). J'ai alors lu que, parmi les visiteurs occidentaux privilégiés que Spies avait accueillis à Bali, se trouvait Charles Chaplin. Au début, j'ai pensé que cela n'était sans doute qu'anecdotique dans la vie de Chaplin, car les biographies de celui-ci que j'avais lues ne mentionnaient jamais, ou alors seulement de manière très allusive, ses voyages balinais. Et puis un jour, j'ai découvert que Chaplin avait, pendant son premier voyage balinais de 1932, filmé sur l'île. Là, je me suis dit que cela devenait diablement intéressant. Chaplin documentariste ? J'ai réussi à voir ici ou là sur Internet des fragments de ce qu'il avait tourné à Bali, et je me suis aperçu que ses images étaient d'une part d'un grand intérêt documentaire, et d'autre part, pour certaines, très bien filmées, montrant notamment les danses balinaises avec grande proximité, chose rare à l'époque. J'ai alors senti qu'il y avait là un vrai sujet, qui méritait d'être traité. 

La recherche pour mon film documentaire a ensuite véritablement débuté en 2013, lorsque j'ai contacté Mme Kate Guyonvarch, directrice exécutive de l'Association Chaplin, qui se trouve, chance pour moi, basée à Paris. J'ai dès juillet 2013  donné une conférence au Festival du film de Bologne "Cinema Ritrovato", en compagnie de Kate Guyonvarch justement, afin de présenter de manière détaillée les archives balinaises de Chaplin à un public très cinéphile, largement composé de spécialistes en cinéma.

A partir de là, la recherche a progressé par petits pas, notamment au cours d'une série de voyages à Bali pour montrer ces images à des Balinais, et aussi retrouver les lieux où Chaplin s'était rendu et où il avait filmé. Grâce à un vieux monsieur Balinais, Pak Muning, spécialiste d'art balinais travaillant depuis de longues années au musée Puri Lukisan à Ubud, il a été possible d'identifier que certaines images, notamment celles de la leçon de danse Legong Kupu-Kupu, avaient été tournées dans le temple Pura Samuan Tiga dans le village de Bedulu, à Gianyar. Le lieu existe encore, quasiment à l'identique ! Je le montre d'ailleurs dans le film.

CHAPLIN IN BALI © Nocturnes Productions 2017 [6]
©CHAPLIN IN BALI © Nocturnes Productions 2017 [6]

Vous qui connaissez bien Bali expliquez-nous ce qui a pu toucher le déjà mondialement célèbre Charles Chaplin durant son séjour sur l'île ?

Depuis mon premier séjour à Bali en 2004, je me suis rendu dans l'île sans doute une bonne vingtaine de fois. Comme beaucoup de visiteurs occidentaux, je me suis laissé prendre par le charme si spécial de cette île. Son histoire m'a aussi rapidement fasciné, et j'ai ressenti un grand intérêt pour la période exceptionnellement créative qu'ont été les années 1920 et 1930. Ce film m'a offert l’occasion de voyager dans le passé, grâce aux images d'archives de Chaplin. C'est pourquoi ce documentaire est avant tout composé de ces images d'archives tournées en 1932 à Bali par Charles Chaplin, tout en y mêlant des images contemporaines tournées par moi-même à Bali en 2016. 

L'idée était de retracer le voyage de 1932 fait par Chaplin en compagnie de son frère Sydney, tout en créant un lien avec le présent balinais. Le cinéma a cette magie, grâce aux archives, d'offrir une sorte de voyage dans le temps, ou, ici, de voyage dans la passé, nous ramenant en plein âge d'or de la créativité artistique à Bali, lorsque l'île, récemment conquise par les Hollandais, cherchait à se redéfinir en recentrant son identité sur les éléments particulièrement forts de sa culture, à savoir la danse, le théâtre, la musique, etc. De nombreux artistes balinais (comme Mario, Limbak, Limpad, etc.) se sont impliqués dans ce mouvement, souvent en collaboration avec des artistes occidentaux qui, fascinés par Bali, s'y étaient installés dès la fin des années 1920 (comme Walter Spies ou Rudolf Bonnet). D'une certaine manière, Chaplin, lors de son bref passage de quelques semaines à Bali au printemps 1932, a été un témoin privilégié de cela.

Mais mon intention était aussi et surtout de comprendre pourquoi Bali avait fait si forte impression sur Charles Chaplin, un homme qui était alors au sommet de sa célébrité et de son art, qui, sur le plan artistique avait vu et accompli des tas de choses. Il avait donc fort peu de chance d'être aisément impressionné. Et pourtant, il le fut, et il le fut de manière plus importante qu'on aurait pu le croire, par Bali, ses habitants et sa culture. Nous le sentons tous, lorsque nous venons à Bali pour la première fois, l'île a quelque chose de spécial et fait souvent forte impression Je voulais revisiter ce "phénomène Bali", ce que j'appelle parfois le "Bali Special Effect", mais je voulais le faire à travers les yeux de Chaplin, et qui plus est à une époque désormais fort loin de nous, où Bali commençait seulement à s'ouvrir au monde occidental, et où cette impression devait être encore bien plus forte. 

" Ici, je crois que je pourrais m'installer pour toujours. Et comme je me sens loin du reste du monde. L'Europe, l'Amérique semblent irréelles."

Charlie Chaplin : extrait du film Chaplin in Bali

Mais en même temps, si je souhaitais offrir au spectateur l'occasion d'un voyage dans le temps à forte charge artistique et exotique, je souhaitais ne pas le faire de manière naïve, car nous savons tous que n'importe quel prétendu "paradis-sur-terre" a aussi sa face sombre, parfois très sombre. Les Balinais le savent fort bien. Les Occidentaux mettent parfois du temps à s'en apercevoir. J'étais donc ravi de voir que Chaplin lui-même n'avait pas été naïf non plus et avait notamment perçu les méfaits du colonialisme ainsi que les conséquences les plus négatives de l'occidentalisation progressive de l'île qui débutait alors. En cela, je suis en accord avec sa vision des choses. Bali, au moment où son image paradisiaque se cristallisait dans les esprits, changeait déjà. Mais c'est le propre d'une culture vivante que de changer toujours et toujours, s'adaptant à son environnement non seulement local mais international. C'est tout cela qui m'a fortement intéressé dans la manière que Chaplin a eu d'entrer en contact avec le monde balinais, même si ce fut de façon relativement brève."

Fin de la 1ère partie, suite et  fin de notre entretien avec Raphaël Millet dans notre édition de mardi 3 octobre

 

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Lucie pech
Publié le 29 septembre 2017, mis à jour le 1 novembre 2017