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Le club lecture de l'IHS francophone nous partage ses coups de coeur de l'année 2022

Les lectures de l'IHS francophone Les lectures de l'IHS francophone
Les lectures de l'IHS francophone
Écrit par Cécile Collineau
Publié le 14 décembre 2022, mis à jour le 19 janvier 2023

L’association culturelle Indonesian Heritage Society a une section francophone très active. Son club de lecture, composé de membres assidues et passionnées, partage avec les lecteurs du Petit Journal Jakarta les livres qu’elles ont lus en 2022.

 

Les guerriers de l’arc en ciel de l’auteur indonésien Andrea Hirata

Les guerriers de l'arc en ciel - Andrea Hirata

 

Dans ce roman autobiographique, l’auteur raconte son enfance dans les années 70 dans l'île de Belitung et l’éducation qu’il a reçue grâce au dévouement des instituteurs d’une école de la Muhammadiyah, qui ont consacré leur carrière à l'enseignement des enfants pauvres. Notre discussion fut riche en échanges sur l’objectif de l’éducation : facteur d’ascenseur social ou plutôt ouverture vers un monde des possibles, ou pas ? Nous avons eu le plaisir d’accueillir virtuellement Stéphane Villière, qui connaît bien Belitung puisqu’il y vit depuis de nombreuses années : il nous a notamment appris que les mines d’étain, notamment celle de PT Timah évoquée dans le livre, sont toujours en activité. Mais surtout, il nous a dit que Ibu Muslimah, l’institutrice tellement attachante du livre, est toujours en vie et est devenue une célébrité locale. Ce récit est rafraîchissant et sincère, empreint d’humilité et d’espoir.

 

L'archipel des ombres de Bruno Philip

L'archipel des ombres - Bruno Philip

 

L’archipel des ombres du journaliste français Bruno Philip, que nous avions reçu pour une conférence zoom il y a quelques semaines. Celle-ci avait été complétée par une autre conférence zoom avec Gilles Sabrié, le photographe qui l’avait accompagné dans ses pérégrinations. Dans ce livre mi-récit de voyage, mi-série de reportages, l’auteur nous emmène avec lui dans sa besace de reporter-baroudeur à la découverte des recoins moins connus de l'Indonésie et de certains de ses habitants haut en couleur. Teinté à la fois de nostalgie et d’un regard aiguisé, assez introspectif, ce récit ne nous a pas laissés indifférentes : certaines de nous ont aimé, d’autre moins, mais c’est ce qui a fait tout l’intérêt de notre discussion. Nous avons parlé d’éthique du journalisme, de l’analyse d’un reporter de passage par rapport à celle de quelqu’un qui vit ici depuis longtemps, des affrontements ethniques et religieux qu’a connus ce pays. Nous avons aimé les éclairages historiques qu’égrenne Bruno Philip au fil des pages et les portraits touchants des gens qu’il rencontre. Au lieu de le lire d’une seule traite, ce livre s’appréciera peut-être plus en le picorant par petite dose, avec pourquoi pas un whisky 20 ans d’âge à portée de main.

 

Les Seigneurs du Thé de Hella Haasse, auteur néerlandaise qui a grandi sur l'île de Java

Les seigneurs des thés

 

Le roman, écrit à partir de lettres retrouvées par l'auteur, retrace la vie de Rudolf Kerkhoven, jeune Néerlandais arrivant, dès sa sortie d'études dans les années 1870, sur l'île de Java, afin d'ériger et de diriger une plantation de thés. Sa vie de colons est retracée tout au long du roman dans lequel on se reconnaît encore aujourd'hui, en qualité d'expatriés. Rudolf s'inspire et se base sur les expériences des membres de sa famille déjà installés à Batavia et dans sa région. Il est précurseur pour les techniques de culture. Il est travailleur et veut à tout prix montrer à ses parents qu'il peut réussir. Son orgueil le pousse à travailler sans cesse pour faire fortune tout en gardant une certaine distance avec les habitants locaux. Il en oublie cependant d'être heureux et ne se rend pas compte de la détresse et du désespoir de sa femme. Cette dernière est née et a grandi à Batavia dans une famille bourgeoise et rêve de mondanités, ce qui ne lui est pas possible depuis sa plantation, isolée et éloignée de tout. À la fin de sa vie, après avoir perdu de nombreux proches, il prend conscience que sa soif de réussite l'a fait passer à côté de nombreuses choses. Contrairement à une majorité de Néerlandais venus faire fortune dans les Indes orientales et retournant chez eux pour la fin de leur vie, Rudolf souhaite être enterré dans le seul endroit où il se sent bien et chez lui.  Nos échanges ont été riches sur le but des colonisateurs, la hiérarchie dans les familles et les places accordées à chacun et l'histoire de la région. 

 

L’anthropologie n’est pas un sport dangereux de Nigel Barley

L’anthropologie n’est pas un sport dangereux

 

En 1985, Nigel Barley se rend en pays Toraja, dans le sud du Sulawesi. Le chemin est ardu, les embûches nombreuses, les chevaux peu coopératifs, les moteurs des camions récalcitrants, mais les rencontres sont riches en chaleur humaine. Arrivé à destination, il plonge dans la culture Toraja avec son œil d’ethnographe toujours teinté d’humour très anglais (un groupe de touristes français se prend quelques coups de griffe ; ils ne seront pas les seuls). Il fait la connaissance de 4 charpentiers spécialisés dans la construction des célèbres tongkonan, ces maisons typiques Toraja au faîte incurvé. Il les invite pour passer 4 mois à Londres afin d’édifier un grenier à riz dans le cœur du British Museum. C’est alors l’occasion pour ces hommes Toraja de découvrir que ces Anglais sont tout de même bien exotiques ! Nous avons aimé ce récit de voyage plein de bonne humeur. Même si les traits sont parfois un peu exagérés et le ton humoristique manquant de finesse (peut-être lié à la traduction en français ?), l’auteur parvient tout à fait à faire ressortir l’essence même de la culture Toraja.

 

Tigre ! Tigre !, le seul roman traduit en français de Mochtar Lubis, un des auteurs indonésiens phares du 20ème siècle

Tigre tigre

 

Sept villageois partent en expédition dans la jungle de Sumatra pour récolter de la résine, chacun portant dans sa hotte son histoire personnelle, ses désirs et ses secrets. Un tigre affamé les épie à travers la forêt luxuriante. Qui périra le premier sous ses crocs ? Celui a qui a trompé sa jeune fiancée ? Celui qui a volé le buffle du voisin ? Celui qui a tué son propre camarade de combat ? Celui qui a tardé à avouer ses péchés au reste du groupe ? Tétanisés par la peur, ces hommes se jaugent ; la lâcheté des uns, le courage des autres… Le guérisseur du village, d’ordinaire si respecté, est-il à la hauteur ou bien un imposteur qui chute de son piédestal ? Cette fable aborde les thèmes de la domination d’un leader charismatique, de la droiture morale, de la religion, de l’engagement et la prise de position. Au fond, on a tous un tigre intérieur à combattre. L’avant-propos du traducteur Etienne Naveau et la préface de l’auteur nous donnent une précieuse grille de lecture : la critique d’un président Sukarno en fin de cycle, aveuglé par son aura, devenu tyrannique par la crainte de perdre son pouvoir. C’est à la fois un roman d’aventures, roman d’apprentissage et roman à clef.

 

La guerre de la noix muscade, livre écrit par l’historien anglais Giles Milton

La guerre de la noix muscade

 

Solidement documentée, cette narration historique au style fluide, enlevé et imagé couvre la guerre commerciale menée par les Britanniques et les Hollandais pour contrôler le monopole des épices dans l’archipel des Moluques au 17e siècle. Quelle époque tout de même ! Des aventuriers partant à l'autre bout du monde, à plus d’une année de bateau, dont très peu revenaient (les pertes humaines parmi les marins pouvaient atteindre jusqu’aux deux tiers : maladies, naufrages, attaques de pirates… La moitié des navires chaviraient). Les chanceux qui rentraient en Europe, les cales remplies de muscade, de clous de girofle, de poivre, de cannelle, atteignaient des niveaux de richesse à la hauteur des risques encourus. Mais que de violence, de massacres, entre Européens d’une part et surtout envers les populations locales. Même en remettant certains épisodes dans le contexte de leur époque, difficile d’excuser les scènes de tortures ou les génocides et les populations décimées. Hormis quelques longueurs au début de ce récit, nous avons trouvé ce livre essentiel pour comprendre l’origine de l’histoire coloniale de l’Indonésie par les Hollandais.

 

La carte du monde invisible de l’auteur malaisien Tash Aw.

La carte du monde invisible

 

Indonésie, 1964 : " l'année de tous les dangers " - La vie d'Adam, un jeune Indonésien de 16 ans, bascule le jour où son père adoptif, Karl, peintre d'origine hollandaise, est kidnappé chez lui sur une île idyllique à l’est de l’Indonésie. Adam, déjà hanté par le souvenir de son frère Johan, dont il a été séparé à l'orphelinat, se rend à Jakarta pour demander l’aide de Margaret, une anthropologue américaine qui fut le grand amour de jeunesse de Karl. À l'instar de ce dernier, elle se sent aussi chez elle dans ce pays qui prend feu petit-à-petit. Sukarno, à la fois courtisé par les Soviétiques et les Américains, et sentant le vent tourner, pourrait-il les aider ? Johan en Malaisie et Adam en Indonésie se retrouveront-ils un jour ?

Le thème majeur est celui de la séparation : celle de deux frères orphelins et celle de deux pays, la Malaisie et l’Indonésie. Mais aussi la mémoire et des non-dits. S’il n’évite pas certains clichés, le livre nous a plongées au cœur de cette période trouble. Notre discussion a été enrichie par de courts exposés sur l’adoption en Indonésie, l’histoire de la Malaisie, la période violente de la Konfrontasi, la présence des États-Unis et de la CIA au moment de la guerre froide et la politique transmigratoire en Indonésie.