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Les riches heures de la photographie stambouliote (2ème partie)

La Yeni Cami - circa 1885La Yeni Cami - circa 1885
La Yeni Cami à Istanbul (circa 1885)
Écrit par Chantal et Jacques Périn
Publié le 12 novembre 2021

(Suite de la 1ère partie)

Déclarée officiellement inventée en 1839, la Photographie connaît à partir de 1850, un essor grandissant avec l’évolution rapide des procédés permettant d’obtenir plus aisément les résultats espérés.

Très rapidement, quelques voyageurs aisés, cultivés et aventuriers entreprennent de voyager autour de la Méditerranée afin de rapporter des images présentant ce que Nicéphore Niepce, inventeur de la Photographie, appelait "Le strict reflet de la réalité".

Bien qu’elle soit plus au Nord, sur la mer Noire, c’est, dans un premier temps, la Crimée et la guerre qui s’y déroule (1854-1855), qui attirent certains photographes-reporters désireux de capturer des images inédites et spectaculaires.

Bien évidemment, tous ne se dirigent pas vers les lieux de conflit et choisissent des destinations plus calmes et plus exotiques.

Quand la Photographie immortalise Constantinople

Dans cette course à la découverte, il est évident que les ports tiennent les places privilégiées, le bateau étant encore le moyen le plus largement utilisé pour le transport des biens et des personnes.

Ainsi, Constantinople, Smyrne, Alexandrette, Beyrouth, Alexandrie et tous les ports d’Afrique du Nord profitent-ils de cette aubaine et sont, de fait, la destination préférentielle des candidats à l’expatriation.

Même si quelques curieux entreprennent le voyage ’’juste pour voir’’, et que certains aventuriers pensent y trouver quelques bonnes fortunes, les Occidentaux viennent majoritairement pour travailler et beaucoup voient alors l’Orient comme le moyen rapide de s’enrichir.

D’autres, plus romantiques, sont attirés par le mystère fantasmé que dégagent ces contrées dont les rares voyageurs décrivent les étrangetés et les beautés. Peintres et écrivains font bien évidemment partie de ceux-là.

Il est vrai que tout y est différent : population, climat, architecture, habitudes de vie, religion…

Ce n’est pas à Paris ou à Londres qu’on peut voir les marchands de foie de mouton se promener sur les trottoirs et rares sont les barbiers à exercer encore en plein air. Les chiens ne sont pas errants mais capturés et envoyés à la fourrière, on ne voit pas de chameaux ou de dromadaires dans les rues ni dans les champs, les ours ne dansent pas au son des tambourins sur les places publiques et l’eau courante ne se déplace pas grâce aux porteurs mais monte seule à tous les étages.

Le moindre détail de la vie quotidienne devient sujet d’étonnement, commentaire et illustration.

 

photographie Istanbul histoire
Caravane entrant par la muraille de Théodose II - circa 1880

 

Dans les principales villes du bassin méditerranéen, on peut estimer à une cinquantaine le nombre d’ateliers et de studios photographiques importants qui voient le jour dans la deuxième moitié du XIXème siècle et dans la première décennie du XXème.

D’après les éléments que nous avons pu recueillir quant aux dates de création des ateliers photographiques, on constate que la Turquie, et plus particulièrement Constantinople, est l’une des destinations qui bénéficie très tôt de l’intérêt des photographes.

Aux premières heures de la photographie, elle reçoit la visite d’opérateurs qui suivent les ambassades, les militaires, les ethnologues et les archéologues.

Parmi ces chasseurs d’images, la majorité d’entre eux ne fait que passer en Turquie, soit à l’occasion d’un voyage d’agrément ou d’une mission commanditée, soit pour aller ouvrir atelier dans un autre pays du bassin méditerranéen.

Vers un âge d’or de la photographie à Constantinople

Très rapidement, une vingtaine de studios photographiques ouvrent à Constantinople et se spécialisent dans le portrait bourgeois, les photos des célébrités du théâtre ou du spectacle ou encore dans le secteur lucratif de la photographie militaire.

Dans les années 1860, sous le règne du Sultan Abdulaziz (1861-1876) l’Empire ottoman prend conscience de l’importance de la photographie et les écoles militaires inscrivent son enseignement au programme.

Cette décision joue un rôle déterminant auprès des musulmans, généralement réfractaires à la représentation humaine, quant à l’utilité que présente cet art.

Plusieurs photographes militaires comme le lieutenant Hüsnü (1844-1896), Servili Ahmed Emin (1845-1892), Üsküdarli Ali Sami (1867-1937) ou encore l’amiral Ali Sami, le colonel Ali Riza, Hüseyin Zekai Pasa (1860-1919) seront issus de ces écoles.

Le début des années 1850 marque l’âge d’or de la photographie à Constantinople. Les studios de prises de vues et les ateliers de développement sont créés dans le quartier de Beyoglu, à l’ombre de la tour de Galata et plus particulièrement dans la Grande Rue de Péra (aujourd’hui Istiklâl Caddesi).

 

histoire photographie Istanbul

 

Bordée d’immeubles "alafranga", (à la manière franque, occidentale) cet axe relie la Sishane Meydani, actuelle sortie haute du "Tünel", à la place de Taksim.

Le Tünel, que les habitants appellent familièrement "le trou de souris", bien qu’il soit en réalité un funiculaire, est considéré comme l’un des plus anciens métros du monde après ceux de Londres (1863), New York (1868) et Lyon (en activité de1862 à 1967). C’est ce dernier qui inspira l’ingénieur civil français Eugène Henri Gavaud et lui donna l’idée de la réalisation de cette courte ligne (environ 600 mètres) qui prit son service officiel le 18 janvier 1875.

L’intérêt que portent les photographes aux quartiers de Galata et Péra n’est pas le fruit du hasard. Dès le XIIIème siècle, les occidentaux s’intéressent à ce site où les Génois avaient construit la tour maintes fois remaniée que l’on peut voir aujourd’hui et au sommet de laquelle on jouit d’un magnifique panorama sur la Corne d’Or, la rive orientale du Bosphore et sur les quartiers historiques.

Aussi, tout naturellement, lorsque Français, Italiens, Anglais, Allemands, Néerlandais… viennent s’installer à Constantinople, c’est dans ce périmètre qu’ils créent leurs ambassades, écoles, hôtels, théâtres, cafés, passages et commerces.

En quelques années, une véritable ville européenne fait face au "Stamboul" turc dont l’Européen ne connaît souvent que la gare de Sirkeci, terminus de l’Orient Express.

Bien que reliés par les quelque cinq cents mètres du Pont de Galata unissant depuis 1845 les deux côtes de la Corne d’Or, ces deux quartiers sont comme deux villes distinctes et chacun ne vient chez l’autre que par nécessité ou curiosité.

Cette réserve réciproque, si elle ne favorise pas les échanges humains, préserve au moins l’identité culturelle et architecturale de la ville ancienne, pour le plus grand bonheur des amateurs d’exotisme que sont les photographes nouvellement installés.

 

Grand Bazar Istanbul photo histoire
Le Grand Bazar - circa 1885

 

Disparition tragique de nombreux studios dans le "Grand Incendie"

Rappelons aussi qu’un nombre important de studios disparaitra lors du dramatique incendie de décembre 1870. En quelques heures, la quasi totalité du quartier de Péra où se trouve un nombre impressionnant d’ateliers partira en cendres. Ceci justifiera le nom de "Grand Incendie" donné à cet événement dans les livres d’histoire.

A l’issue de ce drame, certains photographes ruinés ne pourront reprendre une activité indépendante et proposeront leurs services à leurs confrères concurrents, d’autres quitteront Constantinople pour aller ouvrir leur atelier dans une autre ville ou un autre pays.

Comme vu précédemment, si, dans un premier temps les chasseurs d’images privilégient la capture des scènes de rue et des lieux historiques, la clientèle se faisant de plus en plus intéressée par les portraits individuels ou de famille, certains studios ne se consacrent plus qu’à cette activité. D’autres ateliers se spécialisent en créant de toutes pièces scènes et décors imaginaires destinés à satisfaire les visiteurs de passage désireux d’emporter en Europe un peu de leur Orient fantasmé.

 

Histoire photographie Istanbul
Femme turque dans son salon - photographie composée en studio - circa 1885

 

Chantal et Jacques Périn
Publié le 12 novembre 2021, mis à jour le 12 novembre 2021

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