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Dans les coulisses de Médecins du Monde en Turquie

Médecins du Monde en Turquie DDD Médecins du Monde en Turquie DDD
@DDD Turquie - Une consultation dans une des facilités médicales de DDD, nord-ouest syrien
Écrit par Sandro Basili
Publié le 31 mars 2021, mis à jour le 8 mars 2022

Cela fait maintenant plus de dix ans que le conflit en Syrie a débuté. A cette occasion, lepetitjournal.com Istanbul s’est entretenu avec Hakan Bilgin et Selma Masic, le Président et la Directrice générale adjointe des programmes de Dünya Doktorları Derneği, sur la question des réfugiés en Turquie.

 

 

Dünya Doktorları Derneği (DDD) est une ONG turque membre du réseau Médecins du Monde (MdM) qui depuis 2015 œuvre en Turquie et en Syrie pour offrir un accès gratuit aux soins pour les réfugiés et les populations déplacées à l’intérieur du pays. Avec plus de 3,6 millions de personnes enregistrées, la Turquie accueille actuellement la plus grande population de réfugiés au monde.

Les débuts de Médecins du monde en Turquie

C’est en 2011, au début du printemps arabe, que Médecins du monde France arrive pour fournir un soutien transfrontalier aux populations syriennes depuis la Turquie. Selon Hakan, présent sur place à cette époque, il y avait "énormément d’ONG et de staff international" et le manque de régulation donnait lieu à "une organisation chaotique".

Après l’attentat de Reyhanli en 2013, l’arrivée de réfugiés s’intensifie et la Turquie, pour des raisons de sécurité, renforce ses frontières, mais accentue aussi le contrôle sur les ONG.

Au moment de l’implantation de DDD en 2015, la population de réfugiés en Turquie était estimée entre 300 000 et 400 000 personnes. L’attention de la communauté internationale et des bailleurs de fonds était donc davantage tournée vers l’intérieur de la Syrie et vers le Liban, qui accueillait à l’époque le double de réfugiés.

Personne n’imaginait qu’il pourrait y avoir autant de monde qui passerait en Turquie

Au sommet de la crise, alors que les combats s’intensifient à l’intérieur de la Syrie, les populations n’ont pas d’autres choix que de fuir vers la Turquie. En très peu de temps, le territoire passe de 300 000-400 000 réfugiés à 3,5 millions, avec l’arrivée la plus dense lors des combats d’Alep fin 2015.

Des conséquences pour la Turquie

Des conséquences juridiques et légales découlent de cette crise, notamment la loi sur les étrangers et la protection internationale. "Énormément de politiques exemplaires au niveau social et humanitaire ont été mises en place par rapport à la prise en charge des réfugiés syriens", souligne Hakan Bilgin, ajoutant que celles-ci "sont maintenant implémentées dans d’autres pays, étudiées et prises en exemple". 

Par rapport à une Turquie très décriée à l’international, Hakan tient à mettre en avant la façon dont ce pays a réussi à gérer ce flot de 4 millions d’individus en deux ans. Dans un premier temps, "l’infrastructure en place avec une capacité d’absorption assez importante a été d’une grande aide dans la prise en charge d’urgence des réfugiés syriens". Il souligne aussi les bénéfices de la décision des autorités de "ne pas garder les gens dans des camps" et de "les laisser s’intégrer dans les villes en leur apportant une aide en dehors des camps".

"La Turquie, aujourd’hui, n’est pas seulement le pays qui héberge le nombre de réfugiés le plus important au monde, c’est que quand vous regardez en combien de temps ils ont dû faire face à cette situation, c’est quelque chose d’incroyable".

Le problème des réfugiés non enregistrés

C’est entre 300 000 et 500 000 réfugiés "en dehors du système et qui ont besoin d’une assistance forte, mais il n’est pas possible de la leur donner car même les bailleurs de fonds ne les couvrent pas".

Il y a un manque de possibilité au niveau des réfugiés non enregistrés, mais aussi des réfugiés non-syriens "qui n’ont pas le même statut ou les mêmes droits" et "qui ne bénéficient pas des mêmes aides dans les hôpitaux".

La question de la pandémie de Covid-19

La pandémie, compliquant l’accès aux soins pour les bénéficiaires et les travailleurs, eut un réel impact au niveau mental et psychologique sur les individus suivis par DDD.

Concernant la vaccination, les réfugiés enregistrés entrent dans le plan de vaccination du gouvernement, et seront vaccinés au même titre que les nationaux turcs. Mais une question se pose toujours concernant ceux qui ne sont pas enregistrés.

Le gouvernement syrien faisant, lui, partie de l’initiative COVAX, initiative ayant pour but d’assurer un accès équitable à la vaccination contre la COVID-19, bénéficie donc d’un approvisionnement de vaccins au sein du pays. Mais le nombre de vaccins pour l’instant délivré est dérisoire comparé à la population encore présente en Syrie notamment dans le nord-ouest, zone d’opposition au gouvernement actuel. Selon les chiffres de l’OMS, la distribution du vaccin dans le nord-ouest syrien est organisée en deux phases ; lors de la première phase, 60 000 personnes sont bénéficiaires (agents de santé, agents qui travaillent dans des ONG, enseignants, imams, barbiers et travailleurs de la restauration), lors de la deuxième phase, 100 000 bénéficiaires seront vaccinés, les personnes âgées (plus de 70 ans) en priorité, puis les personnes qui présentent certaines comorbidités.

 

Médecins du monde Idlib Turquie ONG
Dans les facilités médicales de DDD, nord-ouest syrien

 

La santé mentale, une urgence de second plan ?

Financé par ECHO, un service de la Commission européenne chargé de l’aide humanitaire et de la protection civile à l’échelle internationale, DDD est actuellement sur la fin d’un projet qui "visait notamment à soutenir à Istanbul, à Izmir et à Antakya des réfugiés syriens, principalement dans une réponse au soutien psycho-social et de santé mentale".

Le soutien psycho-social, soulevant toujours l’intérêt des bailleurs de fonds, va continuer mais un manque va se créer au niveau du soutien à la santé mentale. Une fois le projet terminé, une partie des patients suivis par DDD à ce niveau seront repris par le ministère de la Santé turc, mais les autorités ont déjà indiqué avoir une capacité d'accueil limitée.

"Ces cas-là vont être perdus et personne ne va pouvoir les reprendre pour faire du suivi" nous dit Selma Masic, et pour elle aucune solution ne semble se profiler car "aucune ONG n’est capable d’obtenir un financement pour pouvoir subvenir aux besoins de ces cas-là".

Pour les bailleurs de fonds, la question de la santé mentale ne semble plus être une priorité mais pour DDD cela constitue "la base du problème".

 

 

La solution repose, selon Hakan Bilgin, sur ce soutien préventif : "Si on veut prévenir les violences, les perturbations, on doit d’abord passer par une prévention de ces risques-là et travailler en amont, sur les enfants notamment". 

Il met cet aspect du soin en perspective avec les problèmes qui ont pu surgir en Europe : "S'ils sont instables mentalement, comment ils vont pouvoir s’intégrer d’une manière saine, dans la société, en arrivant en Europe ?"

DDD a soumis des projets mais est actuellement en attente de financement pour pouvoir, entre autres, relancer ces programmes de soutien en santé mentale pour la communauté syrienne, mais aussi pour les réfugiés non syriens. 

Les financements des ONG comme DDD en Turquie proviennent en grande partie des bailleurs de fonds internationaux et européens (ECHO, OCHA) et des services d’aide et de coopération de certains Etats (Suisse, France). Les budgets de ces organisations sont alloués selon un système compétitif d’appels à projet auquel les ONG répondent. Mais ces projets sont en général financés sur de courtes périodes (12 mois).

Lundi et mardi se tenait la cinquième édition des conférences de Bruxelles – Soutenir l’avenir de la Syrie et de la région. A ce titre, DDD et MdM France, ont préparé des messages plaidoyers qui visent à "renforcer la conscience des bailleurs et de la communauté internationale sur la situation".

 

 

Mais la tenue de ces conférences n'est pas forcément un gage d’espoir pour Dünya Doktorları Derneği. Cela sera la cinquième édition et ils n’ont pu observer aucune réelle retombée depuis la première… 

Propos recueillis par Albane Akyüz et Sandro Basili

 

Sandro Basili
Publié le 31 mars 2021, mis à jour le 8 mars 2022

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