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MELAD – 20 ans et déjà trois vies : en Irak, en Turquie et demain... en Australie

Melad ses parents et ses freres cadetsMelad ses parents et ses freres cadets
Melad, ses parents et ses fre?res cadets (photo personnelle)
Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 22 janvier 2017, mis à jour le 5 mars 2018

Grand, mince, un sourire permanent aux lèvres, Melad, 20 ans à peine et qui commencera sa troisième vie demain.

Sa première vie se passe en Irak. Quelques semaines après sa naissance à Mossoul, sa famille part habiter à 120 km de là dans la ville de Zakho située dans le Kurdistan irakien tout près de la frontière avec la Turquie, où elle va vivre durant près de 17 années.

Là-bas, tout est différent, la langue, la culture, le gouvernement. Il étudie jusqu'à l'avant-dernière année au lycée, mais ne veut pas continuer là-bas. Le certificat de fin d'études secondaires y est en effet délivré en kurde, pas en arabe, aucune chance de réussir ailleurs avec un tel bagage... Le père répare les voitures et possède son propre et grand atelier ainsi que deux maisons.

La famille quitte l'Irak le 3 septembre 2013, environ 6 mois avant que Daech ne s'installe dans la région. Un autobus conduit Melad, ses parents et ses deux frères cadets de 12 et 14 ans à Istanbul en 24 heures. Pourquoi ont-ils choisi Istanbul ? Car il leur est possible d'être chrétien, il y a des églises, de l'activité.

L’étape turque

Un de ses deux frères aînés vit toujours à Zakho, l'autre frère ainsi que sa grande sœur vivent depuis 10 ans en Australie. Lorsque la famille décide d'aller à l'étranger, Miron, qui se trouve toujours en Iran, est en seconde année à l'université et ne veut pas quitter son pays. Il reste dans une de leurs deux propriétés et tire un loyer de la seconde. Il peut ainsi un peu aider sa famille. Lorsque celle-ci sera en Australie, peut-être qu'il la rejoindra dans le cadre d'un regroupement familial.

Après quelques jours passés à faire connaissance avec des Irakiens installés ici et s'être renseigné sur la procédure à suivre, tout le monde se rend au Bureau des Nations Unies à Ankara pour déposer un dossier en tant que réfugiés et demander l'asile en Australie dans le cadre d'une procédure de regroupement familial.

Les trois premiers mois sont très durs pour Melad. Il ne connaît pas la langue, même pas un mot à son arrivée et s'adapter à un nouveau pays est difficile. Chaque membre de la famille réagit différemment ; pour son père, c'est plus simple, sa maman, quant à elle déteste vivre en Turquie, n'apprend pas le turc, demande tous les jours quand ils vont partir... et jusqu'à aujourd'hui ne s'est pas du tout adaptée. Le jeune homme souffre de voir sa maman ainsi... et tente, en vain de la convaincre d'apprendre par exemple l'anglais, de penser au futur, de faire quelque chose. De même, sa famille et lui se rendent compte qu'il n'y a alors aucun autre irakien originaire de Zakho, la plupart des étant de Bagdad et du coup, au début, Melad ne se fait pas beaucoup d'amis.

Les Irakiens ne viennent pas en Turquie pour y vivre ; c'est une étape, une station jusqu'à l'obtention du précieux sésame permettant d'aller dans un autre pays, qui aux Etats-Unis, qui au Canada, qui en Australie ou ailleurs. “Mais pendant les années d'attente, tu peux faire quelque chose afin que ce ne soit pas une période perdue” pense Melad.

Apprendre l’anglais

Les réfugiés irakiens qu'il connaît ne pensent pas en général retourner dans leur pays. “Si tu parles le kurde, tu peux vivre dans le Kurdistan irakien, ce n'est pas une région trop dangereuse. Mais quand tu viens déposer ton dossier aux Nations Unies, si tu dis venir de cette région, ils peuvent ne pas t'accepter. Alors, dans ce cas, que fais-tu, tu es obligé de retourner là-bas...”  dit le jeune homme.

Après leur installation à Istanbul, Melad entend parler de l'école Don Bosco qui accueille des enfants réfugiés et la première année, c'est là-bas qu'il retourne étudier. A 17 ans, c'est le plus âgé, les plus grands qu'il côtoie ont 15-16 ans... Après trois semaines de classe, son ami Danyel lui parle d'un centre d'accueil pour jeunes appelés Oratorio et où il peut apprendre l'anglais. “Dans ce cas, j'y vais” répond aussitôt Melad. Pour y aller, il faut que quelqu'un se porte caution pour le nouvel arrivant et Danyel lui propose d'être garant.

Ils s'y rendent ensemble et le jeune Irakien fait connaissance avec le responsable, Jacky Doyen, avec qui il parle en anglais... langue qu'il connaît déjà car il a fréquenté durant 5 ans une école anglaise en Irak. Le directeur de l'école publique, constatant son bon niveau d'anglais, l'informe de l'existence d'une telle école, une chance pour lui. En arrivant en Turquie, il lui faut juste pratiquer à l'oral car en Irak, il parlait en kurde et en arabe à l'école et dans la rue, mais pas en anglais.
 

A l'Oratorio Don Bosco (photos NR)
A l'Oratorio Don Bosco (photos NR)

Finalement, sa première année de vie en Turquie se passe du lundi au vendredi à Don Bosco et le week-end à l'Oratorio. En tant que garçon, il n'a pas connu de problèmes pour y aller, plus facile que pour une fille irakienne.

A l'Oratorio, on parle du livre sacré, on l'explique et la communauté salésienne a pour objectif de rapprocher les jeunes de Dieu. Il y a aussi des activités sportives (basket, volley, ping-pong), du baby-foot et on organise des fêtes pour Noel et pour Pâques.

En hiver, a lieu tous les samedis et dimanches un cours d'anglais d'une heure – une heure et demie, les organisateurs sachant que ces réfugiés iront un jour vivre dans un pays anglophone et qu'ils ont donc besoin de l'anglais.

A son arrivée, environ 80 jeunes fréquentaient l'Oratorio, ce chiffre a grimpé à 100 puis 120. Actuellement, ils sont 60 entre 18 et 25 ans à se retrouver tous les week-ends.

Le théâtre

Ces derniers mois, une pièce de théâtre : “Etre jeune réfugié irakien en 2016 avec Don Bosco” y a été montée et jouée 10 jours plus tôt dans la salle de spectacles de Notre Dame de Sion. Melad n'avait jamais fait de théâtre auparavant. Lorsque Jacky Doyen explique le projet au groupe et demande qui veut y participer, Melad répond de suite par l'affirmative. Riki, surnom d'un jeune qui travaille à l'école Don Bosco, écrit le scénario : 9 scènes de vie dont 5 se passent en Irak et 4 à Istanbul. Riki ne va pas jouer dans la pièce mais en sera comme le directeur et participe à la réalisation avec Kemal Oruç, professeur d'art dramatique.

Les premières répétitions sont difficiles pour ces nouveaux acteurs, hormis 2-3 jeunes ayant déjà fait du théâtre par le passé. Les rôles sont distribués et pendant deux mois ils vont travailler pour mettre leur vraie vie en scène.

 

melad oratorio don bosco

 

Ce projet, Jacky Doyen en parlait et souhaitait le faire depuis 2015 mais c'est finalement en septembre 2016 que la décision est prise. Deux mois et 80 heures de répétitions plus tard - à raison d'un soir par semaine et durant les week-ends le premier mois avant d'augmenter la cadence –, c'est une pièce de théâtre réaliste et très originale qui est présentée au public. Un nouveau projet est envisagé mais Melad a cette fois-ci répondu “A présent, je m'en vais...”

Que lui a apporté cette expérience ? Il a pris du plaisir, s'est amusé. En même temps qu'acteur, il s'est vu confier le rôle de “stage manager” et c'est ainsi qu'il devait gérer l'entrée des acteurs, etc. Durant sa seconde année en Turquie, il a beaucoup travaillé son turc en lisant à la maison et a aussi enseigné l'anglais à un groupe d'Africains, programme concocté par Jacky Doyen. D'abord Melad ne voulait pas accepter, ne se voyant pas donner des cours à des hommes de cinquante ans, l'âge de son père, mais finalement il 'a fait.

Cette dernière année, il aura travaillé jusqu'à son départ chez Caritas en tant que traducteur et durant cette période, il a rencontré beaucoup de réfugiés syriens habitant des quartiers difficiles tels que Bağcılar, Esenler, Sultangazi (le pire selon lui...), chez qui il devait se rendre dans le cadre de son travail.

Le départ pour l’Australie

Comment voit-il sa troisième vie qui démarre à Melbourne, où il va se rendre avec sa famille le 24 janvier... Que compte-t-il y faire ?

Melad souhaite aller à l'université mais ne sait pas encore dans quelle section. Auparavant, il disait qu'il commencerait à réfléchir lorsqu'il aurait le visa pour aller en Australie et maintenant qu'il l'a, il dit être perdu dans ses pensées.

melad

 

 

Quel métier souhaite-t-il exercer plus tard, il ne le sait pas non plus. Lorsqu'il était petit, son père et sa mère disaient et répétaient toujours “Si tu étais docteur, ce serait bien”, “Sois docteur ou ingénieur” mais ce ne sont pas les métiers qu'il désire exercer. S'il devait être médecin ou ingénieur, ce serait pour ses parents, mais... Va-t-il rejouer du théâtre, il n'en sait rien non plus. Il n'y a pas pensé, avoue-t-il, mais ne le pense pas, trop stressant. Il va falloir d'abord s'adapter à vivre en Australie et ensuite asseoir la situation petit à petit.

En tant que chrétien, Melad est très proche de l'église, participe à de nombreux événements et réunions. C'était déjà le cas en Irak car son père est “şamas”, à savoir un laïc qui peut remplacer le prêtre en cas d'absence. Tous les dimanches, il devait aller à l'église, il ne voulait pas toujours mais il y allait... Ce n'était pas son choix, mais à présent il souhaite remercier son père de lui avoir fait ce cadeau. Melad a été lui-même un petit “şamas” et à 16 ans, il allait à la messe car il voulait y voir ses amis. Il est encore servant de messe aujourd'hui, notamment lors de grandes cérémonies (par exemple lors de la venue du Pape à Istanbul fin novembre 2014, pour l'ordination du nouveau vicaire apostolique en juin 2016).

A part tout ce qu'il a appris à l'Oratorio, dont, entre autres, qu'être réfugié n'est pas une mauvaise chose et que cela ne vous met pas en-dessous des autres personnes, que va-t-il rester à Melad de ses trois années de vie en Turquie ? La langue bien sûr, mais il a aussi appris à connaître la mentalité turque, comment les gens pensent ici. Selon lui, la pensée des Turcs est très différente de celles des Irakiens et un peu plus proche de l'Europe.

La langue maternelle de Melad est le chaldéen, il connaît le kurde (indispensable à l'école et dans la rue dans sa première vie), il a appris l'arabe en regardant la télévision et en lisant, l'anglais (il a passé l'examen d'IELTS en Turquie, équivalent du TOEFL), il se débrouille très bien en turc et depuis quatre mois il apprend le français avec l'application Duolingo. Déjà un bagage linguistique plus qu'honorable et vaste, à l'image de sa façon de penser.

 

Nathalie Ritzmann (http://lepetitjournal.com/istanbul) lundi 23 janvier 2017

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