Édition internationale

ÊTRE PROF À ISTANBUL – Fabienne Dumoulin : “Des conditions de travail très bonnes, un environnement dynamique”

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 20 mai 2015

Fabienne Dumoulin est arrivée en Turquie pour enseigner la chimie à l'Université Technique de Gebze (Gebze Teknik Üniversitesi) il y a 10 ans. C'est ici qu'elle a débuté sa carrière dans l'enseignement. Depuis, elle n'en est jamais repartie, et elle a multiplié les efforts pour s'intégrer le plus possible à cet environnement qui lui était au départ complètement étranger. 

Lepetitjournal.com d'Istanbul : Pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours d'études et professionnel ?

Fabienne Dumoulin (photo MT) : Après avoir obtenu mon baccalauréat en 1995 à Lyon, j'ai commencé par un DEUG de biologie et j'ai continué avec une maîtrise en biochimie. J'ai finalement obtenu mon doctorat de chimie en 2002, à la suite de quoi j'ai décidé d'aller en Italie, à Pise, où j'ai occupé un post-doc pendant deux ans. Ensuite, j'ai choisi d'écouter les conseils d'une amie française, rencontrée en Italie, qui était elle-même devenue enseignante en Turquie et qui m'encourageait vivement à suivre sa voie. C'est de cette façon que je me suis retrouvée à Istanbul, à occuper un poste de professeur de chimie à l'Institut de Technologie de Gebze. Enseignante chercheure (l'équivalent en France de maître de conférence), j'effectue essentiellement de la recherche ; je ne dispense en général qu'un cours par semaine de trois heures, pour les niveaux masters et doctorants. Il s'agit donc plus d'un enseignement par la recherche, où j'encadre des élèves qui font leur thèse et leur master.

Sur quoi portent vos recherches ?

Je travaille actuellement sur les molécules de porphyrines et phthalocyanines pour la thérapie photodynamique. Ce sont en fait des recherches pour le cancer, mais aussi pour les infections et les résistances bactériennes. Et j'ai d'ailleurs reçu, il y a deux semaines de cela, le prix des jeunes chercheurs par l'Académie des Sciences de Turquie, ce qui constitue à mes yeux un symbole fort du point de vue de mon intégration.

Que pouvez-vous nous dire du statut particulier de professeur de chimie en Turquie?

Le système turc est très rigide et très structuré, la bureaucratie est toujours très lourde. Il y a donc beaucoup de paperasse. Et on est parfois dépendant de nos collègues pour les traductions écrites (surtout pour les dossiers de financement), donc cela peut vite devenir compliqué. La Turquie a également un système très hiérarchisé : il m'a fallu du temps pour comprendre le système ?relationnel? professeur-élève. Il y a en effet toujours cette notion de ? sayg??, de respect, pour le professeur de la part des élèves, qui crée une certaine distance. J'ai été surprise au départ par ce peu de proximité entre les élèves et leur professeur.

Pour enseigner en Turquie, faut-il élaborer d'autres méthodes qu'en France ou ailleurs ? Connaître la culture de l'apprenant, est-ce indispensable ?

Dans la mesure où je n'ai jamais enseigné ailleurs, je ne sais pas vraiment. Mais connaître la culture du pays aide à améliorer la qualité de l'enseignement dispensé. En plus, en découvrant peu à peu la culture turque, j'ai petit à petit cassé les ?associations d'idées? reçues. Le fait par exemple de penser que ceci implique forcément cela, que tel comportement ou telle pratique va nécessairement avec tel autre comportement ou telle autre pratique. Tout comme je me suis habituée à leur culture, les étudiants se sont aussi habitués à la mienne, à ma façon de faire. Notamment sur cette question de proximité et de distance entre eux et moi. Et finalement, cela a fonctionné : un de mes étudiants m'a demandé d'être son témoin de mariage !

Projetez-vous d'enseigner la chimie à Istanbul durant encore quelques années ? Quels sont les bons et les mauvais côtés, s'il y en a, à enseigner ici ?

Oui je prévois de rester enseigner ici, encore un temps, tout du moins. Il y a beaucoup d'argent attribué à la recherche, contrairement à l'Europe où c'est beaucoup plus limité. Les conditions de travail sont donc très bonnes, c'est très dynamique. Et pour moi, l'important est justement de pouvoir continuer à travailler dans de bonnes conditions. Je ne suis pas contre l'idée de partir de Turquie un jour, mais pas forcément pour retourner en France.

L'un des inconvénients pour moi est la durée de mon contrat : ce sont des contrats d'un an seulement, qu'il faut renouveler chaque année. Il y a donc toujours la possibilité pour qu'il ne le soit pas. Il y a également la question du statut. Je souhaiterais avoir le même statut que les Turcs, pour avoir le même type de contrat de travail qu'eux. Souvent, les Turcs pensent que parce que notre statut est différent, notre salaire l'est aussi, et qu'on gagne beaucoup plus qu'eux. En vérité, le salaire est quasiment identique, mais il est calculé différemment. Donc obtenir le même statut serait vraiment appréciable, pour éviter toute ambiguïté. Mais pour cela, il faut avoir la nationalité turque (que je n'ai pas encore parce que cela m'oblige à faire des équivalences pour mes diplômes).

Le côté positif c'est qu'en Turquie, les conditions de recherches sont vraiment bonnes, et en plus, cela nous permet d'avoir plus de visibilité à l'étranger. On est plus facilement repérable, dans la mesure où il n'y a pas une grande quantité de chercheurs français en Turquie. C'est plus simple d'être connu. Et comme je suis une des rares Françaises à faire des sciences dures, j'ai en plus un gros soutien de l'Ambassade de France d'Ankara.

La Turquie est aussi un pays très dynamique ; c'est donc plus simple de promouvoir de nouvelles choses. C'est beaucoup moins figé qu'en Europe. Les Turcs acceptent plus d'aller de l'avant. Et ils ne sont pas paralysés par le principe de précaution, comme c'est un peu le cas en France. Par exemple, la France n'est pas favorable aux nanotechnologies en raison du problème de toxicité. La Turquie, quant à elle, ne sera pas catégoriquement opposée à leurs utilisations ; ce qui présente bien sûr des avantages et des inconvénients.

Pourriez-vous nous parler un peu de votre université ?

L'Institut de technologie de Gebze a été créé en 1992 ; il a pris le nom d'Université technique de Gebze en octobre 2014. Il s'agit d'une petite université, dirigée sur la recherche essentiellement. C'est l'une des universités publique de Turquie possédant le plus gros taux d'élèves étrangers (si on fait le compte sans les universités privées). L'accueil d'élèves étrangers lui tient beaucoup à c?ur ; elle a également l'ambition de rejoindre les rangs des meilleures universités de Turquie. C'est l'une des meilleures universités en termes de projets internationaux.  

Marion Truffinet (www.lepetitjournal.com/istanbul) mercredi 20 mai 2015

(RE)LIRE : ÊTRE PROF A ISTANBUL ? Antoine Munier : "Nous sommes privilégiés en tant qu'enseignants en Turquie"

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Publié le 19 mai 2015, mis à jour le 20 mai 2015
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