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EN TURQUIE ET AILLEURS - Lieux saints partagés: "Ce film fera du bien"

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 25 janvier 2017

Le monastère Saint-Georges à Büyükada, l'église Saint-Antoine à Istanbul? Deux sanctuaires, parmi tant d'autres, où sont accueillis les fidèles quelle que soit leur religion. Malek Sahraoui s'est lancé sur la route de ces lieux saints partagés, en Turquie et ailleurs sur les rives de la Méditerranée, et leur consacre un documentaire intitulé "Un pas de travers". Lepetitjournal.com d'Istanbul est allé à la rencontre du réalisateur, qui délivre un message d'espoir et de tolérance à l'heure où les actualités dessinent un monde empêtré dans des conflits religieux.

Lepetitjournal.com d'Istanbul : Un lieu saint partagé, qu'est-ce-que c'est ?

Malek Sahraoui : Les lieux saints partagés sont des sanctuaires qui abritent souvent la mémoire ou la dépouille d'un saint, fréquentés aussi bien par des fidèles appartenant à la religion même de ce saint que par des fidèles d'autres religions. Ces derniers viennent trouver dans ce sanctuaire une efficacité religieuse, ils y vont pour méditer, pour prier ou pour faire des demandes de v?ux. Le fidèle, sans aucun ordre religieux émanant d'une hiérarchie, pense qu'il sera autant voire plus écouté ici qu'ailleurs. Un lieu saint partagé est un lieu qui existe dans l'instant, au moment où il est partagé. C'est-à-dire qu'une fois que le fidèle d'une autre religion quitte le lieu, celui-ci n'est plus un lieu saint partagé. Les lieux saints partagés existent donc, autant qu'ils peuvent disparaître. C'est très organique. D'autres lieux le sont pour des siècles, comme la basilique Notre-Dame d'Afrique, située à Alger, une grande basilique chrétienne fréquentée tous les jours par des musulmans depuis sa construction il y a 150 ans.

Pélerine devant l'icone de Saint George, à Büyükada. (photo Manoël Pénicaud)

Vous consacrez un documentaire sur ces lieux saints partagés autour de la Méditerranée. Expliquez-nous la genèse de votre projet...

J'avais filmé en 1998 un événement qui m'a beaucoup étonné à l'époque, à Büyükada, sur les îles aux Princes à proximité d'Istanbul. Un pèlerinage vers le monastère chrétien Saint-Georges : 20.000 pèlerins se rendaient prier devant les icônes de Marie et de Saint-Georges, or 90% d'entre eux étaient de confession musulmane. A l'époque, il n'y avait pas eu beaucoup de travaux effectués sur les lieux saints partagés, ou du moins je n'en avais pas connaissance. Je pensais donc que c'était un phénomène unique, une anomalie de l'histoire incroyable. J'ai tourné un reportage pour France 3 et il y a trois ans, l'anthropologue Manoël Pénicaud a retrouvé mon travail. Il m'a alors dit que ce n'était pas un phénomène isolé et m'a annoncé qu'il allait réaliser un voyage sur les traces des lieux saints partagés autour de la Méditerranée, dans le cadre de la préparation d'une exposition pour le musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM). Ça m'a tout de suite intéressé et je l'ai suivi sur cette route. Aujourd'hui, l'exposition est itinérante. Elle est actuellement au musée Bardo de Tunis, cible d'une attaque terroriste en 2015. Ensuite, elle ira à Marrakech, à Paris, à New York, à Istanbul? Le film témoignera de la route que l'on a entreprise, à travers des témoignages, des interrogations, des portraits de fidèles?

Cette route des lieux saints partagés est virtuelle et poétique, dans le sens où elle n'est pas reliée par une autoroute avec des panneaux de signalisation ! Elle se trace d'un endroit à l'autre, parfois en en oubliant certains. Ce qui est intéressant, c'est que cette route est optimiste mais qu'elle croise dans l'autre sen  un flot d'informations assez noires en provenance de la même région : les tensions, les murs, l'exclusion ou le terrorisme.

Pourquoi avoir nommé votre documentaire "Un pas de travers" ?

Ça ne signifie pas "marcher de travers" ! Un pas de travers, c'est un pas que l'on n'est pas censé faire, qui surprend. Il est surtout surprenant au regard des autres d'ailleurs. Il y a aussi l'idée de "passer à travers" : passer à travers les bois, les champs mais aussi les murs que l'on dresse. On va découvrir le double sens de ce titre à l'intérieur du film, je ne vais pas en dire plus pour le moment? J'ai justement choisi ce titre car il est aussi intriguant.

Quels lieux saints partagés, en Turquie, figureront dans votre documentaire ?

Nous évoquerons Ephèse, qui est un lieu vraiment fort et symbolique où l'on retrouve la mémoire de Marie et la légende des sept Dormants, commune à l'islam et au christianisme. Dans le documentaire nous retrouverons des images de Büyükada, au monastère Saint-Georges que j'évoquais tout à l'heure. Nous parlerons aussi de l'église Saint-Antoine à Istanbul, qui est fréquentée par de nombreux musulmans. Nul doute qu'il y a d'autres lieux saints partagés en Turquie mais je n'ai pas pu tout filmer, il fallait faire des choix !

Eglise Sainte-Antoine à Istanbul

Vous êtes lancé sur la route des lieux saints partagés depuis trois ans et avez récemment lancé une campagne de financement participatif. Quelle partie du travail vous reste-t-il à effectuer ?

Il me reste encore deux séquences à filmer au Maroc et plusieurs interviews à réaliser. Il faudra ensuite affiner et terminer le montage, puis il y aura la période de postproduction. Je suis sur la route depuis trois ans, le sujet a toujours motivé ceux à qui j'en ai parlé. J'ai travaillé pour la télévision durant des années et je ne pensais pas avoir de problème pour produire le film mais ça n'a pas été aussi facile que cela. Or je pense que ce film a vraiment sa place, surtout dans le contexte actuel. Grâce à cette campagne de crowdfunding (financement participatif, ndlr), l'idée est donc de faire appel à des soutiens personnels pour pouvoir finir le film. Il durera environ 1h20 et sera terminé aux alentours du mois d'avril.

Votre documentaire est-il un message politique face aux conflits religieux actuels ?

Le geste presque anodin pour les fidèles qui consiste à se rendre dans un sanctuaire qui ne serait pas "normalement" le leur prend aujourd'hui de plus en plus de force et demande même parfois du courage. Ces lieux de partage, où il y a une convergence et une tolérance, deviennent malheureusement des cibles. Ce film témoigne aussi de cela. Dans le contexte actuel, ce film devrait selon moi être montré dans les circuits scolaires. La découverte d'un lieu saint partagé ne devrait pas rester dans le domaine de la surprise ou de l'anecdote : ça existe, et ça existait autrefois peut-être plus encore qu'aujourd'hui. Nous devrions aller vers la normalisation de cette pratique. Mais malheureusement, à cause du contexte actuel, on voit de plus en plus de barrières et de vidéos de surveillance à l'entrée des lieux saints. C'est une réalité que l'on ne peut pas critiquer puisqu'on peut la comprendre, en lien avec tout ce qu'il se passe aujourd'hui.

Ce film fera du bien car il permet de voir autre chose, d'être un contrepoids face aux actualités qui vont toujours dans le même sens. L'idée n'est pas non plus de faire un film naïf, avec seulement de bonnes idées et de belles images. C'est aussi un film historique qui permet une réflexion sur soi-même et sur son rapport à l'autre. Il mènera aussi au voyage : en Turquie, en France, au Maroc, en Tunisie, en Crête, en Macédoine, dans les territoires palestiniens, en Israël, en Algérie?

*Pour soutenir Malek Sarhaoui dans son projet, retrouvez sa campagne de financement participatif ici

Propos recueillis par Solène Permanne (http://lepetitjournal.com/istanbul) mercredi 25 janvier 2017

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Publié le 24 janvier 2017, mis à jour le 25 janvier 2017

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