Dans le cadre de la Semaine du Goût, le film Les Saveurs du Palais de Christian Vincent a été diffusé hier soir à l'Institut français d'Istanbul en partenariat avec le Cordon Bleu Istanbul et l'Université Özye?in. Pour l'occasion, l'inspiratrice du film et ancienne cuisinière personnelle du président François Mitterrand, Danièle Mazet-Delpeuch, était présente.
Une séance de dédicaces de son livre Carnets de Cuisine du Périgord à l'Elysée était également organisée. Après le film, Danièle Mazet-Delpeuch et le chef Gilles Company de l'école Le Cordon Bleu d'Istanbul se sont livrés à une démonstration culinaire préparant, sous les yeux attentifs des spectateurs, la fameuse crème de Mémée présente dans le film ainsi qu'une recette de profiteroles.
?Les Saveurs du Palais? de Christian Vincent : l'aventure attachante d'une femme de caractère
Le film commence dans la véritable maison de Danièle Mazet-Delpeuch avant qu'elle ne se retrouve propulsée cuisinière personnelle du président François Mitterrand. Cheffe ? Non. ?Hortense?, telle qu'elle se prénomme dans le film. On ne l'appelle pas comme cela, rappelle-t-elle au chef Gilles Company durant la démonstration culinaire. Elle est cuisinière, mais pas des moindres...
Après deux ans passés à cuisiner les saveurs du terroir à l'Elysée, elle s'est rendue quelques années après en Antarctique. Mêlant sa vie au palais et sa vie sur les Îles Crozet, ce film retrace l'aventure d'une cuisinière du Périgord dont la force de caractère et le talent séduisent. Saisissant l'occasion de sa venue, lepetitjournal.com d'Istanbul en a profité pour lui poser, ainsi qu'au chef Gilles Company, quelques questions.
Lepetitjournal.com d'Istanbul : Qu'avez-vous pensé du film ? Avez-vous été consultée pendant sa réalisation ?
Danièle Mazet-Delpeuch (photo LL): Bien sûr, nous formions un groupe de travail très intéressant et quand il y avait des choses que je n'aimais pas trop, la plupart du temps, ils les prenaient en compte. Par exemple, dans le scénario initial, il y avait une référence à mes enfants et je ne voulais pas qu'on parle de mes enfants. Alors ils ont été enlevés du scénario. Il y a également certaines choses que je trouvais surfaites mais la plupart ont été enlevées, donc je peux dire que je suis pleinement satisfaite. En réalité, je l'adore, il est très mignon et il marche plutôt bien.
Gilles Company, vous qui connaissez Danièle Mazet-Delpeuch, que pensez-vous de la fidélité au personnage incarné par Catherine Frot ?
Gilles Company : J'ai vu le film plusieurs fois et ce qui m'a le plus frappé, c'est justement la ressemblance de l'actrice avec Danièle Mazet-Delpeuch. Non seulement le personnage mais le caractère, la personnalité.
Et vous Danièle Mazet-Delpeuch ?
Danièle Mazet-Delpeuch : Au début, elle ne voulait pas me rencontrer car elle avait peur de ne plus pouvoir sortir du personnage, de ne plus pouvoir être capable de créer. Mais quand elle a commencé à jouer, elle n'arrivait pas à faire ressortir mon personnage, alors nous nous sommes rencontrées et quand elle s'est mise à jouer, elle est devenue moi. C'est une grande actrice. Elle dit même qu'elle s'est laissée envahir par moi. Elle est devenue le même type de femme que moi, elle a pris mes colliers. Comme moi, elle est toujours en talons et toujours vêtue de noir en cuisine.
Vous étiez la seule femme à travailler dans les cuisines de l'Elysée à cette époque, comment avez-vous réussi à vous faire une place dans cet univers masculin ?
Danièle Mazet-Delpeuch (lors de la présentation avec le chef Gilles Company, photo LL): Tout d'abord, je ne travaillais pas dans les cuisines mais dans ma cuisine à l'Elysée, personne n'y entrait. J'ai toujours été dans un monde d'hommes, c'est d'ailleurs pour cela que je porte tout le temps des talons en cuisine. Je n'ai pas cherché à rentrer dans leur monde, j'ai seulement appris à cohabiter avec eux. Je suis allée déjeuner deux fois seulement avec les chefs de la cuisine centrale de l'Elysée, après j'ai dit ?stop? aux discussions à rallonge et aux insinuations grivoises. Mais au-delà de ça, les hommes ne m'ont jamais dérangée dans mon métier.
Gilles Company : Mais ils sont aussi comme cela entre hommes, désagréables, aux égos surdimensionnés, jouant à qui sera le meilleur, Alors quand une femme arrive avec une bonne position hiérarchique, c'est encore pire...
Quelle est la part de fiction et quelle est la part de vérité dans le film ?
Danièle Mazet-Delpeuch : Tout est fiction et tout est réel. En réalité, tout est dit dans le film, l'esprit est là. Bien sûr, il y a deux ou trois petites histoires qui sont un peu éloignées de la réalité mais grâce à mon livre, la part des choses est faite. J'ai réellement demandé au président de la République l'autorisation de faire le marché, par exemple. Après, je suis allée à l'intendance demander de l'argent et on m'a répondu ?écoutez madame, ça ne fonctionne pas comme cela?. Je leur ai alors dit que c'était le président en personne qui m'avait donné l'autorisation, personne n'est allé vérifier bien sûr.
Comment qualifieriez-vous vos relations avec le président François Mitterrand ?
J'étais cuisinière, il était président. Je ne voulais pas être présidente, il ne voulait pas être cuisinière, c'était seulement cela notre relation ! La relation n'était ni professionnelle ? je n'étais pas ministre ? ni amicale, j'étais sa cuisinière. François Mitterrand était connu pour ne pas supporter longtemps quelque chose qu'il n'aimait pas. J'aurais valsé dans les huit jours s'il n'avait pas aimé ma cuisine. Finalement, je suis restée deux ans et après, je suis partie tout simplement car l'aventure était terminée.
Et maintenant que faites-vous ? Êtes-vous toujours cuisinière ?
Aujourd'hui, je cuisine comme je respire, mais chez moi. La cuisine n'est pas ma profession, ma profession c'est aventurière et ma meilleure monnaie d'échange se trouve être ma cuisine. Par exemple, l'Antarctique ne m'aurait pas été ouverte si je n'avais pas été cuisinière. C'est mon moyen de vivre des aventures. Pas de voyager, mais de vivre des aventures.
Propos recueillis par Laura Lavenne (http://lepetitjournal.com/istanbul) mercredi 6 novembre 2013
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