L’emblématique pâtisserie de l’avenue İstiklal a fermé ses portes le 29 octobre, pour des raisons financières.
Les appels à l’aide n’auront donc pas abouti. Mahir Polat, le secrétaire général adjoint de la mairie d’Istanbul, avait lui-même interpellé les bailleurs sur son compte Twitter le 29 octobre, appelant ces derniers à revoir le prix du loyer.
Beyoğlu’nun 212 yıllık markası Lebon için bugün son gün. Uzun süredir Lebon’un devam etmesi için özel olarak çabaladık.
— Mahir Polat (@mhrpolat) October 29, 2022
Son kez makul bir kira artışı görüşmesi için mal sahibini uzlaşmaya davet ediyorum, Beyoğlu’nun kimliksizleşmesine kimse araç olmasın. #lebonpastanesi pic.twitter.com/mSjTbPYbyW
Tweet : "Aujourd'hui est le dernier jour pour Lebon, marque âgée de 212 ans. Pendant longtemps, nous nous sommes mobilisés pour faire perdurer Lebon. Pour la dernière fois, j'invite le propriétaire à un compromis pour une augmentation raisonnable du loyer [...]"
Si Lebon devait cesser ses activités fin 2021, la pâtisserie avait réussi à "survivre" quelques mois de plus. En réalité, la Fondation Karagözyan, propriétaire du lieu, souhaitait récupérer les locaux de la pâtisserie depuis 15 ans.
Dans une interview accordée à l’agence DHA, le gérant de la pâtisserie Lebon, Abdurrahman Cengiz, explique que si son loyer était de 42 500TL, le propriétaire lui demandait désormais 10 000$ (plus de 185 000TL). Il indique aussi qu’il lui aurait fallu 10 millions de TL pour s’installer ailleurs ; au total, 12 de ses employés se retrouvent au chômage.
La première pâtisserie d’Istanbul
Si la date de 1856 est inscrite sur la devanture, la première pâtisserie remonterait à 1810, créée par Lebon (un ancien employé de l’ambassade de France), dans le quartier de Beyoğlu. En raison de la vente du local initial (qui deviendra la pâtisserie Markiz) en 1940, Lebon déménagera dans un autre bâtiment de l'avenue İstiklal. La pâtisserie, fermée en 1972, sera finalement reprise par Abdurhaman Cengiz en 1985, après une lutte de 2 ans pour poursuivre avec la marque Lebon.
D'autres fermetures sur l’avenue İstiklal
La fermeture de Lebon s’inscrit dans une tendance observée ces dernières années sur la fameuse avenue İstiklal, centre névralgique de la rive européenne d’Istanbul. Au cours de la dernière décennie, d’autres lieux qui occupent une place importante dans la mémoire de ce quartier ont fermé ou ont été déplacés pour des raisons financières.
Cette vague a commencé en 2012, avec la pâtisserie İnci, fondée en 1944. Connue pour ses profiteroles, la pâtisserie a dû déménager Mis sokak, une rue perpendiculaire à İstiklal, proche de la place Taksim.
La pâtisserie Markiz (1940), qui était à l’origine une marque de chocolat (en référence aux chocolats "Marquise de Sévigné", fabriqués à cette époque à Paris), n'a pas non plus survécu. Celle-ci a fermé en 2013. En 2021, la mairie d’Istanbul a annoncé souhaiter la rénover.
En 2014, c’est la librairie Robinson Crusoe 389 qui fermait pour des raisons financières. Elle est désormais hébergée dans le bâtiment de Salt Beyoğlu.
En octobre 2021, c’est la librairie Denizler, réputée pour ses manuscrits rares et cartes anciennes, vieille de 28 ans, qui quittait l’avenue. La librairie a emménagé dans le quartier de Mecidiyeköy (Şişli).
Fin juillet 2022, la librairie Pandora, en activité depuis 1991, a fermé son bâtiment d’origine de Beyoğlu, toujours pour des raisons financières.
Par ailleurs, la célèbre épicerie fine Şütte, installée depuis 1918 dans le marché aux poissons de Beyoğlu a récemment fermé. Les restaurants Imroz et Şampiyon Kokoreç ont également dû mettre la clé sous la porte en raison de loyers trop élevés.
Avec ces fermetures, c'est l’ADN de Beyoğlu qui a changé ces dernières années, voyant chaque jour fleurir des commerces de Turkish delights (baklavas etc.), des chaînes de magasins (fast fashion notamment), des boutiques de parfums... principalement destinés à une clientèle arabe.
Beyoğlu bitmiş mi? (Est-ce que Beyoglu est fini ?)
À quelques pas de Lebon, la gérante d’une pâtisserie nous fait part de sa tristesse face à la fermeture de l'enseigne historique, même si cette dernière représentait une forme de concurrence pour elle. "Nous payons 80 000 TL de loyer, mais nous résistons ! Nous n’allons nulle part". Elle poursuit : "Le problème est que la partie d'İstiklal dans laquelle nous sommes, entre le lycée Galatasaray et Şişhane, est en train de devenir comme celle du 'dessus', entre Taksim et le lycée Galatasaray, où il y en a que pour les touristes. Bientôt, plus aucun Turc ne viendra."
Tout près du Çiçek Pasajı, dans une parallèle d'İstiklal, le gérant de la confiserie Üç Yıldız nous explique que la fréquentation du quartier a changé. "Le problème pour des endroits comme Lebon, c’est la clientèle, qui va y aller ? Nos clients ne viennent plus tellement dans ce quartier. Nous nous en sortons car nous sommes propriétaires du magasin ; de plus, nous avons commencé à faire un peu de vente en ligne, mais sinon, les temps sont durs pour les commerces comme nous."
Dans une tribune publiée le 31 octobre Beyoğlu bitmiş ("Beyoğlu est fini"), le journaliste Fatih Altayli, ancien élève du lycée Galatasaray, questionne : "Avez-vous le sentiment "Beyoğlu" lorsque vous vous y rendez ?". Il poursuit, "Beaucoup de choses qui font que Beyoğlu est Beyoğlu disparaissent, l'une après l'autre".
Par ailleurs, il appelle à l'action, plutôt qu'à la lamentation : "Nous déplorons ceux qui partent. Alors bougeons-nous pour qu'ils ne ferment pas ! À quand remonte la dernière fois que ceux qui sont ‘tristes’ et ‘déplorent’ que Lebon ferme, sont entrés chez Lebon ? […] On demande de "faire quelque chose". Eh bien, il faut toujours que ce soit les autres qui fassent. N'avez-vous pas une autre responsabilité que celle d'être triste ?"
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