Dominique Akbay, Magaly Grandjean et Anne Dumortier ne se connaissent pas mais partagent pourtant trois points communs. Elles sont nées en France mais ont décidé de venir vivre en Turquie, par amour. Mariées à des Turcs, elles ont fait le choix d'acquérir la nationalité de leur pays d'accueil. Récit.
Dominique Akbay, surveillante au lycée français Pierre Loti d'Istanbul, a la nationalité turque depuis trois mois:
Lepetitjournal.com d'Istanbul : Pouvez-vous vous présenter et nous décrire le parcours qui vous a amenée en Turquie?
Cela fait désormais 22 ans que je vis en Turquie, j'ai 50 ans! Je suis née en France, à Paris. J'ai été infirmière dans le service des urgences orthopédiques et c'est là d'ailleurs que j'ai rencontré mon mari (sourire) ! Il est turc et avait choisi à l'époque de faire son internat dans un hôpital de la capitale.
Nous nous sommes mariés en France et nous avons vécu deux ans à Paris. Mon mari m'a ensuite proposé de venir vivre, pour une très courte durée, à Istanbul. J'attendais à ce moment mon premier enfant et je me suis dit ?pourquoi pas?? Nous sommes donc partis en Turquie? Et nous ne sommes plus jamais revenus en France (rires) ! Les deux premières années ont été difficiles car nous étions assez éloignés du centre d'Istanbul et mon mari travaillait beaucoup. Je ne connaissais personne et la barrière de la langue n'a pas facilité la prise de contact.
Pourquoi avez-vous choisi d'acquérir la nationalité turque? À quel moment avez vous décidé de franchir le pas?
(Rires) Eh bien figurez-vous que je l'ai acquise il y a seulement trois mois ! Cela peut paraître étrange mais je n'y avais jamais pensé auparavant. J'avais mon visa, mon ikamet et cela me convenait parfaitement.
Il y a deux voire trois ans, j'ai commencé à changer d'avis. Je me suis dit "bon allez, ça fait longtemps que tu es installée, il faudrait songer à prendre la nationalité". J'avais peur de me retrouver seule et de devoir faire face à des problèmes juridiques car mon mari et moi avons tous nos biens ici. Je voulais disposer des mêmes droits que les Turcs eux-mêmes. Nous avons donc entrepris les démarches il y a un peu plus d'un an et demi, en juin 2013.
Les démarches administratives ont-elles été compliquées?
Oui! Les procédures sont longues et difficiles. Il manquait toujours un papier ou alors celui que l'on apportait n'était pas celui demandé et puis il arrivait qu'on ne se comprenne pas. Nous avons dû retourner plusieurs fois dans les bureaux, cela coûte de l'argent aussi car chaque démarche, ou presque, est payante! Finalement, c'est beaucoup de temps et d'énergie dépensés. J'avais même pensé à abandonner ce projet jusqu'au moment où l'on a validé mon dossier pour l'envoyer à Ankara. À ce moment, on se dit : "c'est bon, ça y est, il faut désormais attendre". Mais là encore il faut très patient! Nous avons beaucoup attendu, sans nouvelles? Jusqu'au jour où on nous a appelés pour passer devant une commission, à Aksaray. Mon mari et moi avons été interrogés séparément par un jury de sept personnes, comme pour un grand oral. Pourquoi êtes-vous en Turquie? Où avez-vous connu votre conjoint? Que font vos enfants dans la vie? Tout cela en turc bien sûr! Et là encore, il a fallu attendre. Trois, quatre mois se sont écoulés avant que nous ayons notre réponse, qui était favorable donc.
Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez enfin obtenu le fameux sésame?
Beaucoup de plaisir, j'ai été très heureuse. Je suis aussitôt allée récupérer ma carte d'identité (sourire) ! "Ça y est, je suis turque", ai-je pensé! C'était officiel, j'avais mes papiers, je ne quitterai pas la Turquie!
Et si demain justement vous deviez quitter définitivement la Turquie, que regretteriez-vous le plus?
Ma vie ici avant tout mais aussi le climat, les gens qui sont si gentils et toujours prêts à aider! Le service en Turquie est incroyable, notamment avec mes voisins. Ce sont de petites attentions qui chaque jour nous touchent. On ne retrouve pas cela à Paris! Je n'ai plus envie d'être une simple anonyme là-bas?
Magaly Grandjean, sans profession:
Lepetitjournal.com d'Istanbul : Pouvez-vous vous présenter et nous décrire le parcours qui vous a amenée en Turquie?
J'ai 45 ans et c'est en juin 1999 que je suis venue pour la première fois à Istanbul. J'ai immédiatement adoré cette ville!
J'ai beaucoup voyagé, je partais avec mon sac à dos (rires) ! J'ai fait l'Inde, l'Indonésie, la Malaisie, Thaïlande et presque l'ensemble des pays européens. À l'époque [en 1999, ndlr] je disposais de quelques jours pour voyager, j'avais l'intention de choisir une destination plus proche que l'Asie? C'est comme ça que je me suis retrouvée en Turquie! Au moment où je souhaitais prendre mon billet d'avion, mon choix était plus porté vers le Maroc. Ce qui est drôle, c'est que je n'ai trouvé aucun billet qui correspondait aux jours durant lesquels je prévoyais de partir. J'ai une amie qui m'a alors conseillé d'aller à Istanbul. J'ai hésité jusqu'à la dernière seconde, je persistais à chercher un ticket pour Casablanca! Le destin a fait que j'ai finalement trouvé un billet qui collait avec mes dates mais également avec mon budget!
Je suis donc venue pour six jours à Istanbul. C'est durant cette semaine que j'ai rencontré mon ex-mari, qui était turc. Dix mois après ce premier voyage, je suis revenue à plusieurs reprises en Turquie. En France, j'ai effectué pendant quatorze ans des missions d'intérim qui ont pris fin le 31 mars 2000. Le 29 avril de la même année, je reprenais la route pour Istanbul, cette fois-ci pour m'y installer!
Pourquoi avez-vous choisi d'acquérir la nationalité turque? À quel moment avez vous décidé de franchir le pas?
La rencontre avec mon ex-mari et le charme d'Istanbul sont à l'origine de ce choix. Je n'ai même pas eu besoin de réfléchir! La première fois que je suis venue en Turquie, j'ai su! J'ai senti immédiatement qu'il y avait quelque chose à Istanbul et que j'y passerai une bonne partie de ma vie? Je ne me suis pas trompée (rires).
Les démarches administratives pour l'obtenir ont-elles été compliquées?
Ah non, pas du tout! Pour moi, tout a été très simple, je n'ai rien eu à faire. En épousant mon ex-mari, j'avais automatiquement le droit d'acquérir la nationalité turque. J'ai simplement eu à faire traduire l'acte de mariage avant de le faire signer par un notaire pour que cette traduction soit officielle. J'ai récupéré ma carte d'identité turque en seulement trois semaines!
Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez enfin obtenu le fameux sésame?
Je vais être franche, je n'ai pas ressenti grand-chose (rires) ! À l'époque, le mariage entre une Française et un Turc permettait d'obtenir la nationalité sans difficulté. D'ailleurs, toutes les personnes qui, comme moi, ont épousé un Turc ont reçu leurs papiers rapidement. Finalement, tout cela me paraissait normal. Je n'ai pas eu ce sentiment de grand plaisir que je ressens désormais. Je vois aujourd'hui mes ami(e)s qui rencontrent énormément de difficultés dans leurs démarches administratives. Financièrement, ça coûte très cher! Je m'estime très heureuse et chanceuse? Ce n'était pas le cas il y a quinze ans!
Et si demain justement, vous deviez quitter définitivement la Turquie, que regretteriez-vous le plus?
J'espère qu'une telle situation ne se présentera jamais (sourire). Avec le contexte actuel, notamment en Syrie, on nous [les expatriés, ndlr] met beaucoup en garde mais moi je n'envisage aucun départ. Si, effectivement, par le plus grand des malheurs je devais partir, ce que je regretterais sans doute, c'est l'ensemble de ma vie en Turquie. Ici, je ressens une joie de vivre que je n'ai jamais ressentie à Paris. Je crois même que si je quittais Istanbul, ce ne serait pas pour retourner en France!
Quitter Istanbul serait une vraie déchirure, j'y ai tous mes ami(e)s. J'aime la culture turque mais surtout mon mode de vie. À Paris, j'avais le sentiment que tout était prévisible et de pouvoir deviner de quoi seraient faits les lendemains. À Istanbul, c'est l'inverse! Il suffit de recevoir un coup de téléphone ou que quelqu'un frappe à votre porte pour que vos plans soient bouleversés. Cinq minutes autour d'un çay suffisent pour faire basculer le cours des choses!
Anne Dumortier, gérante d'une pension en Cappadoce :
Lepetitjournal.com d'Istanbul : Pouvez-vous vous présenter et nous décrire le parcours qui vous a amenée en Turquie?
J'ai effectué deux voyages en Turquie, le second en 1990 a été le plus important finalement! C'est à ce moment que je suis tombée amoureuse de la Cappadoce mais également de mon ex-mari. Au terme de quinze jours de vacances, j'ai décidé de quitter définitivement la France. Un mois plus tard, je prenais chats et bagages pour venir m'installer en Cappadoce (rires) !
Avec mon ex-mari, nous avons vécu d'amour et d'eau fraîche pendant trois mois et puis après nous nous sommes dit : "Bon! Qu'est-ce qu'on va faire maintenant? Il faudrait quand même qu'on travaille!". À l'époque, en Cappadoce, il n'y avait pas grand-chose à part l'agriculture et le tourisme, c'est donc tout naturellement que nous nous sommes tournés vers le tourisme. Nous avons acheté une ruine que nous avons retapée tout l'hiver pour ouvrir dès 1991 notre hôtel qui s'appelle Élysée?
Serait-ce un clin d'?il à la France?
Disons que c'était plus un clin d'?il aux clients français! Il y a vingt ans, la Cappadoce n'attirait pas autant de touristes qu'aujourd'hui. Ils allaient essentiellement dans une ville proche qui s'appelle Avanos [dans la province de Nev?ehir, ndlr], c'était la destination des Français.
Nous avons donc fait le choix d'un nom qui interpellerait une clientèle française. Tiens, Élysée! Pourquoi? Comment? Qui est là? C'était notre but d'attirer cette clientèle et cela a très bien fonctionné. Tout cela s'est fait très rapidement, l'année qui a suivi l'ouverture de la pension, nous avons été cités dans le guide du routard, l'ancêtre d'Internet!
Pourquoi avez-vous choisi d'acquérir la nationalité turque? À quel moment avez vous décidé de franchir le pas?
Le choix a été immédiat! C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je me suis mariée (rires) ! J'étais plus pour une union libre mais le mariage était nécessaire pour que j'obtienne facilement la nationalité turque. Même pour notre business, c'était plus simple d'en disposer. Je souhaitais que mon nom apparaisse sur les contrats et avoir des droits! En tant que touriste, j'étais obligée de quitter le territoire tous les trois mois. Je n'avais aucune reconnaissance officielle, quelle qu'elle soit.
Les démarches administratives pour l'obtenir ont-elles été compliquées?
Absolument pas! Lorsque je me suis mariée, j'ai simplement eu à cocher une case pour faire savoir que je souhaitais obtenir la nationalité turque. Deux jours plus tard, j'obtenais ma carte d'identité! Avec l'augmentation des mariages blancs, la législation s'est durcie? Moi j'y ai échappé!
Comme je savais aussi que la France autorise la double-nationalité, j'en ai profité! Malgré tout, plus le temps passe et plus la part française que j'ai en moi s'efface. Avant, c'était plutôt 50% française et 50% turque? Maintenant la balance penche plus en faveur de la Turquie! Je garde de ma nationalité française mon éducation, mon enfance mais la Turquie c'est ma vie d'adulte, mes enfants qui ont d'ailleurs des prénoms turcs! La Turquie, c'est mon pays et je n'envisage pas de le quitter?
Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez enfin obtenu le fameux sésame?
J'étais très fière de ma carte d'identité turque (rires) ! Ça a été un vrai bonheur car j'investissais mon argent et mon temps en Turquie. C'était logique finalement pour moi de faire les démarches pour avoir la nationalité turque.
Et si demain justement vous deviez quitter définitivement la Turquie, que regretteriez-vous le plus?
Les gens sans hésiter! Mon aventure en Cappadoce a duré 15 ans et ensuite je me suis séparée de mon mari. J'ai rejoint Istanbul, où j'ai vécu 10 ans, avec mes deux enfants. Ils ont été scolarisés à Pierre Lotti et moi je me suis remariée! Pendant ces dix années, je suis retournée vivre trois ans en France. Ce retour a été un vrai cauchemar! Mes enfants s'y sont faits, mon mari aussi étonnamment. Pour moi, c'était très difficile. Il fallait que je crie bonjour pour espérer que l'on me réponde! Quand nous sommes revenus en Turquie, en 2009, à peine sommes-nous arrivés chez nous qu'une assiette de fruits nous attendait! Cet non-indifférence m'a toujours plu!
L'hiver dernier, j'ai remis les pieds en Cappadoce pour régler quelques papiers datant de la période où j'avais encore la pension. En retrouvant Nev?ehir, après 10 ans d'absence, mon c?ur s'est brisé en mille morceaux. Je me suis dit que "c'est beau! Je veux revenir ici!". J'avais terriblement envie d'y vivre à nouveau, ça m'a beaucoup travaillée. J'ai finalement écouté mon c?ur et suis revenue en Cappadoce où j'ai acheté deux petites maisons. Et là, c'était comme un deuxième coup de foudre! Je me suis sentie de nouveau chez moi. Pour la petite histoire, mon papa était policier donc nous déménagions très souvent. Je n'avais jamais eu de vraies racines dans une ville en France alors qu'en Cappadoce, j'y avais vécu 15 ans! Istanbul ne me plaisait plus du tout, j'avais envie de m'en échapper.
Propos recueillis par Isma Maaz (www.lepetitjournal.com/istanbul) jeudi 22 janvier 2015
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