

En Turquie, pays où la majorité des femmes restent au foyer, certains métiers ne sont plus la chasse gardée des hommes. Au volant des 18.000 taxis d'Istanbul, on croise désormais quelques femmes. Objectif : porter leur nombre à un millier d'ici cinq ans
Vildan Istanbul et Betul Altintas sont fières d'être des pionnières et espèrent changer les mentalités (photo AA)
Six mois plus tôt, Vildan Istanbul a pris un nouveau virage dans sa vie. Cette Stambouliote de 37 ans s'est inscrite à une formation qui l'a fait passer, dans un taxi, du siège de passagère à celui de conductrice.
?J'ai longtemps travaillé dans une entreprise pharmaceutique mais l'entreprise a fait faillite et je me suis retrouvée au chômage?, raconte-t-elle. ?Une amie m'a parlé d'une agence qui formait des femmes au métier de chauffeur de taxi. Au début, j'ai cru à une blague !?
La nouvelle n'a pourtant rien d'une plaisanterie. Depuis le 17 septembre, une dizaine de femmes sillonnent les rues d'Istanbul au volant d'un taxi. Elles ont répondu à l'appel de l'agence ACTUS, spécialisée dans la formation de femmes sans emploi.
Des clients ?ravis?, hommes et femmes
Comme Vildan Istanbul, ces Turques de 30 à 55 ans ont reçu des cours d'anglais, de mécanique, d'orientation, de communication et même de premier secours. Leur formation de six mois a pris fin il y a tout juste un mois. Depuis ce jour, Vildan et ses collègues conduisent leurs clients, hommes et femmes, de jour mais pas de nuit, au départ de deux arrêts. Le premier est situé à Beyo?lu, face au Pera Palace. Le second à Beylikdüzü, dans la lointaine banlieue d'Istanbul.
?C'est un plaisir immense pour moi qui ai toujours aimé conduire?, raconte Vildan, agréablement surprise par la réaction des clients. ?L'autre jour, un monsieur m'a dit : ?Je n'en crois pas mes yeux ! Une femme chauffeur de taxi? C'est la première fois que je vois ça ! Je vous félicite, je suis fier de vous.? Moi aussi je suis fière de moi. Quand je rentre à la maison le soir, je me dis : Quand même, quel beau métier !?
Un chauffeur de taxi : ?On finira par s'habituer?
Si Vildan est si fière, c'est qu'elle fait partie d'un groupe de pionnières. Elle n'est peut-être pas la toute première conductrice de taxi à Istanbul mais ses collègues féminines se comptent sur les doigts d'une main. Elles sont désormais une dizaine et seront peut-être mille de plus d'ici cinq ans. C'est l'objectif de l'agence qui les forme, en partenariat avec la Chambre des taxis d'Istanbul. Une chambre dont les membres vont devoir s'habituer à partager la route avec des femmes.
?Moi-même au début, j'avais des préjugés?, reconnaît Bayram Gökmen, un chauffeur de Beylikdüzü. ?Je me disais que c'était un métier d'homme, qu'une femme n'en était pas capable. Mais je me rends compte qu'elles se débrouillent très bien ! À force de les voir, on finira pas s'habituer?, assure-t-il.
Conductrices en uniforme
Les conductrices de taxi, qui passent déjà difficilement inaperçues, portent un papillon géant sur le capot de leur voiture et un uniforme dessiné par une créatrice de mode. Betül Alt?nta?, 45 ans, accorde beaucoup d'importance à cette apparence. Avant de prendre la route, elle passe un épais trait d'eyeliner sur ses paupières, un rouge bien rose sur ses lèvres, avant d'ajuster son képi jaune et noir. ?À cause de lui, on m'a déjà prise pour une hôtesse de l'air et même pour une soldate?, plaisante-t-elle.
Avant de se marier, Betül était coiffeuse. Elle a démissionné, puis divorcé. Des années durant, elle est restée sans emploi, comme 78% des femmes turques en âge de travailler. Au volant de leur taxi, elle et Vildan espèrent montrer l'exemple. ?C'est bien de dire qu'il n'y a pas de métier réservé aux hommes, mais c'est encore mieux de le prouver?, affirme Betül.
Conductrice de taxi et bientôt, de poids lourd ?
Havva Yard?m, elle, n'en revient toujours pas d'avoir réussi à convaincre son mari de la laisser conduire un taxi. D'autant qu'elle a 55 ans, qu'elle est grand-mère et qu'elle porte le voile.
?J'ai vraiment, vraiment dû insister. Mon mari et mes fils ont d'abord dit non, catégoriquement?, se souvient-elle. ?Puis ils ont rencontré les responsables du projet et ont changé d'avis. On a des problèmes d'argent. Je viens de marier un fils. Grâce à ce métier, on va pouvoir rembourser une partie de nos dettes. C'est sans doute cela qui les a convaincus.?
À d'autres, cette entrée dans la vie active fait même pousser des ailes. Havva parle d'une collègue dont le rêve, après quelques kilomètres au volant de son taxi, est de conduire un poids lourd. Peut-être bien une autre future pionnière sur les routes de Turquie?
Anne Andlauer (www.lepetitjournal.com/istanbul) lundi 17 octobre 2011
A ECOUTER ! : Retrouvez la chronique d'Anne Andlauer du 14 octobre sur RFI . Cette semaine : DERNIER RAPPEL à propos de l'exposition "Cyclades et Anatolie de l'Ouest"( à partir de 12'10) visible jusqu'au 30 octobre au musée Sabanci.
Voir le diaporama ci-dessous : (photo AA)





































