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TATOUAGES - Atatürk colle à la peau des jeunes Turcs

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 11 juillet 2011, mis à jour le 9 février 2018

 

Où qu'on aille en Turquie, on peut voir de plus en plus de jeunes arborer la signature d'Atatürk sur l'avant-bras, ou même son portrait, sur l'épaule ou la poitrine. Au-delà d'un phénomène de mode, les raisons qui poussent tous ces jeunes à se faire tatouer ainsi semblent être surtout politiques. Certains tatoueurs prennent aussi parti en réalisant ce type de tatouage gratuitement ou à prix dérisoire

La signature d'Atatürk -qui aurait été créée en une nuit selon la légende- sur l'avant-bras est le tatouage le plus courant à l'effigie d'Atatürk (photo CC)

"Je ne comprends même pas pourquoi vous écrivez un article à ce sujet. C'est tout à fait normal et logique que nous ayons envie de nous faire tatouer Atatürk ou sa signature. Vous iriez à Cuba demander aux habitants pourquoi ils se font tatouer Che Guevara ?" Ömer, 34 ans, arbore six tatouages, qu'il a tous dessinés lui-même. Aucune trace d'Atatürk. Pourtant, alors qu'il vient juste boire un thé avec un ami tatoueur dans son salon, n'hésite pas à justifier la recrudescence, chez les jeunes, des tatouages à l'effigie ou en l'honneur d'Atatürk, créateur de la Turquie moderne. "Mustafa Kemal Atatürk, ce n'est pas un politicien, c'est un héros" réplique-t-il quand on lui explique qu'en tant que Français, on s'imaginerait mal se faire tatouer le portrait de De Gaulle.

En général, les jeunes qui ont Atatürk "dans la peau" n'ont pas qu'un seul tatouage, et considèrent le geste même de se faire tatouer relativement anodin par rapport aux habitudes qu'ont les Français par exemple. Mais il ne s'agit pas que d'un "ornement en plus", surtout après plusieurs années au pouvoir de l'AKP. Plus que leur admiration pour le fondateur de la Turquie moderne, ces jeunes semblent surtout exprimer un rejet de la politique actuelle - politique qui tend vers beaucoup moins de laïcité. Il s'agit d'exprimer à la fois la reconnaissance de l'instauration d'une Turquie séculaire et en même temps, logiquement, la contestation du pouvoir en place.

Sur l'épaule du jeune Turc, une image très connue d'Atatürk lors de la guerre d'indépendance qui a donné naissance à la Turquie (photo CC)

Une opposition laïque qui se développe sous plusieurs formes

"Je suis turc, la question n'est pas de savoir si j'aime Atatürk ou pas (bien sûr que je l'aime !)", explique Selçuk, 25 ans, serveur dans un bar à Taksim, qui s'est fait tatoué la signature d'Atatürk sur l'avant-bras il y a deux ans. "Mon tatouage est un réel signe de protestation contre les islamistes et Erdogan", conclut-il.

"La popularité croissante de ces tatouages n’est qu’un signe de la réapparition d'Atatürk comme une arme dans les guerres de culture de plus en plus vicieuses en Turquie. Beaucoup de Turcs perçoivent "une islamisation rampante" avec le Parti Justice et Développement au pouvoir et tandis que la réaction grandit, l'image d'Atatürk devient omniprésente dans les manifestations antigouvernementales", analysait il y a quelques mois un journaliste du magazine Atlantic. La menace posée à son héritage par l'AKP et son leader Erdogan est devenue l’un des principaux cris de ralliement de l'opposition laïque, le culte d'Atatürk se développant sous bien des formes inattendues, telles le tatouage.

Tatouages gratuits : "une question de responsabilité" pour certains tatoueurs

Ce phénomène pourrait constituer une aubaine financière pour les tatoueurs de Turquie, car c'est bien plusieurs fois par semaine que dans chaque salon des jeunes viennent pour avoir un portrait d'Atatürk - ou sa signature - inscrit de manière permanente sur leur poitrine, leurs épaules ou leurs avant-bras. Certains, kémalistes authentiques, sont enchantés... bien pour des raisons politiques et non pour des questions d'argent, car en général ils font plus que de grosses remises sur ce type de tatouages.

Can, tatoueur dans le quartier de Besiktas, explique, à l'instar de la majorité des tatoueurs du pays, en montrant un modèle de la signature d'Atatürk : "Normalement, un tatouage de ce genre coûte de 250 à 300 TL, mais nous ne n'en facturons que 120 à 150." Certains salons vont encore plus loin, et encouragent ce type de tatouage puisqu'ils proposent de les réaliser gratuitement, comme dans un salon de Kadiköy. Pour le patron, c'est tout à fait normal : "il est question de responsabilité, c'est une manière de lutter comme une autre contre le pouvoir et pour la laïcité. D'ailleurs, ce qui est frappant, c'est que si ce sont surtout des jeunes qui se font tatouer chez nous en général, pour les tatouages d'Atatürk, on voit aussi des hommes d'affaires ou des mères de famille passer notre porte."

Lorène Barillot (www.lepetitjournal.com) lundi 11 juillet 2011

lepetitjournal.com istanbul
Publié le 11 juillet 2011, mis à jour le 9 février 2018

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